Qui n’a jamais tendu l’oreille, plisser les yeux ou eu l’impression de puiser dans ses ressources attentionnelles pour comprendre un interlocuteur dont la voix se perd au milieu du bruit ? Malentendant ou pas, tout le monde entrevoit bien ce que représente l’effort d’écoute. Plusieurs définitions ont été proposées, dans différentes publications scientifiques récentes. Bien que la notion soit relativement nouvelle – on ne trouve aucune publication scientifique avec cette expression avant les années 1980 – toutes vont dans le même sens. Ainsi, Brent Edwards (National acoustics laboratories – NAL) écrit que « l’effort cognitif de l’audition (ou effort d’écoute) se définit par l’augmentation de l’allocation de ressources cognitives afin d’améliorer les performances lors de tâches d’écoute »1. En effet, lorsqu’on écoute un signal de parole, les sons perçus sont comparés à la représentation des mots et phonèmes stockée dans notre cerveau afin d’en extraire le sens. Mais l’identification de ces sons devient évidemment plus complexe si le signal est dégradé et met en jeu des fonctions au-delà du simple traitement auditif (voir encadré ci-dessous).
Défi auditif
La définition proposée par Dorothea Wendt, du centre de recherche Eriksholm d’Oticon, et ses collègues est plus détaillée2. Elle introduit deux facteurs, ayant un impact sur l'effort d’écoute. D’une part les exigences cognitives imposées par la situation d’écoute ou la tâche, qui dépendent notamment de la qualité du signal ou du bruit environnant, notamment le type de bruit. Il a en effet été montré que les ressources cognitives exigées pour comprendre un signal de parole dans le bruit sont plus importantes si le bruit en compétition est un autre signal de parole, par rapport à un bruit fluctuant.
D’autre part, les capacités intrinsèques de la personne qui écoute, qu’elles soient cognitives ou auditives, ainsi que la quantité de ressources cognitives qu'elle mobilise dans une tâche de reconnaissance vocale pour compenser ces exigences. Ainsi se dessinent trois types de facteurs ayant une influence sur l’effort d’écoute : ceux liés à l’auditeur, ceux liés à l’interlocuteur ou au signal de parole et, enfin, les facteurs environnementaux. L’ensemble constitue le défi auditif qu’il sera nécessaire de relever pour comprendre le message, et pour lequel il faudra allouer une certaine charge cognitive.
Motivation
Mais la liste des facteurs influençant l’effort d’écoute ne s'arrête pas là. Suite à une réflexion visant à établir un consensus sur le sujet, Kathleen Pichora-Fuller (université de Toronto Mississauga) et ses collègues proposent une autre définition introduisant la notion de motivation3. Selon elle, l’effort d’écoute est l’allocation délibérée de ressources mentales pour surmonter les obstacles dans la poursuite d'un objectif lors de l'exécution d'une tâche d’écoute. Le mot délibérée a ici son importance car il inclut le lien entre l’exigence demandée par une tâche et l’effort que l’auditeur veut bien fournir à l’instant t. C'est-à-dire que « l'effort d'écoute dépend non seulement des difficultés d'audition et des exigences de la tâche, mais aussi de la motivation de l'auditeur à consacrer un effort mental dans les situations difficiles de la vie quotidienne ».
Ainsi, de nouveaux ingrédients émergent, qui ont une influence sur la motivation de l’auditeur. Par exemple, la fatigue, l’attention ou encore l’évaluation des bénéfices à réussir une tâche. Cette motivation apparaît clairement dans des études que Dorothea Wendt a réalisées au centre Eriksholm : « Nos travaux montrent que l’effort d’écoute est maximal lorsque l’intelligibilité est de 50 % lors d’une tâche de compréhension dans le bruit4, explique la chercheuse. Lorsqu’elle est plus faible, entre 30 et 50 %, on note des signes de désengagement. » Ainsi, lorsque le défi auditif est trop important et la motivation pas assez forte – ce qui se traduit dans ces expériences par un RSB trop faible –, l’auditeur « décroche ».
Trop d’effort
Cette définition laisse entrevoir les conséquences pour les personnes souffrant de troubles de l'audition et pour lesquels l’effort d’écoute au quotidien serait trop important. Dans le cas d'un malentendant appareillé, le risque est de voir les aides auditives remisées dans un tiroir. En outre, en raison de ses lacunes auditives ou par manque de motivation, il va peu à peu se désengager des situations qui lui demandent trop d’effort pour, à terme, si elles se reproduisent, choisir la stratégie de l’évitement. Ce qui entraîne un isolement social, dont les conséquences sont bien connues : déclin cognitif, démence, etc.
Effort d’écoute et démence
L’autre voie par laquelle l’effort d’écoute est suspecté d’affecter les capacités auditives est la mise en concurrence des ressources cognitives. L’imagerie cérébrale montre en effet que l’effort d’écoute se traduit par l’activation plus importante de certaines zones du cerveau – phénomène grâce auquel il est d’ailleurs possible de mesurer l’effort d’écoute (voir article suivant). Dans un récent article recensant les différentes hypothèses de mécanisme liant l’audition à la démence, Timothy Griffiths (Institut des biosciences de Newcastle) et ses collègues suggèrent que les malentendants utilisent davantage de ressources cognitives pour l'écoute, rendant ces ressources indisponibles pour d’autres aspects de cognition supérieures quand elles sont utilisées par la tâche d’écoute5.
Du fait de son lien avec la cognition, l’effort d’écoute est un sujet qui attire de plus en plus l’attention. Mais il existe certaines solutions pour diminuer cet effort, notamment technologiques. Les fabricants d’aides auditives et implants se sont emparés du sujet, pour faciliter la vie des malentendants, au-delà de la simple réhabilitation qui, en soi, participe à la diminution de cet effort d'écoute.