Audiologie Demain (AD) : Pourquoi la mise en place de cette formation tarde tant ?
Pr Hung Thai-Van (HTV) : C’est un travail qui a nécessité des réunions régulières entre le CNP d’ORL et le CMG, en présence notamment de représentants de la DSS, et cela dès 2020. Nous avions déjà convenu il y a quinze mois des fondamentaux de cette formation.
Pr Paul Frappé (PF) : Toutes les évolutions du champ de compétences des différentes professions de santé médicales ou non médicales donnent lieu à des craintes – qui parfois relèvent du fantasme et parfois sont tout à fait fondées –, à des crispations corporatistes, à des inquiétudes concernant la pertinence de soins. Le retard est à la hauteur des enjeux. Mais nous sommes parvenus à un accord, ce dont nous sommes très satisfaits.
Deux actions DPC déposées à l'ANDPC par ORL-DPC
- Diagnostic et prise en charge des presbyacousies chez les patients de plus de 60 ans : 7h en présentiel et 2h à distance. N° d’enregistrement : 44372200042
- Diagnostic et prise en charge des presbyacousies chez les patients de plus de 60 ans, en classe virtuelle synchrone (en cas de contraintes sanitaires) : 2 fois 3h30 en classe virtuelle synchrone, durée et 2h à distance. N° d’enregistrement : 44372200043
AD : Qu’avez-vous convenu exactement ?
PF : Tout d’abord, et cela très rapidement, de la nécessité de se former pour apporter un vrai service aux patients qui rencontrent des difficultés d’accès aux aides auditives. Et, nous convenons également que le prescripteur doit être le testeur, même si spontanément les MG considéraient que les examens pouvaient être réalisés par d’autres.
Avec les ORL, nous avons rapidement fixé les pré-requis pour qu’un MG puisse faire une prescription d’audioprothèse. Nous avons convenu notamment qu’il ne pouvait s’agir que des plus de 60 ans présentant une presbyacousie. Le deuxième point d’accord était d’établir que cette formation était possible via les DU et DIU existants d’une part et via un programme de DPC d’autre part.
Après un certain nombre de discussions, nous sommes parvenus à déterminer ensemble le contenu de ce programme en déterminant qu’une seule journée ne pouvait suffire. Il se présente en trois étapes : une formation e-learning initiale qui permet de se réimprégner de quelques grands fondamentaux, une formation présentielle prolongée par une coopération très pratique sur le terrain autour d’un binôme MG-ORL auprès de patients réels. C’est une base commune qui doit permettre un bagage uniforme et de qualité sur tout le territoire. La maquette va être transmise à tous les organismes de DPC.
HTV : Cibler le patient de plus de 60 ans est en accord avec le rapport de l’Igas sur la filière auditive, qui insiste sur l’importance de la prise en charge de la presbyacousie. Nous nous sommes accordés sur un arbre décisionnel (voir ci-dessous). Il est très important car il cimente le partenariat entre les spécialistes de MG et d’ORL. Il satisfait au mieux les aspirations de notre spécialité ORL en termes de santé publique car il permet de différencier, sur critères cliniques, ce qui s’apparente à une presbyacousie et ce qui ne l’est pas. Cet arbre décisionnel a été nourri des données de la littérature [1] et des bonnes pratiques validées récemment par des agences de santé telles que le NICE au Royaume-Uni et ne répond en rien à quelque intérêt corporatiste.
AD : Quels sont les fondamentaux de la primo-prescription d’un appareillage auditif ?
PF : Ils doivent permettre aux MG d’évaluer la situation audiologique de leurs patients et d’organiser leur prise en charge dans une démarche de type « Go/no Go ».
HTV : Ils reposent sur le respect de l’arbre décisionnel et sur les résultats de l’interrogatoire, les données de l’examen clinique puis de l’évaluation auditive. Celle-ci doit être réalisée par le prescripteur. Toute anomalie otoscopique non résolue ou relevée à l’acoumétrie doivent orienter vers un avis spécialisé. De même, la mesure des seuils audiométriques doit se faire en conduction aérienne et osseuse, avec assourdissement controlatéral. À ces tests il faut ajouter la mesure de la compréhension de la parole dans le silence et dans le bruit, qui permet d’objectiver l'un des nouveaux critères d’éligibilité à l’appareillage.
AD : Quid de l’équipement, dont le coût peut paraître rédhibitoire pour les MG ?
PF : C’est un point qui a donné lieu à beaucoup de discussions. La question est de savoir si l’investissement de plusieurs dizaines de milliers d’euros est nécessaire. L’achat d’une cabine insonorisée n’est pas accessible à tous les MG. On peut également se demander si imposer ce type de matériel ne va pas encourager certains praticiens à en faire une activité quasi exclusive pour rentabiliser l’investissement. Ce n’est pas l’objectif. Il est important qu’ils continuent à rendre un service de médecine générale sinon on risque de dégrader l’offre de soins, au lieu de l’améliorer.
Est-ce que l’absence de cabine insonorisée diminue la qualité des soins ? Nous n’avons pas de données à ce sujet. Mais, pour éviter tout risque de sous-prescription, nous avons convenu avec les ORL que les MG ne disposant pas de cet équipement devront réorienter les patients présentant des troubles cognitifs débutants vers les ORL.
HTV : Cette disposition émane de nos derniers échanges avec le CMG, en décembre 2021, car les troubles cognitifs rendent difficiles la réalisation et l’exploitation des mesures [le prochain numéro d’Audiologie Demain présentera les recommandations de la SFORL et de la SFA concernant le parcours de soins des patients presbyacousiques et notamment leur évaluation cognitive]. Concernant l’équipement, le consensus formalisé d’experts de la SFORL, publié en 2016, définit les conditions de réalisation et le matériel. Pour l’examen en champ libre, la configuration minimale consiste en un haut-parleur placé à un mètre du patient à hauteur de visage et diffusant signaux de parole et de bruit.
AD : Les MG ont jusqu’au 30 septembre 2022 pour se former à l’otologie médicale. Est-ce réaliste ?
PF : Oui, c’est imaginable. Il faut désormais que les ODPC s’organisent et que l’information diffuse auprès de nos confrères. Nous sommes attachés au fait que les MG soient formés par des MG et que la formation soit adaptée aux besoins. On ne doit pas se tromper de cible ni d’objectif pédagogique. L'idée n’est pas de créer une cohorte de mini ORL. Ce qui importe, c’est de former les MG à la prescription d’audioprothèses pour les personnes de plus de 60 ans qui en ont besoin.
HTV : Mi-janvier, nous avons envoyé ce protocole, fruit d’un commun accord, à la DSS-FSS, à la DGOS et à l’ANDPC. Nous avons finalisé le référentiel de formation et, le 5 janvier, ORL-DPC a déposé deux actions DPC dans le but de démarrer au printemps prochain. La première associe cours en présentiel et à distance, l’autre remplace le présentiel, Covid oblige, par une session virtuelle synchrone.
AD : Le rapport de l’Igas sur la filière auditive suggère de reporter cette disposition jusqu’à ce qu’un « nombre suffisant [de MG] soient formés et équipés ». Ce quota est-il déterminé et n’est-ce pas une dérogation sine die ?
HTV : Il est difficile aujourd’hui, en l’absence notamment de données épidémiologiques robustes, de déterminer le nombre nécessaire de MG à former pour pouvoir satisfaire les besoins de santé publique.
PF : Je ne sais pas quel serait ce nombre seuil. Ce qui est sûr c’est qu’il va falloir un peu de temps pour que les MG se forment et que l'on commence à avoir une cohorte de professionnels en capacité de faire cette activité. Nous communiquerons sur la date butoir du 30 septembre 2022, sans évoquer de seuil à atteindre. Une telle condition ne permettrait pas de bouger les choses et de déclencher la démarche de formation des MG. En parallèle, il faudra réfléchir à ce quota, s’il y a lieu d’en définir, et bien s’assurer que les professionnels formés ne se concentrent pas dans des lieux où les ORL sont en nombre suffisant. Cela n’aurait pas de sens. Un seuil ne vaut que s’il répond à un besoin.
AD : Ne peut-on d’ores et déjà identifier les quelques milliers de MG qui prescrivent des aides auditives de manière régulière et les inciter à se former ?
PF : La médecine générale est une spécialité très morcelée qui recouvre une multitude de profils. nous ne connaissons donc pas précisément l’activité de chacun. Avec les parcours triennaux de DPC et la certification périodique à venir, nous allons progressivement obtenir cette granularité. Ce n’est que lorsque nous aurons un contact direct avec les MG que nous pourrons efficacement agir lors de ce type d’évolution réglementaire et identifier ceux qui auront déclaré faire de l’audiométrie. Quant à l’incitation, elle existe déjà. C’est une obligation réglementaire. Au-delà du 30 septembre 2022, les MG qui voudront continuer de prescrire des audioprothèses devront être formés, soit via un DU ou DIU, soit par DPC.