L'orthophonie, une étape à ne pas négliger

La prise en charge orthophonique est une étape indispensable du parcours de soins du sujet presbyacousique. La rééducation combine stimulation auditive et cognitive et vise à améliorer la compréhension du langage, notamment par le développement de la lecture labiale et l’entraînement auditif, associé au renforcement cognitif. Recommandations de bonnes pratiques concernant le bilan, la rééducation et le télésoin.

Par Emmanuèle Ambert-Dahan, Stéphanie Borel et Auriane Gros
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La presbyacousie concerne aujourd’hui environ un tiers des personnes de plus de 65 ans ; la surdité augmente le risque de démence dès 55 ans, avec une prévalence élevée de 32 % chez le sujet de plus de 65 ans. La perception et l’intégration de la parole dépendent en effet de processus auditifs périphériques, auditifs centraux et cognitifs soumis au processus de vieillissement. Ainsi, en plus de la perte auditive périphérique, l’avancée en âge s'accompagne souvent d'une réduction de l'efficacité du traitement auditif en raison de la dégénérescence des voies auditives centrales et d'un déclin de la fonction cognitive. Par conséquent, le dépistage et la réhabilitation de la surdité sont indispensables pour augmenter et maintenir la réserve cognitive et donc limiter le risque de démence.

Le bilan

La mise en place d’un suivi orthophonique est l’un des trois piliers de la réhabilitation auditive de la personne presbyacousique avec le suivi médical et l’adaptation d’aides auditives réglées par un audioprothésiste. Au cours de l’évaluation et de la rééducation, l’orthophoniste ouvre le dialogue, facilite la prise de décision partagée, identifie les besoins individuels, fixe des objectifs communs et soutient l’auto-soin. L’implication et la motivation du patient sont importantes afin qu’il puisse prendre un rôle actif dans son suivi, exprimer ses besoins et préférences. Par un entraînement spécifique, l’orthophoniste aide le patient à comprendre les difficultés qui lui sont propres, ainsi que les stratégies les plus adaptées pour y répondre.

La prise en soins commence par un bilan orthophonique. Celui-ci a pour objectif d’évaluer les capacités perceptives et cognitives mais également les compétences de communication ainsi que la qualité de vie du patient.

Il comporte des tests de perception de la parole en modalités auditive, visuelle et audiovisuelle. En l’absence de batteries standardisées, les listes habituellement utilisées en audiométrie vocale sont proposées. Au regard des interactions entre langage et cognition, une évaluation cognitive est également nécessaire afin d’évaluer l’impact d’éventuels déficits cognitifs sur la perception de la parole, notamment en environnement bruyant (fond sonore ou voix concurrentes) et de mettre en place un plan de soin adapté.

En effet, alors que les processus périphériques sont les prédicteurs principaux de la reconnaissance de la parole dans le calme, les compétences cognitives et exécutives, notamment la mémoire de travail et l’attention, sont des indicateurs des capacités d’intégration de la parole dans le bruit. Cela suggère que l’évaluation, et donc l’entraînement visant à améliorer les fonctions cognitives, pourraient aider à atténuer certaines des difficultés d’intégration de la parole éprouvées par les personnes âgées, en particulier dans les situations d’écoute complexes (environnement bruyant, multiples locuteurs).

Un déficit auditif pouvant augmenter le risque de troubles cognitifs, l’orthophoniste est amenée en pratique clinique courante à évaluer les fonctions cognitives au moyen de tests de repérage tels que le test Hearing-impaired MoCA, une version adaptée du MoCa, avec omission des items dépendants de l’audition ou avec le Codex. Enfin, l’impact dela surdité sur les compétences de communication ainsi que sur la qualité de vie liée aux stratégies d’adaptation du patient et de son aidant doit être évalué au moyen de questionnaires spécifiques pour être ensuite pris en compte dans la prise en soin du patient presbyacousique.

La rééducation orthophonique

La prise en soin orthophonique a pour objectif d’améliorer la compréhension du langage et de réduire le stress lié aux difficultés de perception du message verbal. Les principaux axes de cette rééducation sont le développement de la lecture labiale afin de compléter les informations auditives parcellaires et d’encourager la perception multimodale de la parole ainsi que l’entraînement auditif associé au renforcement cognitif. L’acquisition de stratégies de communication adaptées et la conservation de la voix et de la parole sont des axes de rééducation complémentaires.

La rééducation combine une stimulation à la fois auditive et cognitive, les processus cognitifs et la perception de la parole étant travaillés conjointement au sein de doubles tâches perceptives et cognitives. L’entraînement auditivo-cognitif a pour objectifs d’augmenter l’attention et d’aider le patient à développer les stratégies d’écoute. Il permet de stimuler le sens d’alerte et d’optimiser l’intelligibilité de la parole dans le silence à différentes intensités, ainsi que dans le bruit ou avec des interlocuteurs multiples. Cet entraînement implique aussi bien l’audition que la rétention, le raisonnement logique, l’anticipation, l’attention, la mémoire de travail, l’accès au lexique ou encore la flexibilité mentale.

L’orthophoniste doit veiller à ce que l’entraînement soit porteur de sens, en rapport avec les centres d’intérêt du patient, tout en faisant des liens avec la réalité extérieure. Par exemple, la localisation spatiale et l’écoute de la musique peuvent être des axes complémentaires. Chez l’adulte, l’entraînement auditif n’a pas besoin d’être intensif pour être efficace. La perte auditive liée à l’âge n’empêche pas l’apprentissage perceptif. Les progrès apportés par l’entraînement sont plutôt de haut niveau mais on observe également des améliorations de plus bas niveau, par exemple des représentations phonémiques, avec une probable interaction des processus ascendants et descendants.

L'apport du télésoin

Néanmoins, un certain nombre de facteurs limitants (disponibilité du patient, éloignement géographique, démographie professionnelle et coût) ne sont pas compatibles avec un suivi régulier. Dans ce contexte, le développement du télésoin en orthophonie et d’outils innovants, permettant l’évaluation et la rééducation à distance, contribuent à optimiser la prise en charge du patient presbyacousique. Aujourd’hui, les technologies numériques et l’intelligence artificielle font partie intégrante de la rééducation auditivo-cognitive et s’incarnent dans un certain nombre d’outils proposant de nouvelles modalités d’entraînement. Ces programmes peuvent être utilisés soit en présence de l’orthophoniste au cours des séances de rééducation ou à distance en proposant un auto-entraînement au patient.

Disponibles sur des plates-formes en ligne ou des applications, ils sont organisés en modules classés par thèmes ou difficulté croissante et certains d’entre eux proposent un entraînement adaptatif avec une supervision experte en ligne par visio-conférence. Cependant, bien que la faisabilité et le bénéfice de l’entraînement en ligne soient aujourd’hui démontrés, aucune étude n’a mis en évidence de bénéfice perceptivo-cognitif global ni de transfert d’apprentissage généralisé à des compétences non entraînées dans le programme proposé. De plus, des difficultés d’agilité mentale, visuelle et motrice, de même que « l’illectronisme », relativement courantes chez les séniors, représentent des obstacles à l’utilisation des outils d’entraînement en ligne par les patients presbyacousiques et doivent être pris en compte dans l’adaptation de futurs outils numériques.

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