À chaque surdité génétique sa thérapie génique

L’espoir suscité par les thérapies géniques des surdités se concrétise actuellement avec les premiers essais cliniques. L’approche utilisée pour DFNB9 ne sera toutefois pas applicable à toutes les pertes d’audition d’origine génétique. Tour d’horizon des différentes pistes.

Par Katia Delaval
mutation ge ne tique

Les premiers essais cliniques par thérapie génique marquent un tournant dans l’histoire du traitement des surdités. Mais ils n’en sont pas l’aboutissement et des défis restent à relever pour espérer un jour soigner d’autres surdités génétiques, qui touchent, aujourd’hui, une naissance sur 500 et pour lesquelles plus de 140 gènes ont déjà été identifiés.

Remplacer un gène non fonctionnel

Une des approches de la thérapie génique consiste à remplacer, spécifiquement dans les cellules cibles de l’oreille interne, un gène qui code une protéine dont l’absence ou le dysfonctionnement entraine une surdité. C’est l’approche utilisée pour DFNB9 (lire p. 30), et l’une de celles envisagées pour DFNB1, la surdité génétique la plus répandue, due à une mutation sur le gène GJB2. Cela concerne les formes récessives (c’est-à-dire pour lesquelles les deux copies du gène sont mutées), impliquant des mutations de type « pertes de fonction ». La copie fonctionnelle du gène est délivrée aux cellules cibles dans l’oreille interne via un vecteur – un virus désactivé. Avantage de poids : cette approche ne nécessite qu’une injection (en théorie). « Lorsque le vecteur thérapeutique cible les cellules sensorielles de l’oreille interne, ce qui est le cas pour DFNB9, nous envisageons que le traitement soit permanent », détaille Gwenaëlle Géléoc, chercheuse à l’hôpital pour enfants de Boston et à l’école de médecine Harvard.

« Notre laboratoire a également utilisé cette approche pour remplacer le gène Tmc1, dans un modèle murin invalidé pour ce gène et présentant une surdité », explique la chercheuse. Le gène Tmc1 chez la souris, comme son homologue humain (TMC1), code un canal mécanosensible des cellules ciliées, initiant la conversion des ondes sonores en signaux électriques. Chez l’humain, les mutations de ce gène sont responsables de 2,5 % des surdités génétiques dans le monde et sont récessives pour la plupart. « Les résultats que nous avons obtenus sont extrêmement encourageants, permettant un rétablissement de l’audition identique à celle des souris contrôle. Nous espérons, prochainement, développer un essai clinique visant ce gène », souligne-t-elle.


« Dans notre laboratoire, nous avons également obtenu des résultats très prometteurs chez la souris avec cette approche pour le gène Clrn2 dont des mutations sont en cause dans des surdités progressives et tardives de l’enfant, apparaissant après l’acquisition de la parole, détaille Aziz El-Amraoui, chercheur à l’Institut de l’audition. Des essais cliniques seraient envisageables mais ils sont onéreux et il est difficile de les financer car trop peu de patients sont affectés. »


Cette stratégie de remplacement génique ne pourra toutefois pas s’appliquer à tous les gènes en cause dans les surdités génétiques. Une limite est notamment la taille de l’ADN corrigé, à apporter dans les cellules de l’oreille via des vecteurs de type adénovirus associé (AAV). Ces derniers ont en effet une capacité maximale d’empaquetage de 4,8 kilobases*. « Comme pour le gène Otof, il est possible d’injecter deux vecteurs simultanément, mais si l’on doit utiliser trois ou quatre vecteurs, l’efficacité de la thérapie sera gravement diminuée, précise la chercheuse. C’est pourquoi par exemple, nous ne pouvons envisager actuellement cette approche pour les mutations du gène USH2A, dont la taille dépasse 15 kilobases. » Des mutations de ce gène sont en cause chez la majorité des patients atteints du syndrome d'Usher (USH) et qui présentent une surdité et une cécité.

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Les « ciseaux génétiques »

« Pour ces grands gènes, des stratégies visant à corriger la mutation sans remplacer le gène peuvent être envisagées », ajoute Aziz El-Amraoui. Ces approches seront également utiles pour certaines surdités causées par des mutations dominantes, où une seule copie du gène muté suffit à entrainer la surdité. Il s’agira alors d’inactiver cette mutation dans l’oreille interne sans altérer l’expression de la copie fonctionnelle du gène.


Dans les cas où la surdité est causée par une mutation ponctuelle (c’est-à-dire une seule paire de base) et dominante, celle-ci peut être corrigée définitivement par édition génomique, en utilisant le système de « ciseaux génétiques » Crispr-Cas9 par exemple. « Cette approche, validée chez la souris, consiste à orienter une enzyme vers cette mutation dans le génome. Elle coupe le brin d’ADN afin d’inactiver cet allèle », détaille la chercheuse. « Notre équipe a ainsi réussi à restaurer l’audition chez des souris portant la mutation Beethoven du gène Tmc1, qui engendre une surdité progressive chez cet animal tout comme chez l’humain », illustre Gwenaëlle Géléoc.

Les thérapies à ARN

Autre technique : les thérapies à ARN permettent quant à elles de contrer les effets des mutations génétiques, récessives ou dominantes, en agissant plus en aval, au niveau de l’ARN messager (ARNm), qui est l’intermédiaire entre l’ADN (le gène) et les protéines. « On utilise pour cela des petits ARN, dont la séquence est complémentaire de la séquence mutée », explique Aziz El-Amraoui. En se fixant à l’ARNm muté, ces petits brins d’ARN peuvent empêcher la production de la protéine dysfonctionnelle ou modifier le cadre de lecture de l’ARNm de façon à donner naissance à une protéine corrigée. « Ces thérapies à ARN se sont déjà avérées efficaces dans le traitement des surdités chez la souris, ciblant des mutations spécifiques des gènes Gjb2, Tmc1 ou encore Ush1c », indique Gwenaëlle Géléoc. L’ARNm qui n’est pas porteur de la mutation n’est pas ciblé et est donc préservé, continuant ainsi à donner naissance à une protéine fonctionnelle. « Notre équipe utilise actuellement cette approche chez la souris pour une mutation du gène Ush2a, retrouvée dans la moitié des surdités humaines liées au syndrome d'Usher au Québec, illustre-t-elle. Les résultats sont prometteurs. »


L’avantage de ces thérapies est que les ARN sont faciles à produire et elles sont moins chères que les thérapies géniques ciblant l’ADN. « On peut donc facilement adapter cette approche aux différentes mutations d’un même gène, ce qui ouvre la voie à une médecine plus personnalisée », assure-t-elle. Elles nécessitent en revanche des injections répétées car le génome n’est pas modifié et les ARN utilisés sont progressivement dégradés par les enzymes présentent dans les cellules cibles. « Si les thérapies à ARN sont encore au stade préclinique pour les surdités, la Food and Drug Administration en a déjà autorisées 18 pour soigner différentes maladies, dont la myopathie de Duchenne », assure- t-elle. Ces approches pourraient bientôt être proposées aux patients dont l’origine génétique de la surdité a été identifiée.


Notons toutefois que la plupart de ces travaux ont été réalisés sur des souriceaux. La temporalité du développement de la cochlée étant différente de celle de l'humain, leur transposabilité est loin d'être certaine.

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