21 Décembre 2023

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Suivi des implantés cochléaires : peut mieux faire

Délais de rendez-vous parfois excessifs, centres éloignés, qualité des réglages hétérogènes… Le suivi des patients implantés cochléaires est loin d’être optimal. Avec une population implantée en forte croissance, il apparaît nécessaire de mieux organiser l’après-chirurgie.

Par Violaine Colmet-Daâge
suivi

Selon deux enquêtes menées par le Centre d’information sur la surdité et l’implant cochléaire (Cisic), la satisfaction des patients implantés cochléaires a chuté entre 2012 et 2020, passant de 67 % de patients se déclarant « satisfaits » voire « très satisfaits » à 62 %. Même constat pour la qualité de l’écoute après implantation, près des trois quarts des utilisateurs (72 %) la jugeaient « naturelle » ou « presque naturelle », en 2012, pour descendre à 64 %, 8 ans plus tard. « Pourtant, les processeurs proposés par les fabricants ne cessent de s’améliorer », souligne la présidente du Cisic, Catherine Daoud. La raison de ce recul de la satisfaction des patients implantés cochléaires : un suivi post-implantation en peine.

Un suivi complexe

Sur le papier, pourtant, tout semble bien huilé. En effet, l’arrêté du 2 mars 2009 pose clairement le cadre : il revient aux centres implanteurs d’assurer le bilan pré-implantation, l’implantation, mais également le suivi des patients et les réglages, ainsi que l'information des patients et le développement de réseaux de professionnels de santé et d'associations de patients.

Mais la réalité est plus complexe. En 2020, moins de la moitié des patients implantés (47 %) recevaient une convocation annuelle pour leur suivi. Les patients réclament pourtant que cette mesure soit généralisée. Et les délais pour obtenir un réglage ponctuel étaient très variables, de 8 jours aÌ€ 6 mois, selon les régions. De même que le temps dédié au suivi : dans les cas les plus extrêmes, seules 10 minutes lui étaient consacrées. Une expérience d’autant plus mal vécue que la moitié des patients habitent à plus de 50 km du centre d’implantation. La qualité du réglage n’était d’ailleurs pas toujours au rendez-vous : plus d’un tiers des patients (37 %) rapportaient une résonance et 14 % un écho dans leurs appareils. En cause : « un manque de personnes formées, mais également une grande disparité des niveaux techniques des régleurs d’implants cochléaires », a averti Catherine Daoud, devant la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et technologies de santé (CNEDiMTS), en mars 2019.

Concernant la rééducation, si globalement, tous les patients y ont accès, « de très nombreuses personnes rapportent des difficultés à trouver un orthophoniste capable de les prendre en charge », ajoutait-elle. Et « celles-ci semblent s’aggraver au fil des années ». En outre, le contenu des séances de rééducation restait « très hétérogène », avec un manque d'attention porté à l’usage du téléphone en milieu bruyant, aux conversations de groupe ou à l’écoute de la musique. Le Cisic déplore enfin le manque d’éducation thérapeutique. Dans son enquête réalisée en 2020, seule la moitié des patients recevaient des informations sur les aides techniques (45 %) et les accessoires (53 %) au cours de leur rendez- vous de suivi.

La situation ne devrait pas s’améliorer, car chaque année, environ 1 600 personnes sont implantées en France – et ce chiffre pourrait être bien plus important si patients et professionnels de santé étaient mieux sensibilisés (lire l'article L’implant cochléaire, une solution encore trop ignorée). Cette cohorte vient grossir les rangs des patients à suivre sur le long cours : ils seraient au moins 20 000, répartis entre les quelque 35 centres implanteurs, en métropole et outre-mer. Le suivi pourrait donc vite devenir embolisant pour ces centres, qui disposent chacun d’un protocole distinct.

Une organisation hétérogène

Théoriquement, le réglage, qui commence à l’activation et se poursuit tout le suivi proprement dit, doit être réalisé par un médecin. Dans les faits, il est délégué à des ingénieurs biomédicaux, des orthophonistes et surtout à des audioprothésistes, sous supervision médicale. Comme la rééducation, ils peuvent toutefois être réalisés dans des centres satellites, par des professionnels impliqués « dans un réseau de soins », a précisé la DGOS, dans un avis du 1er mars 2023. La composition des équipes reste à la discrétion des centres. Dans certaines régions, elles sont étoffées, ce qui permet par exemple « de demander l’avis d’un autre régleur sur les cas difficiles », explique le responsable de l’équipe otologie et neuro-otologie au CHU de Montpellier, le Pr Frédéric Venail.

Le centre montpelliérain a en effet pris le parti de proposer aux patients d’être suivis par le même duo régleur-orthophoniste. Une organisation qui préprésente l’avantage de permettre de détecter rapidement une perte de performance et de garantir au patient une continuité du réglage, « qui comporte une petite part d’artisanat ».

Malheureusement, ces organisations bien huilées ne sont pas généralisées. Si dans les « gros » centres, les régleurs disposent d’une activité au minimum à la journée, permettant une réelle intégration à l’équipe, d’autres ne peuvent leur proposer que de courtes vacations. « Parfois de l’ordre de deux heures par semaine, voire du travail bénévole », déplore Antoine Bourgeois, audioprothésiste régleur et trésorier du Géorric (Groupe d’étude sur l’optimisation de la rééducation et des réglages de l’implant cochléaire). Ce n’est pas étonnant : l’hôpital public connaît des heures sombres et, par ailleurs, les financements destinés aux centres implanteurs pour la rééducation et le suivi « n’ont pas augmenté depuis 20 ans alors qu’ils devaient, à l'origine, suivre l’évolution des cohortes », déplore le Pr Bernard Fraysse, ORL à la Clinique Rive Gauche de Toulouse et membre de la CI Task Force. Pire, ils ne parviennent pas toujours à destination et partiraient « combler les déficits d’autres services », fustige le Pr Sébastien Schmerber, chef du service ORL du CHU de Grenoble. « C’est une punition pour les centres qui travaillent, a fortiori pour ceux qui travaillent bien », ajoute-t-il. Conséquence : certains établissements n’ont pas les ressources nécessaires pour recruter les régleurs expérimentés de façon pérenne et assurer un suivi efficient.

Pourtant, « le réglage est un process qui prend du temps, insiste la présidente du Cisic. Au début, la fenêtre d’écoute est très faible mais elle va s’élargir au fur et à mesure. Par exemple, réapprendre à téléphoner nécessite de nombreuses séances. Aujourd'hui, malheureusement, les réglages sont sans finesse. On met la même chose à tout le monde. » Ce temps consacré au réglage est d'autant plus important pour les enfants.

Quelles solutions ?

Face à une file active de patients toujours plus longue, il paraît nécessaire de repenser le suivi et trouver des solutions complémentaires pour absorber la montée en charge de manière qualitative. Premier impératif : doter chaque centre d’un pool de régleurs bien formés, notamment dans les grands centres dont les files de patients s’allongent. Dans cette optique, le statut des régleurs doit être clarifié, en définissant précisément quel professionnel peut accéder à ce poste et pour quel standard de formation, mais également valorisé pour attirer les audioprothésistes – l’acte stagne à 91 € depuis plus de 15 ans... « Aujourd’hui, le statut de régleur d’implant n’existe pas à l’hôpital. Les professionnels sont rémunérés sur des vacations, avec un statut de technicien », déplore le Pr Venail. En Allemagne, ce sont des audiologistes – spécialité qui n’existe pas en France – qui se chargent de l’évaluation technique de l’audition. En outre, les centres y sont très développés. « Dans le centre d’implantation de Hanovre, 20 à 30 personnes s’occupent du suivi à temps plein ! », souligne Michel Beliaeff, directeur de MED-EL France. En Suisse, des ingénieurs biomédicaux interviennent dans les centres. Ils connaissent l’ensemble des technologies et ne sont affi liés à aucune firme en particulier.

Les financements destinés aux centres implanteurs pour la rééducation et le suivi n’ont pas augmenté depuis 20 ans alors qu’ils devaient, à l'origine, suivre l’évolution des cohortes.

Pr Bernard Fraysse, membre de la CI Task Force

Se rapprocher des patients

Le recours à la télémédecine et au téléréglage est également à l’étude pour fluidifi er le suivi. « Certains patients viennent alors que leurs implants sont parfaitement réglés », souligne le Pr Venail. La télémédecine pourrait permettre d’identifier les patients qui ont réellement besoin d’un réglage en présentiel. Des rendez-vous de téléréglage pourraient aussi être envisagés, depuis le domicile du patient ou d’un centre agréé et de proximité disposant du matériel adéquat. Théoriquement, les centres implanteurs peuvent d’ores et déjà s’emparer de ces solutions. Mais ces nouvelles pratiques demandent de repenser l’organisation des soins et de s’approprier de nouvelles méthodes, alors que les professionnels manquent déjà de temps. Surtout, ces actes ne bénéficient pour l’heure d’aucune cotation particulière auprès de l’Assurance maladie, les centres attendent cette clarification administrative pour pouvoir les ajouter à leur panel de soins. À noter que des rendez-vous en présentiel au centre implanteur resteront toutefois nécessaires pour assurer le suivi médical ou certains actes techniques, comme vérifier que le microphone n’est pas encrassé.

Autre option sur la table : le développement de centres satellites. Actuellement, la rééducation menée par les orthophonistes s’organise fréquemment en dehors du centre implanteur. « C’est une bonne chose et il ne faut pas revenir dessus », estime le Pr Venail. Mais pourquoi ne pas étendre ces pratiques aux réglages et à l’éducation thérapeutique ? Sous la supervision des centres implanteurs, des antennes pourraient ainsi réaliser une activité de réglage principalement. Elles pourraient aussi proposer des ateliers d’éducation thérapeutique des patients, à proximité. « Cela permettrait de délester une partie de la fi le active des centres principaux », tout en maintenant un lien avec le centre implanteur qui assurerait le suivi médical.

En Occitanie par exemple, le CHU de Montpellier et l’Institut Saint-Pierre à Palavas-les-Flots travaillent main dans la main pour le suivi des patients, depuis le bilan pré-implantation jusqu’à l’après-chirurgie. Les enfants et les adultes implantés depuis moins de 2 ans bénéficient de « séjours implants » au CHU et à l’Institut. Si l’opération, l'activation de l’implant et le premier réglage se font au CHU, les patients bénéficient ensuite de la rééducation orthophonique, d’une évaluation des perceptions auditives et des réglages suivants à l’Institut Saint-Pierre. « Chaque patient est suivi par le même régleur qui intervient au CHU et à l’Institut », précise l’infirmière coordinatrice, au service audiophonologie de l’Institut Saint-Pierre, Alexia Gibert. Le centre de Grenoble s’est doté, quant à lui, d’une antenne à Annecy il y a six ans, « notamment pour pallier les difficultés d’accès dans l’arc alpin et la croissance démographique du département », explique le Pr Schmerber. « Même si elle permet une meilleure prise en charge sur le territoire, ce n’est pas la solution miracle, modère-t-il. De nombreux problèmes persistent et notamment le manque de moyens humains. »

La plupart de ces écueils sont identifiés de longue date et le Cisic, le Géorric et la SFORL ont émis un certain nombre de propositions [1]... mais la réaction des pouvoirs publics n’est pour le moment pas à la hauteur des attentes.

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Distance entre le lieu d'habitation et le centre d'implantation des patients. Source : Enquête Cisic, 2020
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