Perception de l’environnement sonore et appareillage

La réhabilitation audioprothétique est affaire de compromis : il s’agit de réduire le bruit ambiant pour faire émerger le signal de parole. Au détriment de la capacité des patients à « apprécier » leur environnement sonore. Faut-il améliorer de 0,5 dB la reconnaissance dans le bruit ou alors mieux appréhender la provenance des trottinettes électriques et entendre le chant des oiseaux au printemps ?

Par Stéphane Gallego
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Les environnements d’écoute quotidiens urbains et/ou ruraux sont complexes et contiennent de nombreux sons simultanés qui peuvent varier considérablement dans un large éventail de dimensions. Malgré une variabilité interindividuelle naturelle importante, nous sommes généralement capables d'extraire des informations pertinentes pour détecter, localiser et identifier les changements significatifs de la source sonore dans leur environnement. Ces processus peuvent être considérés ensemble dans le cadre de l’analyse de scène auditive, dans laquelle les caractéristiques sonores individuelles sont segmentées ou liées en objets sonores cohérents. Lorsque ces processus échouent, les conséquences peuvent être délétères pour l’individu. Ne pas remarquer une alarme ou ne pas entendre les véhicules peut s’avérer dangereux et avoir des conséquences directes sur l’intégrité de la personne.

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Figure 1 : Fréquences dominantes et intensités moyennes en dB HL de différents objets sonores. Une perte d’audition rend certains objets inaudibles. Une aide auditive va redonner de l’audibilité partielle mais elle peut ne pas être suffisante.
Comprendre la perception des sources sonores environnementales est difficile en raison de la complexité inhérente à cette vaste classe de sons. En général, à mesure que la complexité augmente, les sources potentielles de variabilité augmentent également. Cette complexité peut être liée à des dimensions importantes du stimulus ou simplement à la présence de bruit. Les sons environnementaux sont rarement unidimensionnels et les différences de stimulus entre et au sein des classes de sons sont rarement systématiques.

Pour arriver à ces processus complexes, plusieurs postulats sont nécessaires. L’objet sonore doit être audible (figure 1). Le champ auditif de la personne doit donc être compatible avec les caractéristiques du son à déterminer (spectre et intensité). L’objet doit aussi être reconnu, non masqué, et dissocié des autres. L’objet sonore doit être situé dans l’espace (localisation horizontale et verticale, évaluation de la distance).

Conséquence de la surdité

Notre audition a pour fonction de percevoir et transmettre à notre cerveau des retranscriptions des informations sonores perçues de notre environnement. Ces informations sont interprétées avec les éléments provenant de nos autres sens, de nos émotions, de nos intentions et de notre expérience. L’objectif est, par ordre de priorité de traitement, de nous prévenir d’un danger, d’estimer notre niveau de sécurité et de confort, d’anticiper nos actions, de communiquer. L’interprétation de ces informations fait très souvent intervenir notre mémoire ainsi nos émotions primaires telles que la peur, la surprise, la joie…

La surdité dégrade fortement la perception et l’interprétation de notre environnement sonore. Cela engendre de graves conséquences fonctionnelles et émotionnelles chez l’individu sourd. La mauvaise perception auditive de l’environnement peut conduire une personne à une appréciation moins confortable et plus dangereuse de l’environnement et de ses interactions.

Sur le plan fonctionnel, il a été montré qu’une surdité pouvait provoquer des dégradations de l’équilibre postural en statique et en dynamique (de moins bonnes coordination, anticipation et célérité des mouvements). Le risque d’instabilité et de chute augmente en fonction du niveau de perte. Des mouvements répétés de la tête et du tronc ainsi qu’une projection de la tête pour mieux percevoir l’environnement peut provoquer des instabilités et des douleurs musculaires et cervicales. Sur le plan psychologique, il a été montré qu’une surdité pouvait provoquer des troubles anxieux, un risque d’isolement, une dépression, un déclin cognitif. Une dégradation des interactions d’une personne malentendante avec ses congénères peut aussi augmenter la prévalence de paranoïa, psychose, hallucination, et même délires. Elle ressent souvent une baisse de sa qualité de vie, une atteinte de l’estime de soi ainsi qu’un sentiment de solitude et d’isolement.

Intérêt et limite de l’appareillage auditif

Beaucoup d’études récentes ont prouvé les bienfaits de la réhabilitation auditive sur l’état de santé physique et psychique du patient (réduction de la charge cognitive, de l’isolement, de la dépression, du déclin cognitif, de la mortalité). La qualité de vie et l’autonomie en sont grandement améliorées.

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Figure 2 : Capacité à localiser des voix chez les personnes normo-entendantes et sourdes. Une voix d’homme et une voix de femme sont envoyées simultanément sur 2 HP distincts. La tâche étant de localiser la provenance des 2 sources. Contrairement aux normo-entendants, les personnes sourdes appareillées font beaucoup de confusions devant-derrière.
Appareiller une personne sourde permet de lui redonner des informations acoustiques manquantes et donc améliore ses capacités d’évaluation de son environnement sonore. Néanmoins, la surdité de perception est un déficit neurosensoriel et s’apparente, en ce sens, à une DMLA ou une diminution du champ pour un déficit visuel. La correction auditive ne peut donc être que partielle. L’objectif de l’appareillage va être de trouver un compromis entre le gain apporté et les capacités de traitement des voies auditives pathologiques, qui relève du dilemme pour le traitement effectué par l’aide auditive. Généralement, il est choisi d’éliminer le plus de bruit pour transmettre le maximum d’intelligibilité de la parole. Malheureusement, cela se fait au détriment des indices permettant d’appréhender l’environnement. En effet, réhausser la parole et réduire voire éliminer le bruit équivaut à distordre l’importance et la position des objets sonores dans l’espace. Dans le même esprit, les méthodes de préréglages des aides auditives de type NAL-NL2 sont optimisées pour la perception de la parole et non l’appréciation de l’environnement. Pour finir de manière non-exhaustive, la capacité à localiser avec des écouteurs déportés n’est pas optimale car elle n’utilise pas l’effet pavillonnaire de l’oreille (figure 2).

Peu d’études se sont intéressées à l’effet du réglage des aides auditives sur la perception des environnements. Il se pourrait que ce type de travaux aboutissent à de nouvelles méthodes de préréglages afin de mieux transmettre des informations sur notre environnement. Cela pourrait peut-être améliorer l’équilibre ainsi que l’état émotionnel de la personne appareillée.

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