« L'un des intérêts de mesurer l’effort d’écoute est d’aller au-delà du score d’intelligibilité »

L’évaluation du bénéfice d’un appareillage est la combinaison complexe de critères audiologiques et de critères subjectifs, propres à l’individu, à son ressenti. La mesure de l’effort d’écoute semble être une approche intéressante en complément des outils classiques. Explications avec Annie Moulin, chercheuse au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
Effort d ecoute et audioprothese

Audiologie Demain (AD) : Quelles sont les différentes méthodes pour mesurer l’effort d’écoute ?

Annie Moulin (AM) : Il peut être mesuré pour des tâches de perception auditive spécifiques, avec différentes techniques, qui vont des plus simples à implémenter, comme une échelle visuo-analogique, aux plus complexes. Des mesures objectives permettant de quantifier l’activité cérébrale peuvent être effectuées sans la participation consciente volontaire d’une personne, comme l’électroencéphalographie qui mesure les oscillations cérébrales*, la spectrophotométrie infra-rouge en champ proche (fNIR S) qui évalue l’oxygénation, ou encore l’imagerie cérébrale. La conduction électrodermale** est une autre méthode, non spécifique à la mesure de l’effort d’écoute, qui détermine la résistance qu’offre la peau à la conduction d’un stimulus électrique. Enfin, il y a également la pupillométrie (lire l'encadré ci-dessous) qui consiste à mesurer le diamètre pupillaire.

Quant aux méthodes subjectives, il en existe de très simples, comme une échelle comportementale « papier », et de plus élaborées, comme l’index de charge mentale de la Nasa (Nasa task load index), particulièrement reproductible et qui consiste en une auto-évaluation sur six aspects (demande mentale, effort, niveau de frustration…).

On peut également observer le temps de réaction : une tâche facile va être associée à des temps de réaction plus courts et une tâche difficile à des temps de réaction plus longs. Toutefois, la corrélation est difficile à établir avec ce type d’évaluation car une tâche trop difficile par rapport aux capacités d’un patient peut induire un découragement et des réponses hasardeuses.

La mesure comportementale la plus utilisée est la double tâche, au cours de laquelle une tâche dite primaire, qui est supposée demander la plus grande charge cognitive, et une tâche secondaire sont effectuées simultanément. Si la difficulté de la tâche primaire augmente, il y a moins de ressources pour la secondaire, et les performances de celle-ci diminuent, et ce même si les performances de la tâche primaire ne sont pas affectées.

AD : Quelle que soit la méthode utilisée, est-on sûr de bien mesurer l’effort d’écoute ?

AM : Non, car l’effort d’écoute n’est pas un concept simple, unidimensionnel. Il est la combinaison des demandes de la tâche, qui peut être plus ou moins facile, des ressources cognitives de l’individu et de sa motivation à mobiliser ses ressources pour effectuer cette tâche à un instant donné, de ses capacités de mémoire à court terme...

Les travaux de Sara Alhanbali1 (université de Manchester, Angleterre) ont comparé plusieurs méthodes d’étude de l’effort d’écoute et ont montré que chacune explorait principalement une dimension différente et que toutes ces méthodes ne montraient qu’une faible corrélation entre elles. De la même manière, il n’y a pas toujours de corrélation entre mesures objectives et comportementales, notamment le ressenti de l’effort évalué par le patient lui-même.

De plus, la plupart des méthodes physiologiques d’exploration ne sont pas spécifiques de l’effort d’écoute : ce sont des méthodes, comme la pupillométrie, qui mesurent l’« arousal », c’est-à-dire l‘augmentation d’attention, de l'éveil, de la capacité à réagir à un stress, d’un individu.

AD : L’intelligibilité est-elle une mesure de l’effort d’écoute ?

AM : On peut observer une corrélation entre effort d’écoute et intelligibilité dans des conditions spécifiques : le patient, qui éprouve plus de difficultés et obtient des scores d’intelligibilité plus faibles, rapporte de lui-même un effort d’écoute accru. En revanche, un même score de 100 % de perception de la parole peut impliquer un effort d’écoute très intense, ou au contraire, relativement faible, selon le patient. On peut également observer, dans des situations très difficiles, pour lesquelles les ressources du patient sont dépassées, un désengagement de ce dernier dans la tâche, et donc à la fois un effort d’écoute et un score d’intelligibilité très faibles.

L’un des intérêts de mesurer l’effort d’écoute est précisément d’aller au-delà du score d’intelligibilité, qui n’est pas prédictif de l’énergie ou charge cognitive qui sera déployée par le patient pour comprendre. En effet, tout déficit de la perception de la parole n’est pas forcément visible car il peut être compensé, au moins partiellement, grâce aux mécanismes cognitifs et cette compensation se fait souvent au prix d’un effort d’écoute intense, pouvant entraîner une fatigue importante. Le mesurer peut ainsi constituer un bon complément aux méthodes d’évaluation psychoacoustiques conventionnelles. C’est un moyen plus sensible d’obtenir un ressenti des difficultés rencontrées par les patients dans la vie quotidienne et aussi d'évaluer le bénéfice de la réhabilitation auditive.

AD : Quel est l’impact de la réhabilitation auditive sur l’effort d’écoute et les capacités cognitives ?

AM : Dans des situations de communication difficiles, il se produit une réallocation de ressources cognitives dans le but de favoriser la compréhension du message auditif, au détriment d’autres ressources. La réhabilitation auditive, en augmentant l’audibilité du message, va contribuer à diminuer l’effort d’écoute en permettant de réallouer une partie de ces ressources vers d’autres tâches.

Ce qui est intéressant selon moi, c’est de voir si la réhabilitation auditive permet une diminution de l’effort d’écoute ressenti dans la vie quotidienne. En effet, il y a l’effort à un instant donné, déployé au cours d’une tâche bien spécifique, comme la répétition de mots présentés à différents rapports signal sur bruit, et l’effort d’écoute pour comprendre son interlocuteur, au restaurant. Les résultats d’un test d’effort pour une tâche spécifique ne seront pas nécessairement corrélés et donc prédictifs de l’effort que peut ressentir le patient dans une situation de la vie quotidienne.

Les questionnaires audiologiques n’adressent pas spécifiquement l’effort d’écoute à l’exception du questionnaire SSQ de William Noble et Stuart Gatehouse, qui comporte trois items liés à cette notion. Sara Alhanbali les a complétés pour obtenir une échelle d’effort d’écoute à six items. Nous les avons repris, traduit l’échelle en français et nous l’avons complétée par quatre items supplémentaires, permettant d’adresser spécifiquement l’effort d’écoute dans des situations dites faciles ainsi que celui ressenti dans des environnements bruyants. En obtenant un indice de l’effort d’écoute dans le bruit et un autre dans le silence, on obtient un hiatus qui objective les difficultés rencontrées dans le bruit. Ce questionnaire, encore en cours de validation, serait plus sensible aux difficultés des patients, que d’autres questionnaires comme le SSQ par exemple.

AD : Comment peut-on intégrer cet outil en pratique quotidienne en audiologie ?

AM : Aujourd’hui, ce qui peut être fait de façon simple est l’utilisation d’une échelle visuelle analogique sur laquelle le patient évalue l’effort qu’il a dû produire pour la réalisation d’une tâche standardisée d’écoute. À cet outil peut être associé un questionnaire sur le ressenti dans la vie quotidienne, avant et après appareillage. Les résultats permettent d’objectiver, ne serait-ce que pour le patient, les bénéfices de l’appareillage. La mesure de l’effort d’écoute est un outil supplémentaire pour le faire.

* En encéphalographie, on mesure les oscillations cérébrales dans la bande alpha (8 – 12 Hz) : plus de puissance dans cette bande serait associée à des tâches d’écoute plus difficiles et plus d’effort. D’autres auteurs ont montré au contraire une diminution de cet index lorsque la difficulté de la tâche augmente chez des patients avec perte auditive, « peut-être parce que justement les ressources des patients ne sont plus suffisantes pour effectuer la tâche demandée », explique Annie Moulin.

** La réponse électrodermale mesure la résistance qu’offre la peau à la conduction d’un stimulus électrique. En cas d’augmentation du niveau d’alerte, il y a une augmentation de la conduction électrique.

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