Implant cochléaire optique : « Nous espérons initier les essais cliniques fin 2025 »

L’implant cochléaire optique supplantera-t-il un jour son prédécesseur à stimulation électrique ? C’est l’espoir de Tobias Moser et de son équipe de l’université de Göttingen dont les travaux avancent sur deux fronts : la conception d’une thérapie génique pour rendre le nerf auditif photosensible et le développement du dispositif implantable qui permettra de stimuler par la lumière les fibres de ce nerf. Le point sur ces recherches captivantes.

Par Stéphane Davoine
prorype implant optique
Prototype d'implant optique réalisé par la société OptoGenTech.

Audiologie Demain (AD) : Comment est apparue cette idée un peu folle d’un implant cochléaire optique (oCI) ?

Tobias Moser (TB) : L’idée principale est que la lumière peut être bien mieux confinée dans l’espace que le courant électrique. Par conséquent, elle fournit une meilleure capacité de transmission des fréquences sonores de l’implant cochléaire vers le nerf auditif que ce qu’il est possible d’obtenir aujourd’hui. Le concept de l’optogénétique a été inventé au début du millénaire. Les canaux ioniques photosensibles, également appelés opsines (ou channelrhodopsins), en sont la structure moléculaire clé. C’est grâce à eux que le nerf auditif est rendu sensible à la lumière. Leurs propriétés peuvent être ajustées pour répondre aux besoins du système auditif en termes de stimulation neuronale. Mais bien sûr, les neurones ne sont pas naturellement photosensibles. Ce concept requiert donc une thérapie génique permettant aux neurones auditifs de produire par eux-mêmes l’opsine les rendant sensibles à la lumière.

AD : Il existe de nombreuses opsines et certaines ont été identifiées comme candidates pour l’implant optique. Quels critères guident le choix final et pourra-t-on disposer de plusieurs opsines ?

TB : Le premier critère est l’innocuité – par exemple, la phototoxicité de la lumière bleue étant supérieure à celle de la lumière rouge, il faut choisir une opsine sensible à cette dernière. Le second critère concerne les qualités intrinsèques de l’opsine – comme, la fidélité temporelle de la stimulation optogénétique du nerf auditif et la sensibilité à la lumière. Enfin, nous nous intéressons à un dernier critère : la disponibilité de données précliniques. En parallèle, notre programme de recherche académique continue à développer et caractériser de nouvelles opsines candidates à la restauration auditive, ainsi que pour d’autres applications.

AD : La procédure clé de l’oCI est l’administration de l’opsine aux neurones auditifs situés dans le ganglion spiral. Vers où s’orientent les études pour déterminer la méthode adéquate ?

TB : L’efficacité, la spécificité, la sécurité et la faisabilité chirurgicale sont des critères essentiels pour déterminer la voie d’administration de l’opsine dans le nerf auditif. Deux voies sont à l’étude. Une première consistant à administrer le vecteur viral directement dans le compartiment contenant les corps cellulaires des neurones du ganglion spiral – c’est-à-dire la route intramodiolaire. Une seconde utilisant le compartiment qui accueillera plus tard l’implant à stimulation optique, à savoir la rampe tympanique.

Je prédis que les aides auditives et les implants cochléaires demeureront les options principales dans les décennies à venir.

AD : Que savons-nous sur les risques de réactions immunitaires et de cytotoxicité liés à la modification optogénétique des neurones auditifs ?

TB : La cochlée est considérée comme un site de privilège immun : cela signifie que la barrière hématolabyrinthique et les propriétés immunologiques de ce microenvironnement y suppriment les réponses immunitaires. De manière encourageante, un premier essai clinique de thérapie génique utilisant un virus adéno-associé a montré un résultat satisfaisant en termes d’innocuité. Des travaux en cours analysent des questions relatives à la sûreté et à la stabilité de l’expression de l’opsine pour différentes espèces lorsqu’on utilise un virus adéno-associé comme vecteur viral, celui-ci ayant de meilleures caractéristiques de sûreté qu’un adénovirus*. Nos données préliminaires indiquent une expression sûre et stable de l’opsine.

Graphical abstract
La mise au point d’un implant cochléaire optique nécessite d’avancer sur deux fronts : la thérapie génique (via des vecteurs viraux) pour rendre le nerf auditif photosensible (flèche rose) et le développement du dispositif implantable qui permettra de stimuler par la lumière les fibres de ce nerf (flèche bleue).

AD : La phototoxicité est un autre obstacle...

TB : Oui, au-delà de sélectionner une opsine appropriée, le vecteur viral et sa méthode d’administration, la restauration auditive par optogénétique nécessite des avancées sophistiquées en optoélectronique pour la mise au point de l’implant optique. Historiquement, l’optogénétique emploie la stimulation par lumière bleue. Par conséquent, avec nos collaborateurs de Fribourg (Allemagne), nous nous concentrons sur le développement d’implants cochléaires optiques utilisant des micro LED bleues. De tels dispositifs permettent une remarquable densité d’émetteurs et ont été utilisés avec succès dans les études de restauration auditive par optogénétique. Toutefois, considérant les avantages de la lumière rouge – moindre dispersion et moindre risque de phototoxicité – et ceux des stimulateurs optiques passifs, nous avons initié, avec nos collaborateurs de Chemnitz (Allemagne), le développement d’un implant optique à conducteurs lumineux, pour lesquels la lumière est générée en dehors de la cochlée et acheminée en son intérieur par des conducteurs, similaires à des fibres optiques. Celle solution offre différents avantages tels qu’une plus grande stabilité dans le temps et l’absence d’élément potentiellement thermique dans la cochlée.

AD : L’oCI promet de meilleures performances que l’implant classique. Aujourd’hui, de quelles preuves disposons-nous concernant les avantages de l’oCI en termes de résolution spectrale, plage dynamique et propriétés temporelles ?

TB : Je me garderais bien d’avancer des chiffres pour le moment. Nos travaux précliniques indiquent que la résolution spectrale de l’oCI se rapproche de celle de l’audition normale pour les intensités faibles et modérées. La fidélité temporelle de la stimulation des neurones auditifs n’est pas éloignée de celle de l’audition acoustique, sans totalement atteindre ses performances ; mais elle se situe en deçà des performances de la stimulation électrique. Toutefois, il est à noter qu’à l’exception des stratégies de codage utilisant la structure temporelle fine, cette caractéristique n’est généralement pas exploitée par les implants cochléaires électriques. Finalement, étant donné que la stimulation directe lumineuse des neurones auditifs court-circuite les micromécanismes sophistiqués actifs et la codification synaptique des sons dans la cochlée, la gamme d’intensité est réduite comparée à la stimulation acoustique, mais est toutefois plus élevée qu’avec un implant cochléaire classique.

AD : Dans le futur, la restauration auditive pourrait se faire par des approches médicamenteuses, des thérapies géniques de remplacement des gènes défectueux ou l’utilisation de cellules souches. Quelle sera la place de l’oCI dans ce paysage ?

TB : Oui, c’est une période très excitante ! En fait, comme d’autres, mon équipe travaille activement au développement de la thérapie génique qui sera disponible pour certaines formes de surdités génétiques. Néanmoins, je prédis que les aides auditives et les implants cochléaires demeureront les options principales dans les décennies à venir, car ces solutions permettent une restauration partielle de l’audition, quelle que soit la pathologie cochléaire.

AD : Quelles sont les prochaines étapes du développement de l’oCI et dans combien de temps un lancement commercial est-il envisageable ?

TB : Il nous reste beaucoup de paliers à franchir pour le développement et les procédures d’enregistrement auprès des autorités sanitaires, que ce soit pour la thérapie génique ou le dispositif implantable. Nous espérons initier le premier essai clinique fin 2025.

* Les virus adéno-associés et adénovirus sont deux types de vecteurs utilisés en thérapie génique. Les virus adéno- associés ont comme avantages de très peu activer le système immunitaire et de permettre l’expression d’un gène durablement dans les cellules hôtes.

Nous remercions Antoine Huet, post-doctorant au sein de l'équipe de Tobias Moser, pour sa relecture.

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