Si l’implant cochléaire a fait ses preuves en matière de réhabilitation auditive, l'opération ne se fait pas sans quelques désagréments. « L’insertion provoque un traumatisme chirurgical, ce qui crée une réaction inflammatoire, explique Philippine Toulemonde, interne en ORL dans le service du Pr Christophe Vincent (CHU de Lille) et chercheuse au sein de l’unité Systèmes avancés de délivrance de principes actifs de l’Inserm. De plus, l’implant cochléaire est un corps étranger et il est reconnu comme tel par l’organisme, qui réagit. De la fibrose va se former à la surface du porte-électrodes. » Cette barrière est un obstacle supplémentaire entre les électrodes et les fibres auditives du ganglion spiral que l’implant doit stimuler. « En conséquence, on observe une augmentation de l’impédance – c’est-à-dire la résistance électrique du système, poursuit l’interne. Plus elle est élevée, plus il faut de puissance électrique pour faire fonctionner l’implant, ce qui peut être délétère pour l’audition. »
Audition résiduelle
En outre, la fibrose des tissus, qui limite la vibration de la membrane basilaire, ou l’apoptose de certaines cellules peuvent provoquer une atteinte de l’audition résiduelle du patient. « L'extension progressive des indications de l’implant cochléaire a conduit à l‘augmentation du nombre de patients présentant une audition résiduelle dans les basses fréquences », constate Teresa Melchionna, de MED-EL. Le fabricant autrichien a fait de la préservation de l’audition résiduelle une de ses priorités, en offrant notamment un très large portefeuille de porte-électrodes. Chez ces patients, il est alors possible de proposer une réhabilitation électro-acoustique. « Les avantages incluent une meilleure audition dans le bruit et dans le calme, et une meilleure localisation spatiale, rapporte-telle. De plus, la préservation de l'audition des basses fréquences est importante pour l'appréciation de la musique chez les patients porteurs d'implants électro- acoustiques. »
Les scientifiques cherchent donc des moyens de limiter ces phénomènes de fibrose et d’inflammation. « D’importants progrès ont été réalisés pour réduire la iatrogénie, rapporte Philippine Toulemonde : la généralisation de l'implantation via la fenêtre ronde, l'utilisation de lubrifiants, la mise au point de systèmes d'insertion par les industriels, ou encore de robots chirurgicaux... »
L’apport des médicaments
La pharmacologie est un autre champ d'exploration. Dans ce domaine, une molécule fait l’objet d’une attention toute particulière : la dexaméthasone (qui a été mise récemment sur le devant de la scène pour sa prétendue efficacité contre la Covid). Il s’agit d’un glucocorticoïde (aux propriétés anti-inflammatoires) qui est à l’étude depuis plus de dix ans pour préserver les structures de l’oreille interne lors de et suite à l’insertion d’un implant cochléaire [1]. Elle est d’ailleurs utilisée par voie intratympanique lors de surdité brusque et, parfois, de façon systémique, en intraveineuse. Mais, dans ce cas, du fait de la barrière hémato-labyrinthique, son efficacité est limitée. Certains chirurgiens l’utilisent aussi localement au moment de l’implantation, mais cela ne permet pas d'obtenir une action dans la durée. Il faut donc trouver un autre moyen de l’administrer.
Les industriels sur les rangs
Les fabricants d’implants cochléaires se sont emparés de cette thématique. Et les résultats de leurs recherches commencent à être dévoilés. En février 2021, Cochlear annonçait ainsi être sur le point de lancer un essai clinique aux États-Unis et en Australie [2]. Le but : tester l’efficacité d’un porte-électrodes à élution de dexaméthasone, ce qui signifie qu’il comporte des poches de silicone remplies de médicament, et que celui-ci se déverse passivement dans la rampe tympanique.
De son côté, Oticon Medical participe à des travaux réalisés par l’équipe lilloise du Pr Christophe Vincent (avec Philippine Toulemonde) et l’unité Systèmes avancés de délivrance de principes actifs de l’Inserm. Dans une étude récente, ces scientifiques ont mis au point une technique d’imagerie non invasive (sans dissection) permettant d’observer la fibrose due à une implantation cochléaire [3]. « C’est important car sans cela, les traumatismes générés par la dissection peuvent être faussement interprétés comme de la fibrose ou de la perte cellulaire », explique Philippine Toulemonde. Cette technique a permis de montrer, sur quelques animaux, une réduction de la fibrose à dix semaines avec la dexaméthasone.
Essais cliniques en cours
Cet été, MED-EL a de son côté annoncé avoir lancé des essais cliniques en juin 2020 avec son porte-électrodes à élution de dexaméthasone baptisé DEXEL [4]. Ils sont menés par le Pr Thomas Lenarz, à la faculté de médecine d’Hanovre (Allemagne). « L'implant à élution de dexaméthasone ressemble à l'implant actuel augmenté de huit anneaux contenant le médicament, placés entre les contacts électriques, le long du porte-électrodes », décrit Teresa Melchionna. Une fois l’implant inséré dans la cochlée, le corticoïde est libéré dans la rampe tympanique de façon passive. « La dexaméthasone est progressivement éluée lorsque l'implant baigne dans la périlymphe, poursuit la chercheuse. La dose thérapeutique (la quantité efficace de médicament) et la fenêtre thérapeutique (la durée de l’élution) ont été établies par des recherches approfondies puis traduites pour un usage humain. » La fin de ces essais est estimée à avril 2022 [5], mais le fabricant ne se prononce par encore sur la date de sortie d’un produit commercialisable.
L’implant de demain
Par ailleurs, la dexaméthasone n’est pas la seule molécule testée avec l’objectif de réduire la fibrose et préserver l’audition résiduelle. En partenariat avec Cochlear, Sensorion est sur le point de lancer des essais cliniques également, avec son candidat médicament SENS-401 dont la molécule active est l’arazasétron [6]. « Ce composé appartient à la famille des sétrons, dont certains sont commercialisés pour leurs propriétés antiémétiques (contre les nausées) dans le cadre de chimiothérapie, détaille Géraldine Honnet, directrice médicale chez Sensorion. Mais l’arazasétron a été sélectionnée car elle dispose en plus d’une propriété anti-apoptotique. En préclinique, nous avons déjà des données d’efficacité de ce composé pour la préservation de l’audition face à des ototoxiques comme le cisplatine et pour traiter des surdités brusques ou neurosensorielles. Nous avons également obtenu des résultats positifs dans le cadre de l’insertion d’un implant, sur deux modèles animaux, notamment en ce qui concerne l’impédancemétrie. »
Sensorion et Cochlear conjuguent ainsi leurs efforts pour tenter de mettre au point un implant à élution de SENS-401. « Pour l'étude de preuve de concept, que nous allons lancer sur un petit nombre de patients, le SENS-401 est encore délivré oralement, explique Géraldine Honnet. Lors de la pose de l’implant, les OR L vont prélever de la périlymphe afin de mesurer les concentrations de SENS-401. L’objectif est ainsi d’en déduire la dose à introduire dans l’implant à élution. » Si les résultats sont concluants, des essais de phase 2 pourront alors débuter. Comme MED-EL, Sensorion ne veut pas s’avancer sur une date de disponibilité d’un tel produit. Mais il est évident que ces avancées technologiques seront proposées aux patients dans un futur proche.