Stimuler le cerveau pour atténuer l’acouphène

La plupart des acouphènes sont à l’heure actuelle incurables. Mais des techniques de neuromodulation émergent. Elles visent à exploiter la plasticité de notre cerveau pour atténuer l’hyperactivité des neurones qui cause le bruit fantôme. Des dispositifs médicaux sont d’ores et déjà sur le marché.

Par Bruno Scala
stop acouphenes

Le noyau dorsal cochléaire (NDC) est le premier relais sur la voie qui mène de l’oreille au cerveau. Il se situe dans le tronc cérébral. De nombreux travaux montrent qu’il est lié de près aux acouphènes, voire qu’il pourrait être la structure clé de cette pathologie, le site où tout se joue. En effet, l’activité neuronale du NDC augmente chez les animaux qui souffrent d’acouphènes. Plusieurs travaux ont en effet alimenté cette hypothèse à la fin des années 1990 et au début des années 2000, à l’instar de ceux de James Kaltenbach et ses collègues, à l'université d’État Wayne de Détroit (États-Unis). Ces chercheurs ont exposé des hamsters à un niveau sonore provoquant des acouphènes. Puis ils ont observé le comportement des rongeurs et mesurer l’activité au niveau du NDC. « Les résultats ont montré non seulement que les niveaux d'activité chez les animaux exposés étaient plus élevés que ceux des animaux témoins, mais que le degré d'augmentation de l'activité était corrélé à l’importance des preuves comportementales liées aux acouphènes », rapportaient les auteurs des travaux dans leur publication [1].

Plasticité synaptique

Au cours des années 2010, les travaux de Susan Shore, de l’Institut de recherche sur l’audition Kresge de l’université du Michigan (États-Unis), ont trouvé les responsables de cette hyperactivité neuronale : les cellules pyramidales (ou fusiformes). Les chercheurs ont mis en évidence une augmentation de la synchronisation entre ces neurones ainsi qu’une hausse de leur activité spontanée [2] : « Les neurones sont beaucoup plus synchronisés chez les sujets souffrant d’acouphènes, alors qu’à l’état normal, cette synchronisation se produit seulement lors d’une stimulation sonore », précise Susan Shore. Lors de ses travaux, comme pour ceux de James Kaltenbach, le niveau d’activité des cellules était corrélé au comportement des animaux acouphéniques. L‘emplacement de ces neurones pyramidaux est particulièrement intéressant car ils forment des jonctions synaptiques d’un côté avec les fibres du nerf auditif, d’un autre avec les cellules granulaires (un autre type de neurones), elles-mêmes liées à des neurones du circuit somatosensoriel (lié au toucher). Le NDC, et les cellules pyramidales en particulier, forme donc un carrefour entre les fonctions auditive et somatosensorielle. C’est de ces découvertes qu’est née l'idée de moduler l’activité des unes pour essayer de diminuer celle des autres.

Un timing précis

En stimulant les cellules pyramidales du NDC, il est en effet possible d’induire une plasticité de la synapse, c’est-à-dire de modifier l’activité des neurones. Susan Shore est ainsi parvenue à moduler l’activité des cellules pyramidales en stimulant, en amont et en aval, la synapse les reliant aux cellules granulaires. « Le timing ainsi que l'ordre de simulation est crucial, prévient la chercheuse. En fonction de ces deux paramètres, l’activité des cellules pyramidales est renforcée (un phénomène appelé potentialisation à long terme, NDLR) ou au contraire atténuée (dépression à long terme, NDLR). » Il y a donc un risque d’obtenir exactement l’opposé du but recherché. Il a fallu des années de mise au point à l’équipe américaine pour obtenir le bon réglage. Elle a trouvé la bonne formule puisqu’en effectuant des séances de stimulation de 20 minutes par jour pendant 25 jours, elle est parvenue à réduire les (comportements liés aux) acouphènes de cochons d’Inde. La chercheuse était d’ailleurs venue présenter ces résultats à Nantes lors du colloque de l’Afrépa 2015. Les chercheurs ont ensuite testé leur méthode sur des patients selon une méthodologie en double aveugle, avec contrôle via un traitement fictif, et avec croisement : les patients recevaient d’abord le vrai traitement pendant 4 semaines, puis le fictif pendant 4 autres semaines, ou inversement, avec 4 semaines de transition. Les séances duraient 30 minutes. Les expériences ont montré que la modulation bimodale diminue l’intensité de l’acouphène d’environ 11 dB (sur une intensité initiale de 54 dB en moyenne) ainsi que le score du TFI (tinnitus functional index), de 11 points environ. Certains patients ont même vu leur acouphène disparaître pendant une semaine [3].

Des dispositifs thérapeutiques

Forte de ces résultats, l’équipe de Susan Shore effectue des tests poussés sur un appareil délivrant ces stimulations bimodales [4]. Il envoie une stimulation sonore dans l’oreille, via un écouteur ou un casque, ainsi qu’une stimulation somatosensorielle, délivrée par des électrodes placées au niveau de la joue (où se trouve le ganglion trigéminal) ou du cou, pour cibler les nerfs cervicaux. « Nous menons actuellement une étude de confirmation à l’Institut de recherche sur l’audition Kresge », précise la chercheuse. Si les résultats sont probants, elle devrait déposer un dossier auprès de la FDA afin de commercialiser le dispositif. En parallèle de ces travaux, la société irlandaise Neuromod s’est attaché, en 2018, les services du chercheur Hubert Lim, également spécialisé dans la neuromodulation bimodale. Son but : mettre au point un dispositif visant à réduire les acouphènes [5]. C’est chose faite depuis quelques mois. Lenire – c’est le nom de l’appareil – a obtenu un marquage CE. « Il est disponible en clinique en Irlande, en Allemagne, en Belgique, en Autriche, en Suisse et au Royaume-Uni », précise Hubert Lim, directeur scientifique de Neuromod. Une commercialisation en France est envisagée et, en attendant, les patients anglophones intéressés peuvent profiter du dispositif en télésanté. Il coûte actuellement 2 400 € hors taxes.

Observance requise

Le principe est aussi d'induire une plasticité en stimulant de façon bimodale, les circuits auditif et somatosensoriel, même si la cible semble ici moins caractérisée. L’objectif est ainsi de normaliser le dysfonctionnement des neurones, responsable de l’acouphène. Le stimulus auditif comprend des séquences de sons purs avec un bruit à large bande en fond présentés aux deux oreilles. Quant à la stimulation somatosensorielle, elle est délivrée sur la langue, via un réseau de 32 électrodes. Elle consiste en des impulsions d'amplitude fixe de 5 à 210 μs. « Lors du premier rendez-vous, le professionnel de santé montre au patient comment utiliser l'appareil, chez lui. Il est recommandé aux patients de suivre une à deux séances de 30 minutes par jour, pendant au moins 10 semaines », détaille Hubert Lim. Un engagement conséquent, donc, mais les résultats semblent être au rendez-vous, comme le montre l’étude clinique menée par la société irlandaise [6].

Bénéfice à long terme

Lors de cet essai, les 326 participants ont suivi 60 minutes de stimulation quotidienne pendant 12 semaines ! Ce programme a engendré une baisse de la sensation de l’acouphène, comme en témoignent les résultats au THI (tinnitus handicap inventory) et au TFI : environ 13 à 14 points en moins pour les deux tests à la fin du traitement. Mieux, en fonction du réglage choisi, ces résultats étaient durables. La baisse de THI ou de TFI était maintenue jusqu’à 12 mois après la fin du traitement. Bien sûr, l’acouphène ne disparaît pas. Mais ces dispositifs sont les premières solutions qui permettent de le faire diminuer, alors que les méthodes actuelles consistaient davantage à masquer l’acouphène ou à tenter de l’oublier. Au prix d’un traitement (et d’un prix...) lourd, mais pour un bénéfice au bout de 36 heures environ d'utilisation sur 12 semaines de traitement (soit une vingtaine de minutes par jour), selon les chercheurs de Neuromod.

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