Les connaissances scientifiques évoluent vite. Les technologies également. Ainsi, la prise en charge des patients, qui dépend essentiellement de ces deux aspects, est en constante évolution. Ne pas être à jour des connaissances, de l’évolution des pratiques, etc., c’est potentiellement mettre en danger un patient. C’est avec ces considérations en tête que les législateurs ont mis en place le développement professionnel continu (DPC) pour les professionnels de santé. L’article 114 de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 précise : « Le développement professionnel continu a pour objectifs le maintien et l'actualisation des connaissances et des compétences ainsi que l'amélioration des pratiques. Il constitue une obligation pour les professionnels de santé. » Voilà pour la théorie.
Respecter les orientations triennales
La pratique n’est pas si simple. Autant le dire, le DPC est un imbroglio, en cohérence avec la tradition française. La plupart des formations qui s’offrent aux professionnels de santé n’entrent pas dans le cadre du DPC. En effet, l’un des premiers critères pour qu’une formation soient reconnue par l’Agence nationale du DPC (ANDPC), qui structure tout ce système, le finance en partie et assure son fonctionnement, c’est qu’elle n’ait aucun lien avec des industriels. Exit donc les congrès et les formations délivrées par les fabricants ou distributeurs. Et elles sont nombreuses (voir nos articles Immersion dans la formation continue et Formation continue : l'offre des fabricants). Les diplômes universitaires (DU, DIU ) peuvent toutefois entrer dans le cadre du DPC sous certaines conditions. En outre, afin qu’elle soit reconnue par l’ANDPC, une formation doit être conforme aux orientations triennales prioritaires (voir encadré ci-dessous). Il en existe plusieurs : celles fixées par le ministère de la Santé (on en compte environ 45 pour la période 2020-2022), celles, spécifiques, décidées par les Conseils nationaux professionnels (CNP) – il en existe un par profession de santé et par spécialité médicale – et celles établies par les conventions avec l’Assurance maladie.
Enfin, ces formations doivent être dispensées par un organisme de formation également reconnu par l’ANDPC (ODPC). Il peut s’agir d’une association (un tiers des ODPC), d’une entreprise (un quart), d’un hôpital, d’un organisme proche du CNP (ORL-DPC et FNO’form), etc.
Deux actions tous les trois ans
Afin de satisfaire les obligations du DPC, chaque professionnel de santé doit suivre au moins deux actions de formation dans une période de trois ans non glissante (celle en cours couvre les années 2020 à 2022). Pour cela, il doit piocher dans l’offre de formations agréées par l’ANDPC. Mais pas au hasard. Il existe trois types d’action de formation : la gestion des risques (principalement en établissement), l’évaluation des pratiques professionnelles et la formation continue. Le professionnel de santé doit suivre des actions de deux types différents. Un autre moyen de se soumettre aux obligations de DPC consiste à entreprendre une démarche de certification (Afnor, etc.). Cette dernière option est particulièrement importante car l’offre de formation DPC en audioprothèse est plutôt pauvre (0,4 % des actions en 2019). En outre, en 2019, toutes les actions reconnues par le DPC étaient de type « formation continue ».
Pour les orthophonistes, le DPC est déjà entré dans les moeurs : « Les orthophonistes se forment énormément, affirme Cécile Petit, vice-présidente de la FNO, chargée de la formation continue. C’est inscrit dans notre culture professionnelle. En outre, nous avons créé en 2018 des Sasu (sociétés par actions simplifiée unipersonnelle) dans chaque région. Elles proposent des sessions d'évaluation des pratiques professionnelles qui ont été conçues par la FNO. Chaque professionnel se questionne sur sa propre pratique, dans un format d’échanges assez libre. Ces réflexions aboutissent à la conception d’outils ayant pour objectif d’améliorer nos compétences. »
Un système à améliorer
Pour compliquer encore un peu la tâche, le financement n'est pas à la hauteur de l'objectif : l’ANDPC participe en partie, mais uniquement pour certaines professions, incluant les médecins et les orthophonistes, mais pas les audioprothésistes qui doivent décidément faire preuve de très bonne volonté pour respecter la loi. Ainsi, chaque orthophoniste dispose d’une enveloppe annuelle de 850 euros environ (soit 14 h de formation), tandis que l’enveloppe des médecins s’élèvent à 2 940 euros (soit 21 h de formation). « Cette enveloppe est suffisante au niveau individuel, explique Jean-Michel Klein, président du CNP ORL, mais l’enveloppe globale ne couvre pas les besoins de l’ensemble des médecins. En fait, le législateur a constaté qu’environ un tiers des médecins se formaient chaque année. Il a donc décidé de fournir le budget annuel pour cette proportion, en supposant que sur trois ans, l’ensemble des médecins pourraient ainsi se former. Sauf que d’années en années, ce sont souvent les mêmes médecins qui se forment. » D'autres moyens de financement sont néanmoins possibles (FIF-PL pour les orthophonistes, FAF-PM pour les médecins, OPCA, CFP, employeurs...).
Mais le DPC ne constitue pas à lui seul la formation continue et c’est un système encore balbutiant. Il souffre en particulier d’une « pénurie de contrôle et de financement, et un d'excès de règles inapplicables », concède Jean-Michel Klein. Mais des réflexions sont engagées pour l’améliorer, ou le compléter. « À l’Agence du numérique en santé, où je représente les spécialités médicales, nous travaillons sur des registres avec des indicateurs, dont l'évolution permettrait de développer des formations qui maintiendraient les ORL dans la meilleure mouvance de la pertinence des soins, détaille l’ORL. Pour chaque pathologie, on essaie de mieux connaître la pratique – qualités et défauts – de l’ORL et voir ce qu’on peut en sortir. La réflexion aborde les aspects scientifiques, l’apport de la recherche ou encore la réalisation pratique et financière. »
La recertification permettrait de garantir une même qualité et une même sécurité de prise en charge.
Pr Lionel Collet
Vers la recertification
L’absence de contrôle est une autre faille du DPC. Toutefois, la recertification, dispositif à venir, pourrait permettre de maintenir le niveau de compétence des professionnels de santé. « C’est un enjeu de santé publique, déclarait le Pr Lionel Collet Conseiller d’État, lors du congrès de la SFA 2019. Elle permettrait de garantir à toute la population, où qu’elle soit sur le territoire et à tout moment, une même qualité et une même sécurité de prise en charge. »
Cette recertification devrait entrer en vigueur l’an prochain pour les médecins. Toutefois, il ne s’agira pas d’un contrôle avec sanction, mais plutôt d’un accompagnement. Qu’adviendra-t-il des professionnels de santé qui ne satisferont pas aux exigences de ce dispositif ? Les textes d’application devraient le déterminer. « La recertification n’est pas une mauvaise idée, notamment pour garantir le niveau de formation des diplômés à l’étranger, juge François Le Her, président du CNA. Mais elle perd de son intérêt si aucune sanction n’est prévue. Cela est compliqué à mettre en place en audioprothèse. Il faudrait par exemple que les Ocam puisse radier ou refuser les professionnels qui ne sont pas en règle. »
Quoi qu’il en soit, la recertification ne concernera que les professions disposant d’un ordre. Ainsi, les ORL seront bien concernés, mais pas les audioprothésistes, ni les orthophonistes, pour lesquels il faudra donc trouver un autre moyen de garantir la qualité des compétences. Mais avant cela, il faudra compléter l’offre DPC pour les audioprothésistes, car la poignée de formations opposables existantes ne leur permet pas aujourd’hui de remplir leur obligation...