L'audioprothèse à l'aune de la pratique basée sur les preuves

La recommandation de la SFORL, rédigée avec le concours de la SFA, livre une mise à jour des pratiques audioprothétiques, nécessaire à l’heure du 100 % Santé. Ce travail rigoureux, basé sur une revue de littérature, établit des lignes directrices, reposant sur des données scientifiques ou des accords d’experts. Et appelle des travaux futurs, notamment sur la prise en charge des patients fragiles ou institutionnalisés et sur la téléaudiologie.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
Audio

« Après le diagnostic posé, l’audioprothésiste est le principal acteur de la prise en charge [des sujets presbyacousiques] », est-il rappelé en introduction de la recommandation SFORL sur le parcours de soins de ces patients, dont la rédaction a été confiée à la SFA [1] . Un chapitre en particulier est consacré à la réhabilitation audioprothétique. Il a été rédigé par un groupe de travail constitué de sept audioprothésistes (François Dejean, Arnaud Coez, Matthieu Del Rio, Morgan Potier, Christian Renard et Thomas Roy).

La méthodologie

Toutes les étapes de la prise en charge, du bilan d’orientation, à l’évaluation de l’efficacité, en passant par l’éducation prothétique et le suivi font l’objet d’une mise à jour, confortée par des recommandations de bonnes pratiques. Celles-ci, au nombre de vingt-neuf exactement, ont été établies sur la base d’une revue des publications scientifiques récentes et sont graduées en fonction des niveaux de preuve des différentes études sur lesquelles elles s’appuient*. Cette synthèse rigoureuse, fruit d’un travail méthodique, est inédite en France, en tout cas pour la partie audioprothèse. L’intérêt de l’ouvrage en général, et de ce chapitre en particulier, est qu’il établit un document de référence, fondé sur des preuves scientifiques, concernant la façon dont doit se dérouler une prise en charge audioprothétique pertinente du sujet presbyacousique. « Certaines de nos recommandations se sont imposées de manière incontestable car elles reposent sur des niveaux de preuve élevés ; d’autres ont donné lieu à des discussions entre nous, parfois à des controverses, commente Christian Renard, l’un des auteurs de ce chapitre. Mais, toutes ont été élaborées sur la base d’un consensus au sein du groupe de travail et après validation des autres experts impliqués dans la rédaction de ce document (ORL, orthophonistes, gériatres), ce qui en fait sa valeur. »

Cette synthèse permet d’inscrire la réhabilitation prothétique et l’appareillage auditif dans une démarche médicale, à une époque où d’autres pays comme les États-Unis choisissent la voie de la démédicalisation.

François Dejean, président de la SFA et responsable du groupe de travail des audioprothésistes.

Le timing

Ce travail, entamé en 2021 et remis en 2022, s’inscrit dans son époque. Il s’est imposé avec l’entrée en vigueur de la réforme du 100 % Santé et les évolutions qu’elle entraîne. Les nouvelles consignes de prise en charge inscrites dans l’arrêté du 14 novembre 2018 nécessitaient d’engager un travail de synthèse de l’état de l’art de la prise en charge du patient presbyacousique. Le vieillissement de la population et la prise de conscience de la nécessité de repérer le plus précocement possible la surdité liée à l’âge sont d’autres arguments qui ont incité la SFORL et la SFA à élaborer ces recommandations. « Avec le 100 % Santé, la filière auditive est confrontée à un afflux très important de nouveaux patients, explique François Dejean, président de la SFA et responsable du groupe de travail des audioprothésistes. Dans ce contexte, il nous a paru essentiel d’identifier les bonnes pratiques à chaque étape du parcours de soins des sujets presbyacousiques. Cette synthèse permet d’inscrire la réhabilitation prothétique et l’appareillage auditif dans une démarche médicale, à une époque où d’autres pays comme les États-Unis choisissent la voie de la démédicalisation en autorisant la mise sur le marché de produits over the counter (OTC). La prise en charge des patients presbyacousiques en France repose sur un circuit fléché et coordonné, des pratiques bien encadrées et des outils bien identifiés. »

Fixer l’état de l’art des pratiques

Si, dans l’ensemble, les recommandations de ce chapitre valident des aspects de la prise en charge audioprothétique pour la plupart ancrés dans les pratiques, certaines ont trait à des notions relativement nouvelles comme la place majeure de l'éducation thérapeutique du patient, la prise en compte des troubles cognitifs ou encore l’intérêt de réaliser une audiométrie vocale dans le bruit, « élément incontournable dans l’évaluation du bénéfice prothétique ». « Elle constitue un support plus écologique que les mesures liminaires tonales et vocales dans le silence, mettant en évidence les difficultés ressenties », relèvent les auteurs, qui en recommandent la réalisation systématique. De même, ces derniers proposent que « l’intérêt des aides à la communication soit évalué pour chaque patient presbyacousique, de manière isolée ou complémentaire à celui de l’appareillage auditif, notamment lorsque les prothèses auditives ne peuvent répondre à tous les besoins de communication et de sécurité du patient ». « L’utilité de ces appareils destinés à améliorer les performances de communication et d’écoute du patient malentendant ne fait aucun doute, qu’il s’agisse des systèmes FM, téléphones amplifiés, de connectivité TV, de la boucle magnétique ou du Bluetooth, commente Morgan Potier. Il est établi qu’ils renforcent le rapport signal sur bruit et la qualité de vie des patients. »

Approche holistique

Le bilan d’orientation prothétique est également abordé. Il est rappelé qu’il « doit permettre d’évaluer l’ensemble des éléments physiopathologiques de la déficience auditive et de déterminer des objectifs réalistes de réhabilitation auditive ». « Cela permet la personnalisation et l’adéquation de l’appareillage avec les besoins audiologiques et non audiologiques des patients », précise François Dejean. Les auteurs de l’ouvrage recommandent ainsi « une approche holistique intégrant l’état cognitif du patient pour proposer un appareillage adapté » mais, là où réside la nouveauté, ils préconisent en outre « de demander au patient d’auto-évaluer la perception de ses difficultés, élément déterminant pour l’acceptation de l’appareillage ». « De nombreuses études montrent en effet que la réussite de l’appareillage dépend de l’auto-évaluation par les patients de leurs difficultés via des questionnaires de type HHIE-S (lire l'encadré ci-dessous), estime le président de la SFA. À l’heure du 100 % Santé et de l’existence d’une offre gratuite, il est important de contrôler la motivation des nouveaux patients et de les impliquer dans leur appareillage. Cette démarche permet d’éviter ou d’identifier les facteurs favorisant les échecs. Nous recommandons ainsi que le prescripteur s’en assure ou la renforce si nécessaire. On sait que le discours du médecin peut avoir une grande influence sur la suite du parcours. »

Des études nécessaires sur l’apport de la téléaudiologie

Au-delà de proposer un vade-mecum de la prise en charge audioprothétique du patient presbyacousique, ce document pousse à la réflexion sur les pratiques actuelles et surtout à venir. En effet, certaines recommandations ne font l’objet « que » d’un accord professionnel*, du fait du manque de niveau de preuve scientifique pour les étayer. Cette absence, même si elle ne signifie pas que les propositions ne sont pas pertinentes et utiles, constitue une incitation à engager des études complémentaires.

C’est le cas notamment de la téléaudiologie, objet de débats au sein du groupe de travail, comme plus globalement de la profession en général, même si elle revêt bien des attraits. Le télésoin appliqué à l’audiologie offre en effet une réponse à la problématique des déserts médicaux et constitue un élément de facilitation pour le suivi audioprothétique, enjeu clairement identifié de la réussite du 100 % Santé. Son utilisation ne semble pas contradictoire avec l’exigence d’une prise en charge de qualité, mais, comme le rappellent les auteurs des recommandations, elle « doit rester un complément » au présentiel qui reste un « prérequis indispensable ». « L’analyse de la littérature montre des résultats sensiblement similaires entre le suivi en présentiel et en distanciel, explique Morgan Potier. Ces résultats, observés chez des patients implantés cochléaires, pourraient très certainement être extrapolés à l’appareillage auditif conventionnel. »

Néanmoins, la téléaudiologie souffre d’un certain nombre de limites, inhérentes au profil même des patients auxquels elle s’adresse : les presbyacousiques, âgés par définition, sont en effet plus sujets à l’illectronisme ou à l'absence d’accès à Internet. « Même si nous sommes convaincus de l’intérêt de cet outil, notamment pour les personnes institutionnalisées ou vivant dans des déserts médicaux, il nous paraît nécessaire de conduire des études complémentaires pour préciser davantage son intérêt, commente Morgan Potier. De même, nous appelons à la mise en place d’un cadre réglementaire. »

Il est absolument nécessaire de faire évoluer le cadre légal sur la téléaudiologie car on constate un important déficit de suivi prothétique et donc d’observance chez les patients institutionnalisés.

Christian Renard

Patients fragiles : une « urgence »

Le cas particulier de la prise en charge audioprothétique des sujets presbyacousiques fragiles ou institutionnalisés est abordé dans les recommandations, même si elle n’est pas autorisée à l’heure actuelle d’un point de vue réglementaire. Néanmoins, des initiatives se développent depuis quelques années en réponse au vieillissement de la population et son corollaire, la perte d’autonomie. Des réflexions sont en cours pour faire évoluer la loi car « la prise en charge du patient presbyacousique fragile vivant à domicile ou en établissement gériatrique constitue un enjeu majeur de santé publique », estiment les auteurs des recommandations.

« La prévalence des troubles auditifs en Ehpad est trois fois plus élevée que dans le reste de la population générale, indiquent-ils. En parallèle, d’autres études suggèrent que le port d’aides auditives apporte un impact positif sur la stimulation cognitive. » Autant d’arguments appelant à une révision de la législation. Selon Christian Renard, auteur de cette partie et fondateur du Service d'aide aux malentendants institutionnalisés ou dépendants (Samid), « il est absolument nécessaire de faire évoluer le cadre légal car on constate un important déficit de suivi prothétique et donc d’observance chez ces patients. Le 100 % Santé a levé le frein financier pour tous les patients, y compris ceux en Ehpad, mais pas le frein réel. On ne peut pas continuer chacun dans son coin et faire n’importe quoi. Il est urgent de lancer des expérimentations et de rédiger des protocoles. Alors qu’il existe de bons niveaux de preuve concernant les liens entre audition et cognition, ce n’est pas le cas de la prise en charge des malentendants fragiles, du repérage jusqu’au suivi, qui est très peu documentée. » C’est donc logiquement sur des accords professionnels que reposent les recommandations de la SFORL, en attendant de nouvelles études.

Prendre en compte la cognition

Outre le fait de former aidants et soignants à l’accompagnement des patients appareillés, les auteurs préconisent d’adapter la prise en charge des patients fragiles ou institutionnalisés à leur fonction cognitive et de la réaliser « en présence de l’entourage et, le cas échéant, de l’équipe soignante ». Surtout, ils recommandent de « choisir et d’utiliser les tests de repérage et d’orientation prothétique selon la situation cognitive du patient » et « d’évaluer l’autonomie du patient dans la gestion quotidienne de son appareillage, pour intégrer ses besoins d’aide spécifiques dans le plan de soins ». « La revue de la littérature plaide en effet pour adapter les tests du bénéfice prothétique en fonction de la situation cognitive de ces patients et pour utiliser des outils spécifiques, comme des grilles de lecture comportementale, pour les interpréter, car les épreuves vocales ne suffisent pas, précise Christian Renard. Il est donc essentiel d’intégrer l’équipe soignante dans la prise en charge. »

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