Où en est le dossier de la réingénierie de la formation en audioprothèse ?
Jean-Luc Puel : Il n’est pas dans les tuyaux des ministères qui ont d’autres préoccupations, comme la lutte contre la fraude. La réingénierie ne figure pas non plus parmi les priorités des syndicats, qui ont aussi d’autres préoccupations – l’ordre, entre autres. Cela ne veut pas dire qu’il ne se passe rien. Nos échanges sont un peu plus dépassionnés qu’auparavant et nous sommes en phase avec le CNA. Nous allons relancer les discussions, discuter des derniers détails et monter au créneau.
Matthieu Del Rio : On parle de la réingénierie depuis que je suis au CNA ! Dès mon élection en 2021 à la tête du Collège, j’ai fait de ce dossier une priorité. Fin 2021, la mission Igas/IGÉSR a émis ses recommandations. Lors du 26e EPU, la DGESIP annonçait un démarrage très rapide... Mais, depuis, il ne se passe plus rien. Et, quand le CNA interpelle les parlementaires à ce sujet, nos questions restent sans réponse. Malgré cela, nous relançons les travaux avec le CCFUA.
Pourquoi est-il si difficile d’avancer ?
JLP : L’instabilité politique et le défilé ministériel de ces dernières années freinent le projet. Surtout, la réingénierie a été initiée sans associer les universitaires dès le départ... Et quand il a fallu aborder des sujets concrets comme l’apprentissage, on s’est rendu compte que les syndicats n’étaient pas tous d'accord. Ce manque d’unité a sans doute refroidi le ministère. C'est dans ce contexte que nous avons créé le CCFUA, un espace de concertation qui réunit les universitaires et les professionnels de chaque établissement, dans le but de faire progresser le projet.
MDR : Un point de blocage semble exister au niveau de la DGOS. La publication d’un décret de compétences serait un prérequis avant que la réingénierie ne puisse être déclenchée. Ce dossier est entre les mains des trois syndicats. Le sujet fait plutôt consensus mais leur dernière réunion à ce sujet remonte à l’été 2024. Il est temps que les échanges reprennent.
La publication d’un décret de compétences serait un prérequis avant que la réingénierie ne puisse être déclenchée.
Matthieu Del Rio, président du CNA
Pourquoi la réingénierie est-elle essentielle ?
MDR : La formation actuelle repose sur un référentiel qui date de 2001, alors que le métier a considérablement évolué. Il faut préparer la prochaine génération d’audioprothésistes aux enjeux de demain, même si, heureusement, les écoles n’ont pas attendu la réingénierie pour adapter leurs programmes aux nouvelles technologies et pratiques.
La réingénierie permettra également d’intégrer le schéma LMD et d’obtenir le grade licence. L’universitarisation du diplôme assurera à nos étudiants de pouvoir poursuivre leurs études, de valider des crédits ECTS et facilitera leur mobilité à l’étranger ou vers d’autres formations. Mais cela implique d'augmenter le volume horaire des enseignements et une organisation en semestres.
JLP : En effet, chaque établissement a évolué un peu dans son coin et on constate aujourd’hui des divergences d’interprétation dans nos programmes. Certains enseignent plus d’anglais, d’autres font plus ou moins de TP... La réingénierie doit permettre d’harmoniser la formation tout en respectant les spécificités de chaque école. C'est aussi l’occasion de revoir certains enseignements obsolètes en nous posant la question des compétences requises pour devenir un bon audioprothésiste.
Quels sont les points encore en discussion ?
JLP : Il reste quelques pierres d’achoppement, notamment le mémoire et les stages. Un mémoire est-il toujours pertinent ? S’il sert à développer une démarche scientifique avec une hypothèse, un protocole et une analyse, oui. Mais s’il s’agit simplement d’une revue d’articles glanés en ligne, ChatGPT fait ça très bien !
Les stages doivent aussi être repensés. Celui réalisé à l’hôpital permet aux étudiants de voir de l’audiologie pédiatrique et des réglages d’implant, mais faut-il les envoyer au bloc pour assister à des opérations chirurgicales ? De plus, les CHU sont saturés... Pourquoi ne pas étaler ces stages dans le temps ? Il faut aussi instaurer des comités régionaux associant la profession pour valider les maitres de stage et de mémoire.
MDR : Le stage ORL est problématique du fait de l’augmentation du nombre d’étudiants, liée notamment à la création de nouvelles écoles. Le réduire ou le supprimer ne me semble pas pertinent. En revanche, nous pourrions envisager un aménagement optimisé de ce stage au fil du cursus.
Quid du grand oral ? Certains souhaiteraient lui substituer une certification nationale qui s’imposerait à la fois aux étudiants des écoles françaises et aux diplômés des formations étrangères...
JLP : Cela permettrait de garantir une véritable uniformisation des diplômes. Si les personnes formées à l’étranger ont le même niveau que nos étudiants, pourquoi leur refuserait-on d’exercer ? Ce que je refuse, en revanche, ce sont des gens qui font des formations le dimanche matin, à qui on donne le droit d'exercer, et qui ne réalisent pas de stage...
MDR : L’idée est séduisante, mais difficilement applicable dans le cadre des mesures compensatoires. D’expérience, le droit européen fait souvent obstacle à notre capacité à imposer des exigences aux diplômés étrangers, malgré les dysfonctionnements constatés sur le terrain.
En 2021, une prolongation de la formation à 5 ans n’était pas envisageable car cela aurait signifié se passer de diplômés pendant deux ans. Le contexte a évolué depuis. Un passage au grade master est-il à l’étude ?
JLP : Je ne pense pas que l'allongement des études soit nécessaire – sauf pour l’appareillage pédiatrique, qui requiert une vraie spécialisation. En outre, les écoles pourraient avoir des difficultés à absorber deux années supplémentaires, tant en termes d'organisation que de financement. Enfin, rajouter deux ans d'études uniquement pour rivaliser avec les formations étrangères n'est pas une raison pédagogique valable et n’est pas forcément efficace.
La meilleure manière de répondre à la concurrence des diplômes étrangers serait d’améliorer la qualité théorique et pratique de l'enseignement, de réserver les stages en CHU en priorité aux étudiants des écoles françaises et d’instaurer une certification nationale garantissant un haut niveau de compétence.
On ne peut pas se revendiquer professionnels de santé, si on n’a pas une formation à la hauteur des enjeux.
Pr Jean-Luc Puel, président du CCFUA
Un autre objectif de la réingénierie est de créer une véritable filière académique en audiologie. Quels en sont les enjeux ?
JLP : C’est essentiel. Nous manquons d’enseignants-chercheurs (lire l’article La filière recherche boudée par les audioprothésistes ). Or, si on veut assurer une formation de qualité, il faut former et recruter des universitaires pour enseigner dans nos écoles. Aujourd’hui, la plupart d’entre elles ne sont pas dirigées par des universitaires à plein temps. Le risque, c’est de se retrouver avec un modèle similaire à la filière optique, dominé par des formations privées de niveau BTS... On ne peut pas se revendiquer professionnels de santé, si on n’a pas une formation à la hauteur des enjeux.
Nous devons donc encourager nos diplômés à poursuivre leurs études. Pour cela, il existe le master « Neuroprothèse sensorielle », qui leur permet d’approfondir des domaines comme l’audiologie pédiatrique, les explorations fonctionnelles et le réglage d’implant. Environ 20 % de nos étudiants poursuivent en doctorat. Mon souhait, c’est que ces jeunes chercheurs prennent la relève de l’enseignement dans nos écoles. Favoriser une filière académique, c’est aussi développer la recherche en audiologie et ancrer la discipline dans une démarche scientifique plus solide.
Quelles sont les prochaines étapes ?
MDR : Globalement, on est prêts. Il faut avancer sur le décret de compétences et aligner le référentiel du diplôme sur celui des compétences métier.
JLP : Une fois que la question de l’ordre professionnel sera réglée, nous remettrons tout le monde autour de la table. Si nous nous y attelons maintenant, on peut aboutir dans l’année. Il ne manquera plus que le coup de tampon du ministère.