Acouphène sévère avec trouble de la compréhension dans le bruit

Mme L., 53 ans, infirmière, conseillère à la CPAM, travaille en open space, très souvent au téléphone. Elle consulte pour un acouphène bilatéral, devenu très pénible, associé à un trouble de la compréhension de la parole dans le bruit. Comme seul antécédent, on note un terrain familial de surdité et quelques soucis familiaux.

Par Marie-José Fraysse, ORL, Paul Viudez, audioprothésiste, et Marie Dupré, psychologue
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L’interrogatoire et les examens

L’interrogatoire révèle :

  1. Un acouphène, décrit comme un sifflement, bilatéral, symétrique, permanent, non fluctuant, apparu progressivement il y a 1 an. Il est peu masqué par le bruit ambiant, semble évolutif et provoque une grande inquiétude. Il est très pénible en journée et la patiente pense qu’il l’empêche d’entendre. Il devient difficile à tolérer et elle avoue y penser sans cesse. Il est très pénible lors des réveils nocturnes et ne varie pas avec les mouvements de la tête ou du cou.
  2. Une difficulté de compréhension de la parole, augmentée dans le bruit, rendant le quotidien professionnel de Mme L. compliqué. Cela l’oblige à une grande concentration et attention auditive, qui aggravent son acouphène. Elle a noté une sensibilité au bruit fort majorée.
  3. Une absence de symptômes associés tels que vertiges, céphalées, otalgies, plénitude de l’oreille ou cervicalgie.

Acouphène et surdité provoquent un état de fatigue, d’agacement, d’anxiété croissante, de difficultés de concentration renforcé par les consultations antérieures qui ont souvent conclu à diverses sentences : « ce n’est pas grave », « il faut vivre avec », « vous vous y habituerez »…

À l’otoscopie, l’examen clinique révèle des tympans normaux. Il n’y a pas de modulation de l’acouphène par la palpation de points triggers, la mobilisation de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) ou la résistance à la pression au niveau du front, du menton, du vertex ou des tempes.

Le bilan met en évidence une surdité bilatérale dont la perte moyenne est de 35 dB à droite et 27,5 dB à gauche à l’audiométrie tonale et le SRT à 25 dB à droite et 17 dB à gauche à l’audiométrie vocale dans le silence. Il s’agit donc d’une surdité moyenne de type neurosensoriel, symétrique, prédominant sur les fréquences aiguës. Le tympanogramme est normal.

aud ton CC

Les questionnaires : Le résultat au questionnaire THI révèle un acouphène sévère (68/100), correspondant, selon les auteurs du questionnaire, à un handicap sévère [1].

Le score EVA gêne ou EVA intensité est à 8/10. Quant au DET, il est à 42/104 (score modéré). L’acouphénométrie situe l’acouphène à 6 kHz, 4 dB au-dessus du seuil liminaire à droite et 3 dB à gauche.

aud voc CC

Les orientations thérapeutiques de l’ORL

Les informations récoltées à l’interrogatoire et par les examens orientent vers un acouphène subjectif chronique, corrélé à la surdité sur les mêmes fréquences, sans participation somatosensorielle supposée. Une thérapie sonore, par appareillage auditif bilatéral, avec comme objectif la correction de la surdité et la prise en charge de l’acouphène par amplification et si nécessaire, générateur de bruit, est à privilégier.

  1. Les conseils directifs. Selon les recommandations des agences (NICE 2020 ; AAOHNS 2019), après un interrogatoire très détaillé, des questionnaires choisis (THI ou TFI) et un bilan audiométrique, la première étape indispensable d’une prise en charge adaptée est le conseil directif (traduction du counselling des anglo-saxons). Il consiste à expliquer de façon simple les bases physiopathologiques de l’acouphène, à la fois générales, mais aussi spécifiques en fonction de chaque patient, incluant a minima écoute, conseils directifs et éducation des patients sur les acouphènes [2,3,4]. Il aborde, avec écoute et empathie :
    • le principe de l’implication du noyau cochléaire et de la neuroplasticité ;
    • l’implication des voies non auditives pour comprendre le retentissement psycho-émotionnel plus ou moins important ;
    • les différents types d’acouphènes ;
    • les éléments pouvant aggraver ou améliorer l’acouphène.
  2. La thérapie sonore, via une aide auditive bilatérale. Pour notre patiente, il conviendra d’insister sur la surdité dont elle n’a pas réellement conscience et sur la nécessité d’une thérapie sonore qui est la deuxième étape du traitement pour la prise en charge des acouphènes.

L’amplification des sons réduit la saillance de l’acouphène par masquage informationnel, détourne l’attention auditive et pourrait réduire la déprivation auditive sur les fréquences de la perte, permettant ainsi d’inverser certains phénomènes de plasticité neuronale responsables de la génération des acouphènes. Le générateur de bruit blanc combiné permet un masquage énergétique et réduit aussi la saillance et l’intrusivité de l’acouphène dans les moments de silence. Comme l’amplification, il permet de distraire l’attention auditive de l’acouphène et pourrait ainsi conduire à une habituation progressive.

Le rôle de l’audioprothésiste

L’audioprothésiste va relayer les conseils directifs donnés par l’ORL, sur le thème des remaniements centraux, de la neuroplasticité des voies auditives ainsi que sur les mécanismes d’habituation.

Le choix de l’appareillage auditif, ainsi que la stratégie de stimulation de thérapie sonore, recommandée par l’ORL, dépendront de plusieurs facteurs :

  • La typologie de la courbe audiométrique (seuils liminaires et seuils subjectifs d’inconfort) orientera le choix du coupleur auriculaire (embout, diamètre de l’évent, type de dôme…) sachant qu’il faut, dans la mesure du possible, éviter de boucher une oreille acouphénique.
  • Les scores aux questionnaires THI et BAHIA reflèteront l’importance de la gêne et la priorité du symptôme à traiter.
  • L’acouphénométrie, indispensable, en particulier dans la recherche de la fréquence dominante (Fd) de l’acouphène permettra d’orienter la stratégie de la TS.
  • Les effets du bruit environnant sur l’acouphène devront mettre en évidence l’aspect du masquage, ou, au contraire, une éventuelle aggravation du symptôme.
  • La richesse ou la pauvreté de l’environnement sonore du patient est toujours à prendre en compte comme un élément décisionnel dans l’éventualité d’ajouter un bruit blanc.

La synthèse de l’ensemble de ces éléments nous permettra de proposer une thérapie sonore personnalisée aux besoins spécifiques du patient. Dans le cas de notre patiente : la fréquence de l’acouphène se situe dans la bande passante de l’appareil auditif. L’enrichissement sonore de la patiente est varié et le bruit masque l’acouphène. Nous proposons une amplification en sur-corrigeant de quelques dB le gain dans la zone fréquentielle de l’acouphène.

Selon la tolérance du patient, les dispositifs de traitement du bruit des aides auditives seront désactivés ou réduits afin de privilégier un masquage naturel de l’acouphène par l’environnement sonore.

L’esprit général est de toujours garder une flexibilité dans la mise en œuvre de ces stratégies de thérapie sonore en fonction de l’évolution du patient.

Rôle du sophrologue ou du psychologue TCC

En cas d’anxiété sous-jacente, de terrain nécessitant un soutien psychologique, ou de problème personnel associé, une prise en charge supplémentaire par sophrologie ou TCC peut se discuter et doit être mise en place soit dès le début, soit à 2-3 mois lors du contrôle de l’évolution de l’acouphène et du résultat auditif par l’audioprothésiste.

L'acouphène de Mme L. est déjà chronicisé et l’habituation n’est pas encore satisfaisante. Elle présente des traits anxieux et, à travers ses réponses au THI, il apparaît qu’elle nourrit quelques croyances fausses et anxiogènes à l’égard de son symptôme. Il est donc recommandé de l’orienter vers le psychothérapeute formé à la thérapie cognitive-comportementale. Le but est ici de débarrasser le plus rapidement possible la patiente de ses mauvaises habitudes.

La TCC de l’acouphène comporte plusieurs volets. Le thérapeute évalue d’abord la patiente et va l’aider à identifier, à l’aide de la psychoéducation, quelles sont les pensées parasites, les croyances négatives et les focalisations attentionnelles générées par son acouphène. Ensuite, la patiente sera amenée à expérimenter des exercices et des méthodes afin d’entraîner son rapport attentionnel et émotionnel à quelque chose de plus acceptable et fonctionnel dans son quotidien. Si le psychothérapeute sent que son patient a besoin d’approfondir ses méthodes, il peut l’orienter vers son confrère sophrologue, en complément ou en relais de la TCC.

La sophrologie, qui offre pendant les séances des exercices de respiration dynamique, permet aux patients de concrétiser les acquis cognitifs, le lâcher-prise et renforce l’acceptation psychique du symptôme en ancrant le patient dans un ressenti corporel adapté.

Évolution à 6 mois

L’évolution de Mme L. au terme de six mois de prise en charge est très favorable et s’oriente vers une nette diminution de l’acouphène (THI = 12/100 ; EVA gène = 2/10) avec port régulier de l’appareillage, majoritairement en mode amplification, mais avec utilisation possible du générateur de bruit blanc, selon ses besoins.

Mme L. montre une meilleure compréhension de son symptôme et une diminution notable de son anxiété. Elle s’est appropriée les méthodes de méditation, ritualisées depuis la thérapie, qui lui permettent de réguler son équilibre émotionnel.

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