Au départ, une idée (promesse électorale de 2017) généreuse « d’offrir » à tous les Français et Françaises l’équipement dentaire, optique et audioprothétique pour lutter contre le renoncement aux soins pour raisons financières. Un constat également, très largement partagé dans l’opinion publique et relayé très souvent dans les médias : les lunettes, c’est cher (trop cher ?).
Une escalade des budgets pub et du nombre de diplômés
Cette perception découle en partie sans doute d’une lente dépréciation de l’image de l’opticien, passant d’un professionnel de santé à un commerçant qui n’hésite pas à « offrir » un second voire un troisième équipement à une clientèle qui ne peut plus croire qu’elle paie un prix juste.
Cette situation prend ses racines dans un contexte concurrentiel exacerbé où le nombre de points de vente s’est développé (plus de 13 000, ce qui fait de la France la championne d’europe) au même rythme que l’escalade de budgets publicitaires et d’offres commerciales qui accompagnent cette frénésie d’ouvertures [1]. Chaque réseau (coopératives, chaînes, franchises, mutualistes…) alimentant le phénomène au service de politiques de développement très concurrentielles voire, parfois, de pratiques discutables.
Pour soutenir cette croissance du parc de points de vente, le nombre d’établissements préparant au BTS d’opticien-lunetier a explosé et, en l’absence de tout contrôle, le nombre de diplômés avec.
En optique, le 100 % Santé n’a qu’un effet limité et même négatif avec la substitution d’équipements de valeur par des équipement génériques.
Très mécaniquement, ce BTS offrant beaucoup de débouchés sur l’ensemble du territoire avec, il y a encore quelques années, de très beaux salaires d’embauche, s’est déprécié. Le métier d’opticien-lunetier est devenu moins attractif, avec des horaires souvent calqués sur ceux des centres commerciaux, des rémunérations beaucoup plus basses, des tâches administratives plus lourdes et un contenu de travail peu voire plus du tout médical. Il faut souligner les relations très étroites entre tous ces facteurs qui, entre ces deux filières, diffèrent surtout par leur stade de maturité et le contenu et l’accès au diplôme.
En optique, pour que le cadeau ne soit pas trop cher (le bénéficiaire étant également le généreux payeur…), des limitations de prix et de technologies ont été fixées par le législateur. Les niveaux de prix plafond des produits ont fait l’objet de nombreux et difficiles échanges entre les représentants de la filière et la ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn. Les divergences se cristallisant surtout autour de la préservation des marges des détaillants, la place des produits à valeur ajoutée mais aussi la protection des fabricants nationaux par rapport à la concurrence des produits génériques asiatiques.
100 % Santé en optique, une fausse bonne idée ?
Après un début en marche forcée pour tous les opticiens (obligation de proposition systématique de gammes de montures et de verres 100 % Santé) et quelques campagnes publicitaires menées par certaines chaînes et coopératives d’optique visant à drainer du trafic en points de vente, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. La promesse électorale est tenue mais le 100 % Santé en optique n’était-il pas une fausse bonne idée ? Quelques fabricants français recourent davantage aux importations asiatiques pour pouvoir proposer des équipements moins coûteux. En optique, le 100 % Santé n’a qu’un effet limité et même négatif avec la substitution d’équipements de valeur par des équipement génériques.
Les Français disposaient déjà avant la réforme de prises en charge intégrales de leurs équipements d’optique et d’offres à prix réduits. Le secteur bénéficiait plutôt d’une sursolvabilisation. Les volumes stagnent car simultanément les remboursements de lunettes sont passés d’une base de 12 mois à 24 mois… Les prix moyens de vente restent stables également car les professionnels poussent l’achat de solutions plus innovantes et parviennent à obtenir du reste à charge auprès de leur clientèle.
Deux filières aux enjeux bien distincts
Nous pourrions imaginer que les mêmes causes produisent les mêmes effets mais dans le cas de l’audioprothèse, le contexte initial est très différent. En effet, contrairement à l’optique, les taux d’équipements et de renouvellement en audition sont encore faibles.
Cela est probablement lié au fort reste à charge avant la réforme, à la persistance, malgré les progrès technologiques qu’a connus le secteur, d’une réticence à s’appareiller d’aides auditives qui n’ont pas l’aura de produits de mode comme les lunettes, et à la relative faiblesse du dépistage (nombre de praticiens, médecine scolaire et du travail…).
Les nouveaux porteurs de prothèses 100 % Santé sont majoritairement des personnes supplémentaires qui gonflent le taux d’équipement du marché. Cela pour de bonnes raisons : la prise de conscience croissante des liens entre audition et cognition, une couverture médiatique sans précédent sur les problèmes liés à la presbyacousie, la bonne satisfaction des personnes appareillées, l’augmentation des centres sur le territoire offrant plus de proximité et de visibilité...
Mais, pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, la filière audio aurait tout intérêt à regarder ce qui se passe de l’autre côté du miroir...
[1] Igas, restructuration de la filière visuelle, juillet 2015.