15 Avril 2025

L'enseignement et la recherche boudés par les audioprothésistes

Depuis 5 ans, une nouvelle section au sein du Conseil national des universités est censée favoriser l’émergence des profils paramédicaux au sein de la recherche. Pour l’heure, seul un audioprothésiste a été qualifié. Pourquoi une telle crise des vocations ?

Par Violaine Colmet Daâge
CNU

En 2019, trois nouvelles sections créées au sein du Conseil national des universités ouvraient la recherche universitaire aux professions paramédicales. Les enseignants-chercheurs kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, ergothérapeutes, diététiciens, psychomotriciens, ou encore audioprothésistes pouvaient ainsi trouver au sein de la section 91 dédiée aux sciences de la rééducation et de la réadaptation une place de choix pour valider leur qualification à mener des activités de recherche dans leur champ professionnel. L’objectif : candidater ensuite aux postes de maitre de conférences (MCF) ou de professeur des universités (PR) ouverts par les laboratoires de recherche universitaires. « En tant que paramédicaux, nous ne disposions pas de section dédiée mais nous avions des opportunités dans d’autres sections, comme les neurosciences, les sciences du langage, etc. », explique l’orthophoniste et la présidente de la section 91, Peggy Gatignol. L’originalité de ces sections – centrées sur les métiers paramédicaux plutôt que sur de grandes thématiques de recherche – devait ainsi permettre aux professions concernées de développer leur légitimité au niveau académique. Une aubaine pour l’audiologie, qui « se situe à la croisée de l’ORL, de l’acoustique, et des neurosciences », remarque le maitre de conférences en audioprothèse et ingénieur de formation, Jean-Charles Ceccato.

Meilleure visibilité académique

« Cette section CNU contribue à la visibilité des audioprothésistes et à l'intégration de la profession dans le paysage académique, analyse de son côté la Pr Cécile Parietti-Winkler, codirectrice de l’école de Nancy et présidente du Collège français d’ORL et CCF. Elle permet une amélioration des standards d'enseignement par la titularisation d’enseignants-chercheurs dédiés à la discipline, ainsi que le développement de la recherche, en termes de structuration et de soutien de financement. À terme, la section de CNU – qui possède un rôle consultatif ou décisionnel vis-à-vis des ministères de tutelle dans l'évolution des programmes, les approches pédagogiques, les orientations politiques et de contenu influençant la formation –, permettra aussi d’avoir un impact sur les politiques éducatives. » Un autre avantage potentiel de disposer d’enseignants chercheurs en audioprothèse serait d'asseoir la discipline dans une démarche scientifique et moins tournée vers l’aspect commercial du métier. En outre l'intégration d'audioprothésistes supplémentaires au niveau académique permettrait d'apporter un point de vue original sur les sujets de recherche. « Bénéficier de cette expertise permettrait d'avoir une approche plus directe, en s'intéressant à des problématiques plus pratiques, auxquelles les ingénieurs ou les neuroscientifiques ne pensent pas nécessairement, avance Jean Charles Ceccato. Les travaux de recherche sont par exemple assez peu axés sur la technologie des audioprothèses. » Et les postes pourraient se multiplier dans les années à venir : un rapport de l’Igas publié en 2024 recommande ainsi la mise en place d’un programme 2024-2030 prévoyant notamment, pour les sections 91 et 92, le recrutement de 136 enseignants-chercheurs titulaires, soit 4 enseignants-chercheurs (deux pour chaque section), et ce, pour chacune des 34 universités à composante santé.

La section CNU peut contribuer à la visibilité des audioprothésistes et à l'intégration de la profession dans le paysage académique.

Pr Cécile Parietti-Winkler

Une section « trustée » par les kinés

Encore faut-il que la profession se mobilise. Selon un bilan publié en 2024 sur les données des années 2020 à 2023, 91 candidats ont été qualifiés (83 MCF et 8 PR) au sein de la section 91, sur les 211 expertisés. Et en 2024, 36 nouveaux qualifiés sont venus grossir leurs rangs (33 MCF et 3 PR). « La formation initiale des candidats qualifiés (...) est très variée », est-il précisé. Ainsi, 46 qualifiés sont kinésithérapeutes, 10 orthophonistes, 10 ont été formés en STAPS. Mais un seul est audioprothésiste (voir encadré). Si ces chiffres s’expliquent d’abord par la démographie – en 2024, 109 000 kinésithérapeutes étaient en activité, contre environ 5 000 audioprothésistes –, des acteurs de l’audiologie regrettent toutefois une moindre représentation du secteur de l’audioprothèse, au sein de la section 91.

« Non seulement aucun audioprothésiste ne siège à la commission de la section 91, mais il n’y a également aucun dossier de candidature à examiner. Il ne faut donc pas s'étonner que nous n'existions pas », regrette le Pr Jean-Luc Puel, directeur de l’AudioCampus et de l'Institut des Neurosciences de Montpellier. Parmi les 6 postes actuellement pourvus (3 élus et 3 nommés par le ministère), deux sont kinésithérapeutes, deux orthophonistes, un psychomotricien et un spécialisé en activité adaptée. Peggy Gatignol remarque elle aussi le manque d’audioprothésistes candidats pour la qualification. Elle précise par ailleurs que le CNU n’a pas vocation à créer les postes d’enseignants-chercheurs : c’est bien aux universités elles-mêmes de faire valoir leurs besoins en la matière. Mais là encore, les postes restent encore relativement peu nombreux. « Il ne faut pas être dans l’attentisme, insiste le Pr Puel, à l’origine du master recherche à Montpellier. Il faut monter au créneau, exister dans cette commission, déposer des dossiers de qualification dans la section 91 et se battre auprès des universités pour ouvrir des postes d’enseignants-chercheurs ». Pour le spécialiste, le manque d’implication en recherche se traduit par un manque de candidats et d’ouverture de postes. « Pourtant, de nombreux audioprothésistes détiennent une thèse et pourraient s’investir », assure le Pr Puel.

Une formation initiale peu tournée vers la recherche

« La formation initiale des audioprothésistes reste, de façon logique, très clinique et assez peu portée sur la recherche à l’heure actuelle, remarque l’audioprothésiste et président de la SFA, Morgan Potier, lui-même titulaire d’un doctorat. Il faudrait sensibiliser plus tôt les étudiants, pour encourager les profils que la recherche peut intéresser. » Cette évolution pourrait accompagner la réingénierie du diplôme d’audioprothésiste et son passage au système LMD.

À lire aussi | ▶ « La réingénierie n'est pas dans les tuyaux des ministères ».

En outre, il n'existe qu'un master dédié à l'audition, celui de Montpellier. D’autres masters sont bien ouverts aux audioprothésistes, mais ils ne proposent pas spécifiquement de parcours dédiés aux sciences de l’audition.

Pour l’heure, « les chercheurs en audiologie sont ingénieurs, médecins, etc. Très peu sont audioprothésistes », souligne Jean- Charles Ceccato. Les directions pédagogiques des centres de formation universitaires en audioprothèse sont, dans l’extrême majorité des cas, assurées par des enseignants-chercheurs universitaires titulaires, qualifiés en ORL comme les Prs Godey, Marx ou Parietti-Winkler, entre autres, ou qualifiés en acoustique et biophysique comme les Prs Ducourneau ou Bavu. En revanche, les audioprothésistes, eux, ne passent pas par le CNU et sont enseignants-chercheurs associés. Pourtant, selon Jean- Luc Puel, « la responsabilité pédagogique devrait revenir aux universitaires, dont c’est le métier ».

Non seulement aucun audioprothésiste ne siège à la commission de la section 91, mais il n’y a également aucun dossier de candidature à examiner. Il ne faut donc pas s'étonner que nous n'existions pas.

Pr Jean-Luc Puel

Des débouchés incertains et peu rémunérateurs

Mais comment faire émerger ces profils ? Pas facile d’abandonner la pratique clinique pour choisir la recherche et le statut d’enseignant-chercheur moins rémunérateurs. Pour pallier cette difficulté, il conviendrait d’offrir la possibilité de partager son activité entre recherche et pratique clinique. « J’ai besoin des deux ! explique Morgan Potier. En cabine, j’ai un impact social et la recherche m’a conféré un bagage scientifique qui me permet de critiquer ma pratique. Le terrain permet d’éprouver la théorie ». Cette problématique est d’ailleurs rapportée par les autres disciplines de la section 91. « Les enseignants-chercheurs rencontrés interrogent le statut mono-appartenant en cumul avec une activité de soins, qui répond mal à des problématiques de rémunération pour les plus anciens d’entre eux, mais aussi à leurs attentes de condition d’exercice satisfaisantes pour réaliser l’ensemble de leurs missions », peut-on lire dans le rapport de l’Igas. Celle-ci recommande ainsi d’ouvrir un « statut bi-appartenant clinique attractif et mixte, hospitalier ou ambulatoire ». Dans la section 91, les orthophonistes ont déjà en partie répondu à cette attente en permettant la pratique hospitalière, à hauteur de 20% de leur activité.

Offres d'emploien partenariat avec audixion.fr

Voir plus d'offres

Newsletter

Newsletter

La newsletter Audiologie Demain,

le plus sûr moyen de ne jamais rater les infos essentielles de votre secteur...

Je m'inscris