Objectif : intelligibilité

L’appareillage n’est pas une fin en soi. Il faut aussi réapprendre à bien entendre et à comprendre. C’est l’objectif de l’entraînement auditif : s’appuyer sur la plasticité cérébrale et modifier la structure même du cerveau afin d’améliorer le traitement des sons de parole.

Par Bruno Scala
(c)denisismagilov AdobeStock

Les technologies des fabricants d’aides auditives n’ont cessé de progresser au point que les malentendants appareillés n’éprouvent globalement plus de difficulté à entendre et comprendre un interlocuteur dans le silence. Lorsque l'environnement sonore est plus complexe, en revanche, la technologie atteint pour le moment un plafond de verre. Quel audioprothésiste n’a jamais entendu la sempiternelle complainte « j’entends, mais je ne comprends pas » ? Car, à l’heure actuelle, s’il est possible d’améliorer le signal grâce à la directivité, aux débruiteurs ou autres stratégies de réglage, il est en revanche impossible de régler l’aide auditive de telle sorte que le traitement cérébral du patient soit amélioré. Or il est maintenant acquis que la perte d'audibilité s’accompagne d’une dégradation des traitements spectral et temporel de l’information sonore, indispensables ingrédients pour bien comprendre la parole, en particulier dans des situations difficiles.

Entraînement cognitif ou auditif

Il s’agit donc de réhabiliter l’audition périphérique, ainsi que l’audition centrale. Un objectif qu’il est possible d’atteindre en théorie, puisque le cerveau est plastique, à tout âge (voir encadré). Ainsi, les aires cérébrales cédées à d’autres fonctions que l’audition en raison d’une moindre stimulation peuvent être réinvesties dès l’appareillage. L’une des pistes suivies pour y parvenir est l’entraînement, qu’il soit auditif ou cognitif, ou auditivo-cognitif. « L’entraînement auditif peut être globalement décrit comme “apprendre au cerveau à écouter”, résume Helen Henshaw, chercheuse au Centre de recherche biomédicale de Nottingham et dont les travaux portent essentiellement sur cette thématique. Ceci est généralement réalisé par un engagement actif avec les sons. L'objectif principal de l’entraînement auditif pour les personnes malentendantes est d'améliorer les capacités de perception auditive pour aider à atténuer les difficultés d'écoute associées à la perte auditive. » L’une des difficultés majeures rapportées par les patients est la compréhension de la parole dans le bruit. Mais les effets de l’entraînement ne sont pas directs ; celui-ci n’agit pas directement sur l'audibilité : « Bien qu'il ne puisse pas améliorer les seuils d'audition, l’entraînement vise à permettre aux malentendants de mettre à profit au mieux leur capacité auditive résiduelle. »

L’entraînement vise à permettre aux malentendants de mettre à profit au mieux leur capacité auditive résiduelle.

Helen Henshaw, chercheuse au Centre de recherche biomédical de Nottingham

L’entraînement auditif, consiste ainsi à travailler ses performances auditives en misant sur une amélioration des capacités de traitement du son (bottom-up). À l’inverse, l’entraînement cognitif vise à améliorer les capacités cognitives (mémoire, attention, etc.) en supposant que cela améliorera les capacités de compréhension de la parole (top-down), en particulier dans le bruit. « L'entraînement cognitif fait référence à des exercices mentaux conçus pour améliorer les capacités cognitives de base, explique encore la chercheuse britannique. Il a de nombreuses applications thérapeutiques (comme les traumatismes crâniens, les déficits cognitifs, le déclin cognitif...). » On sait en effet que ces fonctions cognitives de base sont liées à la compréhension de la parole dans le bruit. C’est notamment à l’aune de ces découvertes que l’entraînement cognitif s'immisce désormais dans la sphère de l’audiologie clinique. « Ces dernières années, le lien entre la parole dans la perception du bruit et la cognition (en particulier la mémoire de travail) a conduit les chercheurs en audition à évaluer si l'entraînement cognitif peut améliorer la perception de la parole dans le bruit chez les personnes souffrant de perte auditive », rapporte la chercheuse.

Enfin, l’entraînement auditivo-cognitif mêle les deux composantes. Il peut s’agir d’entraînement cognitif réalisé avec de petits exercices à base de stimulation sonore.

Compléter l’appareillage

Avec l’avènement des outils technologiques et de communication, il est aisé de concevoir des exercices de discrimination de phonèmes, comme en proposent de nombreux fabricants d’aides auditives ou d’autres concepteurs du marché de l’audition. Les malentendants ont ainsi la possibilité de suivre des séances d’entraînement depuis chez eux. Par exemple, Profonia, en plus d’un téléservice de relation patient-audioprothésiste et d’un test auditif, offre de tels outils avec son application myProfonia. Des exercices de type discrimination de syllabes ou de mots sont proposés aux utilisateurs, de façon ludique.

C’est également le cas de la société LDRD, qui a fait de l’entraînement auditif son fer de lance. En 2015, la société dirigée par l’audioprothésiste Ludovic Delacour a lancé le fauteuil Hearfit. « Il permet aux malentendants de travailler sur la confusion phonémique, explique le concepteur. Grâce à des tests, on réalise une cartographie des confusions puis les patients s’entraînent sur chacune d’entre elles pendant 5 à 10 minutes. Une séance complète dure 25 minutes. » Mais dans ce cas, le patient n’est pas chez lui, comme il peut l’être lorsqu’il utilise une application smartphone, mais dans un centre d’audioprothèse. C’est l’un des principaux arguments d’Hearfit : le patient est accompagné par son audioprothésiste dans sa démarche. « Il existe des logiciels de rééducation auditive, mais sans accompagnement, le patient manque rapidement de motivation », constate Ludovic Delacour. Le gérant revendique plus de 100 fauteuils vendus à des audioprothésistes français, « plutôt des indépendants avec une bonne dynamique de prise en charge des patients ». Ainsi, l’entraînement auditif devient un complément de l’appareillage, qui s’inscrit pertinemment dans le suivi.

Rééducation orthophonique

L’entraînement est bien connu des orthophonistes qui l’utilisent, en complément de multiples modalités – lecture labiale, code LPC , etc. – dans le cadre de la rééducation de patients sourds ou malentendants, afin d’améliorer leur compréhension de la parole.

Alors que les progrès technologiques couplés à l’intelligence artificielle augurent l’arrivée dans un futur plus ou moins proche de l’auto-réglage, et que les orthophonistes souffrent de souseffectif, les audioprothésistes qui souhaitent revendiquer la facette care de leur métier pourraient être tentés de décaler leur pratique pour investir davantage l’aspect rééducation.

Mais attention à ne pas confondre rééducation orthophonique et entraînement auditif. Ce dernier consiste en des exercices qui se focalisent sur quelques détails, à la différence de la rééducation, plus complète, pratiquée par les orthophonistes. « Ces entraînements auditifs analytiques – qui se concentrent sur la discrimination des phonèmes – ne sauraient se substituer à une rééducation orthophonique, explique Émilie Ernst, orthophoniste. Pour un adulte, on va travailler de façon plus globale afin de faire le lien entre ce qui est perçu et la bibliothèque sonore des patients. Cela peut venir en complément du suivi orthophonique. Ou bien, chez certains patients qui n’ont pas besoin de rééducation orthophonique, ce type d’entraînement peut les aider à être plus attentifs à ce qu’ils entendent. »

Émilie Ernst voit un avantage à l’arrivée de l'entraînement auditif dans les centres d’audioprothèse. « Cela peut permettre de faire prendre conscience à certains professionnels que l’audition concerne bien plus que l’oreille. La réhabilitation n’est pas uniquement une question de technologie et de réglages mais implique également le cerveau, qu’il faut rééduquer. »

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