Quels sont les risques selon vous de ce modèle hors prescription et adaptation audioprothétique ?
Ils ont été clairement identifiés par les sociétés savantes américaines. Il y a quatre principales préoccupations concernant l'utilisation totalement non supervisée de ces appareils : une sur-amplification qui pourrait entraîner une perte auditive plus importante, une sous-amplification avec toutes les conséquences d’un déficit auditif insuffisamment corrigé, la non prise en compte des capacités de traitement associées du patient (neuropathie, déclin cognitif…) et la possibilité de passer à côté d’une pathologie nécessitant une prise en charge médicale (neurinome, Menière, etc.).
Il y a un risque certain de mauvaise adaptation. Dans quelle mesure les utilisateurs seront-ils tous aptes à auto-évaluer leur audition et régler leurs appareils correctement ? Une étude interventionnelle publiée en 20171 par Elizabeth Convery et ses collègues du HEARing Cooperative Research Centre de Melbourne en Australie montrait que seuls 55 % des utilisateurs réussissaient la procédure d’autoréglage. Les auteurs concluaient que les conseils prodigués par un personnel qualifié plutôt que par un « profane » augmenteraient très certainement la proportion de réussite. Le maniement de ces nouveaux appareils nécessite une certaine familiarité avec les nouvelles technologies et de la dextérité.
Par ailleurs, toutes les études menées pour évaluer l’intérêt des OTC montrent que l’auto-adaptation ou le pré-réglage donnent des résultats systématiquement inférieurs aux réglages réalisés par un professionnel. Les remarquables travaux de Humes de 20172 et de 20193, qui ont mis en évidence l’efficacité du modèle OTC, n’en relèvent pas moins une plus grande satisfaction avec des aides auditives adaptées par un audiologiste. Elles montraient également que les utilisateurs d’OTC étaient moins nombreux à souhaiter conserver des aides auditives après l’essai. L’intervention d’un professionnel augmente clairement les chances de réussite de l’appareillage, sans parler de son suivi, de la surveillance de l’évolution de l’audition, du maintien de l’adaptation de l’appareillage à l’audition et de la guidance. N’oublions pas l’importance de l’accompagnement humain dans la prise en charge.
Peut-on imaginer l’introduction de tels produits en France ?
Ce n’est pas souhaitable. Toutefois, des dispositifs grand public existent déjà et le phénomène va s’amplifier avec une demande grandissante liée au vieillissement de la population. À nous de nous positionner, d’établir des limites d’utilisation et de mettre en garde les pouvoirs publics contre une utilisation malavisée de ces produits, qui devraient être réservés à des profils qui ne se seraient de toute façon pas orientés vers des aides auditives.
On peut tirer des enseignements du modèle américain. Dans des enquêtes préalables à la décision de libéraliser les OTC, la lourdeur du parcours de soins et la stigmatisation ont été identifiées comme freins potentiels à l’appareillage précoce. Je pense que ces dispositifs au look attractif peuvent constituer une voie d’entrée intéressante dans la santé auditive et apporter le coup de pouce occasionnel qui mettra en évidence des problèmes d’audition naissants. Les OTC et autres hearables peuvent participer à la sensibilisation à la santé auditive et cela, auprès d’une population plus jeune. Ils sont donc à intégrer à l’équation.
Nous avons la responsabilité d’attirer davantage de malentendants dans une démarche de réhabilitation plus précoce. Il faut donc prendre en compte tous les paramètres dans notre réflexion.
Que pensez-vous de la stratégie OTC vs le 100 % Santé ?
Nous bénéficions d’un modèle parmi les meilleurs, clairement supérieur à ce qui est proposé aux États-Unis. L’intervention de professionnels est définitivement gage d’optimisation de la prise en charge et de sa pérennisation. Assurons-nous néanmoins de maintenir un parcours de soins de qualité et de faire la preuve de notre valeur ajoutée afin qu’il ne puisse y avoir aucun doute. Sans quoi, il y a un risque plus important qu’il y ait une place pour les OTC en France.