Le marché américain se prépare à la vague OTC

De nouveaux acteurs sont en train d’investir le marché américain de l’aide auditive. Ils proviennent du monde de l’audition ou, plus surprenant, du monde de l’électronique grand public, et proposent un nouveau modèle qui suscite de l’inquiétude.

Par Bruno Scala
vague OTC

« Nous pensons que les aides auditives n’ont pas connu la réduction de prix ou les innovations importantes que nous observons pour d'autres types d’électroniques grand public. » Cette phrase lapidaire est issue d’un communiqué écrit par les membres du PCAST (les conseillers en science et technique du président américain) et publié à la suite du rapport 2015 sur les aides auditives, dans lequel les conseillers du président Barack Obama préconisaient la création d’une nouvelle catégorie d’aides auditives OTC.

Ainsi, celle-ci doit améliorer l’accès à l’appareillage en autorisant l’achat sans prescription, mais aussi en réduisant le coût de ces aides auditives, et pour cela, les conseillers espéraient ouvrir le marché de l’aide auditive à de nouveaux acteurs, autres que le Big 6 (désormais Big 5, depuis la fusion de Signia et Widex).

Dans leur rapport, les membres du PCAST estimaient ainsi que « le prix inutilement élevé des appareils auditifs pour les particuliers et le rythme manifestement lent de l'innovation de leurs fabricants par rapport à d'autres appareils électroniques grand public sont les conséquences d'une industrie en place concentrée et de plus en plus intégrée verticalement, opérant dans le contexte de réglementations fédérales et étatiques de longue date qui semblent décourager les nouveaux entrants potentiels. Le PCAST recommande des actions spécifiques de la FDA et de la FTC [équivalents américains de la HAS et de la DGCCRF, NDLR] qui auraient pour effet d'ouvrir le marché aux technologies auditives innovantes et d'augmenter les possibilités de choix des consommateurs. »

hearX donne le ton

Si la catégorie OTC n'a pas encore été officiellement créée (lire l'article OTC : l’accessibilité à tout prix ?), certains acteurs se sont d'ores et déjà engouffrés dans la brèche. C'est par exemple le cas du groupe sud-africain hearX, qui propose depuis 2020 une aide auditive disponible en ligne : Lexie Lumen. Elle a été développée par l'entreprise américaine Intricon, qui fabrique des dispositifs médicaux en développement conjoint. La paire coûte environ 1 000 €, matériel de nettoyage et assurance inclus, ainsi que l’assistance téléphonique. À noter que l’utilisateur peut bénéficier d’une réduction s’il porte suffisamment ses aides auditives ! Un autre point d’intérêt – et on reconnait bien là la patte hearX qui est avant tout spécialisée dans la téléaudiométrie – réside dans le fait que le malentendant réalise un test auditif avant de pouvoir utiliser les appareils. Si la perte est trop importante, il sera orienté vers un professionnel de santé. De même si la perte auditive évolue de façon anormale. Aux États-Unis, des sociétés savantes ou des associations de patients plaident d’ailleurs pour que ce type de garde-fou soit inclus dans le cahier des charges de la future catégorie OTC.

L’arrivée de ce nouvel acteur marque un tournant et le modèle qu’il propose est novateur. Toutefois hearX était déjà connue dans le monde de l'audiologie.

lexie
Les aides auditives Lexie sont livrées avec tous les accessoires nécessaires à l’ajustement et l’entretien des aides auditives (ainsi que des piles et un mode d’emploi).

Bose fait le buzz

C’est moins le cas de Bose, qui a récemment annoncé la mise sur le marché de ses premières aides auditives, baptisées Sound-Control. Notons néanmoins qu’il ne s’agit pas du premier du secteur de l’électronique grand public à faire son entrée dans la réhabilitation auditive, puisque Philips commercialise également des audioprothèses, mais en partenariat avec Demant.

Comme Lexie Lumen, SoundControl est vendue sans prescription et en ligne, c’est-à-dire, direct-to-consumer (DTC). Autre surprise, cette aide auditive ressemble… à une aide auditive. Il s’agit d’un contour d’oreille et Bose prend ainsi le contre-pied de la tendance qui consiste à estomper la frontière entre aides auditives et hearables en concevant des audioprothèses ressemblant à des earbuds, comme l’a fait très récemment Signia avec son Active pro, ou en concevant des écouteurs dotés de technologie visant à améliorer l’expérience d’écoute, à l’image de nombreux acteurs ayant investi le marché américain (comme Nuheara ou Eargo).

SoundControl
Les aides auditives SoundControl de Bose.

Les SoundControl sont livrées avec de nombreux accessoires : différentes tailles de dômes (ouverts ou fermés), un mesureur pour déterminer la taille du câble, une petite brosse pour le nettoyage, ainsi qu’un boîtier pour le rangement. Elles sont destinées aux pertes légères à modérées et coûtent 849 $, soit 700 € la paire.

Aides auditives Bose SoundControl
Les aides auditives SoundControl de Bose se règlent via une application et deux « roues ».

DTC vs OTC

Le développement des SoundControl s’est accompagné de la création d’une toute nouvelle catégorie d’aides auditives aux États-Unis : les « aides auditives à conduction aérienne auto-réglables » (self-fitting air-conduction hearing aids). Il y a trois ans, en effet, Bose avait obtenu l’aval de la FDA pour développer ce produit en se soumettant à une procédure d’évaluation dite « de novo » dédiée, comme son nom l’indique, aux dispositifs médicaux n’ayant pas d’équivalent et ne pouvant donc faire l’objet d’étude comparée.

Ainsi, les aides auditives n’appartiennent pas à la catégorie des OTC (over-the-counter) qui, techniquement, n’existe pas encore, puisque la FDA doit dresser le cahier des charges de cette nouvelle catégorie, entérinée par Donald Trump en 2017. Tâche pour laquelle l’agence accuse un sérieux retard… Toutefois, quand cette catégorie verra le jour, les aides auditives SoundControl pourraient être requalifiées pour la réintégrer.

Et cela pourrait d’ailleurs avoir des conséquences importantes sur le marché. Car si la FDA décide de mettre les DTC et les OTC dans le même panier, il y a fort à parier que tous ces produits devront suivre la même voie que les SoundControl : apporter la preuve que les dispositifs sont sûrs et efficaces. Un obstacle administratif et technique qui pourrait dissuader les nouveaux acteurs, comme Eargo ou Nuheara. Aujourd’hui, leurs produits DTC ne sont pas soumis à une évaluation pré-commercialisation et leurs utilisateurs doivent simplement signer une décharge stipulant qu’ils renoncent à l’examen médical normalement nécessaire avant l’appareillage.

Niveau classe I

Côté technologie, les SoundControl de Bose et les Lexie Lumen de hearX ne présentent rien de révolutionnaire : elles fonctionnent avec des piles 312, elles n’offrent pas de streaming direct, les SoundControl ne sont pas dotées de bobine T. Elles disposent toutefois de microphones directionnels. On en sait un peu plus sur les Lexie Lumen qui disposent de 16 canaux avec WDRC, d’un réducteur de bruit du vent, d’un générateur de bruit pour les acouphènes, etc. Ces aides auditives sont compatibles avec les téléphones Android et iPhone, indispensables pour accéder à l’application permettant le réglage.

Et c’est ici que réside la principale nouveauté de ces aides auditives : elles ne nécessitent pas (forcément) l’intervention d’un professionnel de l’audition. Sur l’application Bose, l’utilisateur règle luimême ses appareils grâce à une interface : deux « roues » (voir photo ci-dessous), « qui correspondent de manière optimale au contrôle simultané du gain et de la compression dans chaque bande de fréquences », comme le décrivait le fabricant dans son étude clinique1.

Chez hearX, l’approche est un peu différente : l’utilisateur réalise un test d’audiométrie tonale sur 4 fréquences via l’application, et l’aide auditive se règle en conséquence. L’utilisateur a aussi la possibilité d’envoyer un audiogramme au service client qui ajustera les aides auditives à distance.

Pour qui, pour quoi ?

Finalement, à ces prix, et étant donné le niveau technologique, les SoundControl et les Lexie ne pourraient pas trouver leur place sur le marché français : elles ne parviendraient pas à concurrencer des appareils de classe I, entièrement pris en charge. Néanmoins, elles suscitent l’inquiétude des audioprothésistes, mais en raison de leur fonctionnalité auto-réglable. L’étude clinique portant sur les SoundControl, dans laquelle des patients étaient suivis par un audiologiste tandis que d’autres devaient effectuer leurs réglages seuls, via une application, montre en effet que les réglages finaux des deux groupes étaient assez similaires. Aux États-Unis, où les aides auditives ne sont pas prises en charge ou très peu, ce type de produits pourrait en revanche intéresser des malentendants en recherche d’autonomie et qui ne souhaitent pas passer par un audiologiste ou qui sont attirés par le relativement faible coût.

L’afflux de nouveaux acteurs sur le marché – sans compter tous ceux que nous n’avons pas évoqué ici – indique que la stratégie des décideurs américains a fonctionné. Ces acteurs sont même un peu en avance, puisque les produits sortent avant même que la catégorie OTC ne soit officialisée, et ce de manière pas toujours très légale. Un phénomène qui pourrait inciter la FDA à précipiter un peu la procédure de mise en place de cette catégorie.

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