Presbyacousie : attention à la cognition

Une simple presbyacousie peut parfois cacher des troubles cognitifs importants, en particulier chez les patients âgés. Le cas de cette patiente de 85 ans en est la parfaite illustration. La prise en charge coordonnée par un ORL et un gériatre s’avère ici déterminante.

Par la Dr Isabelle Mosnier et le Dr Joël Belmin
cas clinique

Une femme, âgée de 85 ans, est adressée en 2021 dans notre centre référent implant cochléaire par son ORL en raison d’une dégradation de la communication et d’une discordance entre audiométrie tonale et vocale. Elle se présente seule au rendez-vous avec 45 minutes de retard, ayant eu du mal à trouver le bâtiment de consultation. Cette patiente, ancienne professeure universitaire, est bien entourée sur le plan familial. Elle rapporte dans ses antécédents « un problème cardiaque » traité par bétabloquant et aspirine (antiagrégant plaquettaire) et décrit spontanément quelques troubles de la mémoire. La surdité aurait été diagnostiquée en 2007, avec un premier appareillage audioprothétique entre 2007 et 2013. Cet appareillage a été renouvelé il y a un an sans suivi depuis. Il n’y a pas de doléances concernant l’audition, en particulier pas de gêne rapportée pour les conversations en milieu bruyant, pour l’écoute de la radio ou la télévision ou les échanges au téléphone. L’examen clinique retrouve deux volumineux bouchons de cérumen obstruant les conduits et altérant l’efficacité des appareils auditifs, qui étaient non fonctionnels lors de la consultation. L’audiométrie dans le silence montre une surdité moyenne bilatérale symétrique prédominant sur les fréquences aiguës sans discordance entre audiométrie tonale et vocale (listes de Fournier) alors que l’audiogramme, réalisé dans les mêmes conditions quelques jours avant par son ORL, retrouvait des performances nettement inférieures en audiométrie vocale [figures 1A, 1B].

Figure 1A

Figure 1B

Nous réadressons la patiente à son audioprothésiste qui renvoie rapidement un compte rendu témoignant du port irrégulier des prothèses [figure 1C]. Le nouveau bilan en consultation ORL, auquel la patiente se présente avec 3 heures de retard, retrouve des performances altérées dans le bruit avec les prothèses, avec un SIB 50 à + 2,3 dB au test de Framatrix pour une normale à -6 dB. Le bilan orthophonique constate cependant une communication fluide avec une compréhension de 100 % pour les mots de Fournier, 80 % pour ceux de Lafon et 93 % pour les phrases à un rapport signal/bruit de 5 dB. Un test de repérage cognitif, le Montréal Cognitive Assessment (MoCA, www.mocatest.org), réalisé par l’orthophoniste du centre, est très perturbé avec un score de 19/30 pour une normale >26, et des scores altérés pour la mémoire et la réalisation du test de l’horloge [figure 2]. La patiente accepte d’être prise en charge dans un centre de mémoire.

Figure 1C

L’existence de troubles de la performance de la mémoire y est confirmée et l’indépendance pour les actes de la vie quotidienne notée. Le bilan neuropsychologique détaillé montre en outre une atteinte modérée des fonctions exécutives et l’existence de fluctuations attentionnelles importantes (qui expliquent vraisemblablement la variabilité des scores en audiométrie). L’ensemble est compatible avec un trouble neurocognitif de type cortico-sous cortical. Une IRM est prescrite avec un suivi 3 mois plus tard.

Figure 2

En cas de presbyacousie, chez quel patient est-il indiqué de réaliser un test de repérage à la recherche d’un trouble cognitif ?

Joël Belmin : Il y a trois situations pour lesquelles la réalisation d’un test de repérage des troubles cognitifs me paraît nécessaire chez les personnes ayant une presbyacousie. En premier lieu, si le patient se plaint spontanément de difficultés de mémoire ou de concentration (ce qui était le cas de notre patiente). De même lorsque l’entourage signale que le patient rencontre ce type de difficulté, même si lui-même minimise ses difficultés. En second lieu, il faut réaliser largement ce type de test chez tous les patients presbyacousiques de plus de 75 ans, même s’ils n’ont pas de plainte cognitive, car les troubles cognitifs sont très fréquents. En dernier lieu, il faut aussi se poser la question d’une maladie neurocognitive sous-jacente chez les patients ayant un mauvais résultat de l’appareillage auditif et/ou d’observance pour le port des prothèses, comme c’était le cas de notre patiente.

Qui est habilité à réaliser ce test de repérage ? Quels sont les tests recommandés dans cette population ?

Joël Belmin : Tout médecin formé à la passation et l’interprétation d’un test de repérage des troubles cognitifs peut le réaliser. Les gériatres, les neurologues et aussi certains médecins généralistes ont l’habitude de réaliser ces tests. Ils peuvent aussi être effectués par des psychologues et des orthophonistes. Il existe plusieurs tests de repérage des maladies neurocognitives. Ils sont très efficaces pour détecter le trouble neurocognitif (TNC) majeur (ex-démence). Ils le sont en revanche beaucoup moins pour détecter un TNC léger (ex Mild Cognitive Impairment). Parmi les tests validés en langue française, on peut citer des tests ultra-brefs réalisables en 3 minutes ou moins comme le test CODEX, le test du cadran de l’horloge, et des test brefs, réalisables en 10 minutes environ, comme le Mini Mental State Examination (MMSE) ou le MoCA, utilisé dans cette observation.

Quand faut-il adresser en centre de mémoire un patient présentant une surdité et un test de repérage anormal ? Avant ou après la réhabilitation par prothèse ou implant cochléaire ?

Joël Belmin : Si le test de repérage des troubles cognitifs est anormal, il existe une probabilité élevée de TNC majeur et il faut adresser le patient à un centre mémoire pour une procédure diagnostique complète et une prise en charge. Ce bilan peut être entrepris parallèlement au début de l’exploration de la presbyacousie et de la réhabilitation auditive. Si un implant cochléaire est envisagé, il me semble souhaitable de réaliser un bilan cognitif détaillé avant l’implantation qui pourra servir pour le suivi du patient presbyacousique. Un bilan cognitif en centre mémoire peut aussi être effectué en cas de mauvais résultat de la réhabilitation auditive associé à un test de repérage anormal, comme c’était le cas dans cette observation.

Existe-t-il des réseaux pour aider les médecins à orienter leurs patients ?

Joël Belmin : Il n’existe pas à ma connaissance d’annuaire complet et régulièrement mis à jour de la liste des centres mémoires. Je conseille de s’adresser au Dispositif d’appui à la coordination (DAC) du territoire de santé concerné. Mis en place par les Agences régionales de santé, ils mettent en contact les professionnels de santé avec les ressources de leur territoire. Les DAC sont en cours d’installation et sont faciles à trouver sur le site des ARS. Elles sont en général construites sur la base des plates-formes territoriales d’appui (PTA) que l’on peut contacter si la DAC n’a pas encore été créée. Une autre façon commode d’identifier les centres mémoire est de prendre contact avec un centre de gériatrie voisin qui dispose de leurs coordonnées.

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