Mission Igas : l’heure des comptes

Le rapport tant attendu sur la filière auditive vient d’être publié. Diligentées par les ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur, les Inspections générales des affaires sociales (Igas) et de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) livrent un document qui fera date dans l’histoire du secteur. Et, notamment sa première partie qui souligne la nécessité, à l’heure du 100 % Santé, d’un meilleur encadrement des pratiques, avec un accent tout particulier sur la qualité du suivi.

Par Bruno Scala et Ludivine Aubin-Karpinski
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La filière auditive est confrontée depuis quelques années à d’importantes évolutions. La réforme du 100 % Santé en a révélé voire amplifié les enjeux. Pour garantir la réussite de sa réforme phare et s’assurer que son important financement est bien employé, l’État a demandé une évaluation de sa mise en œuvre sur le terrain et, plus largement, de l’organisation du secteur. C’est chose faite. Après plusieurs mois d’enquête et d’entretiens, les Inspections générales des affaires sociales (Igas) et de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) ont publié leur premier rapport. Il était particulièrement attendu car les recommandations de ces instances restent rarement lettres mortes. Sur les trente mesures formulées par les inspecteurs, douze sont jugées prioritaires et un tiers concernent directement le 100 % Santé. Certaines sont dans les tuyaux, comme l’abaissement du PLV de la classe I, d’autres déjà effectives. Quelques-unes, si elles sont appliquées, augurent de changements majeurs pour la filière.

Les effets qualitatifs de la réforme difficiles à évaluer

La tonalité générale de ce premier rapport sur la filière auditive est marquée avant tout par le souhait d’un encadrement plus strict des pratiques professionnelles. La confiance n’exclut pas le contrôle, dit-on. Si les inspecteurs de l’Igas et de l’IGÉSR jugent que les effets quantitatifs de la réforme sont importants, ils estiment en revanche son impact qualitatif plus difficile à apprécier et notamment la « matérialité » du suivi. Ils avancent à cela plusieurs raisons, parmi lesquelles un mode de financement ne permettant pas de déterminer s’il est effectué ou non et le manque d’indicateurs concernant l’observance.
Si tous les syndicats s’accordent pour saluer un document historique pour la profession et des recommandations sur la plupart desquelles ils se disent « alignés », Richard Darmon, président du Synea, trouve « regrettable la multiplication des incitations à davantage de contrôles ». « Elle donne l'impression d'une certaine méfiance sur la qualité du travail des audioprothésistes, commente-t-il. L’approche est compréhensible, mais c’est oublier la culture de qualité de notre métier, en particulier sur les prestations de suivi. Elle se traduit dans des indicateurs comme le taux de satisfaction des patients français – parmi les plus hauts d’Europe, selon l’étude Eurotrak de 2018. Si le niveau d’observance est aussi élevé en France, c’est que le travail est bien fait. »

L’absence d’évaluation de la matérialité du suivi est difficilement acceptable et requiert des mesures de correction immédiates.
Rapport Igas/IGÉSR

Des outils pour garantir le suivi

Le niveau d’observance et la satisfaction des patients constituent très certainement les marqueurs de la réussite de la réforme dans le temps. Ils sont d’ailleurs bien identifiés par les auteurs du rapport comme les corollaires d’un suivi de qualité. Un questionnaire de satisfaction simplifié est l’un des outils dont la mise en place est jugée prioritaire. Autres recommandations : la création pour les patients d’un droit opposable à deux rendez-vous de suivi annuels et la normalisation du compte rendu d’appareillage. La télétransmission des prestations de suivi, qui était la condition de l’indissociabilité tarifaire entre l'appareil et le suivi au moment des négociations de 2018, est, elle aussi, considérée comme prioritaire. Et ce, même si elle a nettement progressé en 2021 (362 000 contre 13 000 en 2020), du fait des rappels à l’ordre du ministère de la Santé, relayés par les syndicats d’audioprothèse. Richard Darmon, se veut rassurant : « Après une mise en place compliquée par des problèmes techniques, elle devrait encore progresser en 2022 ».

La dissociation est écartée mais...

Pour ceux qui ne se plieraient pas à cette exigence, les inspecteurs prévoient « un reversement d’une partie du forfait en fonction de la matérialité du suivi ». Autrement dit : sans remettre totalement en question le principe, essentiel pour le secteur, de l’indissociabilité du prix de l'appareil et de son suivi, ils proposent d’ajuster la rémunération des audioprothésistes en fonction du service effectué. La mesure soulève la réaction des syndicats. « L’hypothèse consistant à contrôler, au bout de plusieurs années, si le suivi a été réalisé de façon adéquate – en appliquant au besoin des sanctions financières – nous paraît à la fois complexe et inefficace, commente Luis Godinho, président du SDA. Ne vaudrait-il pas mieux garantir cette exigence dès le début de la prise en charge par la mise en place de règles de bonnes pratiques comme nous en avons proposé aux pouvoirs publics et qui font par ailleurs l’objet de recommandations de l’Igas ? Un contrôle a posteriori, c’est trop tard en termes de qualité de soins et d’observance et donc de perte de chance. » Le président du Synea considère, pour sa part, que c'est « une base de travail intéressante ». « La proposition des inspecteurs préserve un système forfaitaire qui a fait ses preuves et qui maintient le rôle central de l’audioprothésiste dans le parcours du patient, ajoute-t-il. Une telle approche, prévoyant un malus et un bonus en fonction de la matérialité des prestations réalisées, sur l'ensemble de la cohorte suivie, mérite d'être approfondie. »

La nécessité d'un contrôle plus efficace

Ce n’est pas tout. À ces outils de contrôle de la qualité du suivi s’ajoutent également des mesures propres à répondre à de possibles dérives. « L’attention de la mission a été appelée à plusieurs reprises sur diverses infractions : incitation à la prescription d’aides auditives à des médecins généralistes, exercice illégal de la profession d’audioprothésiste, appareils de classe I vendus avec des restes à charge importants moyennant la vente de suppléments non réglementaires, faible présence des audioprothésistes dans les centres, pratique déloyale ou mensongère en matière de promotion… », est-il écrit dans le rapport. C’est ainsi que deux recommandations (4 et 5) concernent directement le renforcement des contrôles de la DGCCRF, des CPAM-ARS voire de l'ANSM. La DGCCRF vient d’ailleurs d’achever une enquête, dont les résultats seront rendus publics prochainement et au cours de laquelle 700 contrôles ont été réalisés dont environ 20 % chez des audioprothésistes (lire Les chiffres clés du rapport Igas/IGÉSR).

Les inspections générales jugent par ailleurs qu’il faut surveiller certaines pratiques promotionnelles sans toutefois valider les pistes en faveur d’une interdiction totale de la publicité. Ce qui laisse Luis Godinho sur sa faim : « Nous avons le sentiment que les auteurs n’ont pas eu le temps d’aller au bout des conclusions à tirer sur les dérives de certains acteurs en termes de communication ». Richard Darmon juge, au contraire, qu’il y a déjà beaucoup de règles, « ce qu’admet la mission elle-même », précise-t-il. « La publicité est, aujourd’hui, très encadrée pour la sécurité des patients et des consommateurs en général, poursuit le président du Synea. Bien sûr, nous considérons qu’une publicité trompeuse ou incitant à une consommation excessive ou inutile d’un dispositif médical n’est pas acceptable. Si nous nous mettons tous autour de la table, et nous l’avons fait pour la nouvelle convention, nous pourrons établir une forme de doctrine sur ce qu’il faut absolument éviter. Les échanges avec l’Uncam, dans le cadre de la convention, nous paraissent d’ailleurs un bon endroit pour le faire. »

Des indices de sur-appareillage

D’autres indicateurs ont attiré l’attention des inspecteurs. Le taux d‘appareillage bilatéral en fait partie. Ce dernier a en effet bondi en 2021 (et il était déjà parmi les plus hauts d’Europe), atteignant 88 %. Une anomalie faisant craindre une « possible mauvaise pratique de certains acteurs de la filière, qui auraient pu appareiller certains patients en stéréo sans nécessité sanitaire avérée ». « Le taux de stéréophonie, qui normalement avoisine les 80 %, a atteint des niveaux inconnus dans le reste de l’Europe y compris dans des pays où les appareils sont bien remboursés depuis longtemps, confirme Luis Godinho. C’est un des indices qui nous font penser qu’il y a un effet d’aubaine. La publicité agressive n’est pas là pour procurer le bon soin à la bonne personne, mais pour faire consommer un maximum dans un contexte d’asymétrie d’information avec le patient. »

Ce « sur-appareillage » est la raison pour laquelle la mission s’est prononcée contre le renouvellement par les audioprothésistes, une proposition qui avait été émise par le Synam, dont la contribution figure intégralement en annexe du rapport. « Environ 49 % des renouvellements sont prescrits par des médecins généralistes, explique Marc Gréco, président du Synam. En 30 ans de carrière, je n’ai jamais vu un MG refuser un renouvellement d’appareillage. Nous voulions donc leur faire gagner du temps. » Cette proposition ne passera donc pas ; le Synam se console car c’est l’une des seules du syndicat qui n’a pas été reprise dans le rapport.

Des règles et des décrets

L’ambiguïté contenue dans le caractère mixte de l’audioprothésiste, à la fois professionnel de santé et commerçant, a sans doute aussi contribué à inciter les inspecteurs de l’Igas à pousser à un encadrement plus strict de la profession et à fixer, par décret, des règles professionnelles afin, entre autres, de « limiter au maximum les risques de conflit d’intérêts ». Cette recommandation, dont les inspections plaident pour une mise en œuvre en 2022, réjouit Luis Godinho : « C'est un motif de grande satisfaction pour le SDA, d’autant plus que cela est préconisé d’évidence par la première mission centrée sur l’aspect sanitaire et social sur notre secteur. » Richard Darmon approuve, quant à lui, le souhait des inspecteurs « que la rédaction d’un tel décret soit réalisée sur la base d’un consensus entre les trois organisations représentatives de la profession ».

Les inspecteurs souhaitent par ailleurs que le rôle de l’audioprothésiste, ainsi que celui de ses collaborateurs, soient mieux définis et que les champs de compétences soient étendus. À ce sujet, le Synam émettait la proposition que l’audioprothésiste puisse « venir en appui du médecin généraliste pour faire les tests de la primo-prescription, le praticien se basant sur ces mesures pour établir sa prescription, sans avoir l’obligation de s’équiper de matériel lourd et coûteux ». Si cette solution n’a pas été retenue par la mission (ni exclue), les inspecteurs ont envisagé la création d’un « master orienté explorations fonctionnelles permettant de prendre en charge sous la supervision d’une équipe médicale les mesures électrophysiologiques et les évaluations dans les domaines de l’audition et des troubles vestibulaires » (lire l’article Pour une évolution « rapide » de la formation des ORL et des audioprothésistes). Dans le rapport, c’est surtout l’articulation entre l’audioprothésiste d’une part et son assistant et son technicien d’autre part qui est étudiée. « [Un décret de compétences] pourrait inclure une définition du rôle et des tâches des milliers d’assistants audioprothésistes. » Cette proposition convient au Synea et au Synam : « L'afflux de nouveaux patients nécessite que la filière se réorganise, pourquoi pas avec un nouveau profil professionnel », commente Marc Greco. Le président du SDA se dit également satisfait de cette recommandation mais, il précise : « Je considère qu’il faut surtout adopter un décret définissant les actes réservés aux audioprothésistes. Ce texte devra également déterminer si une personne n’ayant pas la qualité d’audioprothésiste sera autorisée à réaliser ou non une audiométrie. » Cette question d’une possible délégation de tâches aux assistants promet de nouveaux débats à venir mais c’est une des pistes envisagées pour répondre aux besoins sur le terrain.

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