Le 100 % Santé a joué les catalyseurs d’un certain nombre d'enjeux au sein de la filière auditive et la formation des ORL et des audioprothésistes est l’un d’entre eux. La mission de l’Igas/IGÉSR ne s’y est pas trompée. Un tiers de son rapport et dix des trente recommandations qu'il contient concernent cette seule problématique. L’évolution des technologies et des pratiques, le vieillissement de la population, la démographie médicale et, dernièrement, la réforme et l’appel d’air qu’elle a entraîné en termes de recours à l’appareillage auditif conduisent à s’interroger, comme les enquêteurs du rapport, sur « la couverture des besoins en matière de prise en charge des troubles de l’audition et notamment des cas de presbyacousie ». Autrement dit, la filière auditive dispose-t-elle des effectifs nécessaires pour garantir aux patients malentendants un accès aux soins sans entrave ni délai et le contenu de la formation est-il adapté pour assurer une prise en charge de qualité ?
ORL : renforcer l’offre en audiologie
Côté ORL, il faut répondre, d’une part, à une démographie en berne et au départ à la retraite des CES, qui constituaient un vivier d’ORL médicaux, et, d'autre part, à un phénomène de désaffection pour le versant médical de la spécialité au profit de son versant chirurgical. C’est la double peine donc : il y a moins d’ORL et notamment moins d’ORL médicaux et donc libéraux. « Le nombre de praticiens spécialisés en audiologie et en explorations fonctionnelles ne cesse de diminuer », notent les rédacteurs du rapport. Pour remédier à cela, ils formulent deux recommandations. La première vise à « renforcer l’attractivité de la pratique médicale de l’ORL en créant au sein du DES un parcours centré sur l’audiologie et les explorations fonctionnelles ainsi qu’une FST en audio-vestibulométrie » (recommandation n° 21). L’objectif est ainsi d’étoffer l’offre en audiologie de manière endogène (internes en ORL) mais aussi exogène (internes issus d’autres spécialités) via la formation spécialisée transversale (FST). Celle-ci concourrait à élargir « au-delà des seuls ORL le nombre de praticiens susceptibles de traiter les cas de presbyacousie et de prescrire le cas échéant des aides auditives ». Les inspecteurs de l’Igas modèrent néanmoins la portée de cette mesure qui, en ne permettant de former que « cinq à dix praticiens chaque année, (…) ne résoudrait que très partiellement les difficultés d’accès à un spécialiste des troubles de l’audition ».
La recommandation 22 concerne le « développement d’une filière médicale en ORL via la création de postes de postinternat et d’enseignants-chercheurs spécialisés en audiologie », qui devrait également participer à revaloriser le volet médical de la spécialité.
Audioprothésistes : la réingénierie en priorité
Les enquêteurs de la mission Igas/IGÉSR s’appesantissent davantage sur la formation des audioprothésistes. Sur les dix recommandations que contient cette partie du rapport, huit les concernent dont cinq jugées prioritaires. Premier constat : « Il apparaît désormais nécessaire d’engager au plus vite ce travail de réingénierie qu’appelle depuis plusieurs années de ses vœux l’ensemble des acteurs de la filière » (recommandation n° 23). Cela permettrait d'adapter la formation aux évolutions et connaissances technologiques et scientifiques, d’harmoniser les différentes formations afin que les audios obtiennent le même niveau de compétences, de délivrer un diplôme de grade licence (recommandation n° 24), de mutualiser certains parcours avec d’autres professions paramédicales (notamment les orthophonistes – recommandation n° 25), de mieux répartir les stages au cours de l’année et d’ouvrir l’accès au diplôme via la formation continue.
Par ailleurs, la mission juge « nécessaire » la création de masters spécialisés. Les inspecteurs estiment néanmoins inutile d’allonger la durée de la formation initiale. Par ailleurs, ces derniers pensent que réserver la prise en charge de certains patients aux titulaires d’un master « ferait courir le risque d’une rigidification excessive du parcours de soin ». Néanmoins, ces audioprothésistes pourraient valoriser leur spécialisation en se voyant confier davantage de patients complexes par les ORL, nécessitant plus probablement des aides auditives de classe II , ce qui pourrait avoir une incidence sur leur rémunération. La balle est donc dans le camp des pouvoirs publics. En effet, selon les inspecteurs, pour que cette réingénierie soit mise en œuvre, la première étape consiste en la rédaction d’un référentiel de formation par le ministère de l’Enseignement supérieur et pourrait entrer en vigueur à la rentrée 2022.
Pas de holà sur la vague espagnole
Les formations espagnoles constituent un autre sujet brûlant, étroitement lié à celui des « tensions sur le marché du travail des audioprothésistes » relevées par l’Igas et l’IGÉSR. Selon ces dernières, « les 2/5e des audioprothésistes exerçant en France pourraient ainsi être titulaires à court terme (…) d’un diplôme délivré par un autre pays de l’Union européenne ». Toutefois, la mission rappelle que ces formations sont conformes au droit européen. En outre, elle n'émet aucun grief contre la modalité semi-présentielle, qu’elle considère « de plus en plus répandue » et « particulièrement adapté[e] à la formation continue ».
Elle juge en outre que « la formation espagnole (…) présente de nombreux points communs avec la maquette du diplôme d’État et ne peut à ce titre être considérée a priori comme une “formation au rabais” ». Si les inspecteurs écartent, en creux, l’aspect contournement du système français de formation, ils concèdent néanmoins le caractère inédit de l’ampleur du phénomène. Cela étant posé, les rédacteurs du rapport identifient un « seul levier (…) pour s’assurer des qualités professionnelles des audioprothésistes formés dans un autre pays de l’Union » : celui des conditions posées en matière d’autorisation d’exercice. Ils estiment à cet égard que les critères et les modalités de mise en œuvre des mesures compensatoires, pour les étudiants demandant une autorisation d’exercice, nécessitent une clarification. Ainsi, « il apparaît souhaitable que les commissions régionales d’autorisation d’exercice disposent de critères harmonisés au niveau national sur lesquels fonder leurs décisions en matière de mesures compensatoires » (recommandation n° 27).
Autre étrangeté de ce système, la coexistence de deux listes de maîtres de stages (pour chaque région), l’une à destination des écoles françaises, l’autre pour les demandes d’autorisation d‘exercice. Là encore, les inspecteurs plaident pour une harmonisation et la création de listes régionales uniques (et non une seule liste nationale comme plébiscité par certains), sur la base de concertation entre ARS et écoles (recommandation n° 27). Cette mesure permettrait une égalité de traitement entre étudiants d’écoles françaises et espagnoles et limiterait les contentieux. Les inspecteurs considèrent que cette situation doit être réglée pour le bien de la profession : « [Elle] pose la question de la ca pacité des établissements français d’enseignement supérieur à répondre aux besoins de la société en assurant la formation d’un nombre suffisant de professionnels de santé et celle de la cohérence des politiques publiques dans le contexte de la mise en place du 100 % Santé. » C’est ainsi que l’augmentation du numerus clausus est considérée par les inspecteurs comme un des leviers pour résoudre le problème espagnol.
L’Igas veut plus d'audios
Ils « estime[nt] nécessaire d’augmenter significativement le nombre de diplômés, (…) de 150 à 200 places supplémentaires pendant cinq ans, (…) dès la rentrée 2022 ou 2023 » (recommandation n° 28). Cette augmentation pourrait être assurée par la création de nouvelles écoles : Grenoble, Clermont-Ferrand, Tours et Aix-Marseille seraient sur les rangs.
La formation continue pourrait être une solution intéressante et la proposition de l’université Aix-Marseille s’inscrit dans ce sens (recommandation n° 30). Pour que cette augmentation soit réalisable, la mission propose notamment de mieux répartir les stages au cours de l’année (recommandation n° 26) – ce que les textes en vigueur interdisent pour l'instant.