Audiologie Demain (AD) : À quels enjeux répond aujourd’hui la formation continue pour les professionnels de la santé auditive ?
Pr Cécile Parietti-Winkler (CPW) : Le premier enjeu, commun à toutes les professions de santé, est de maintenir une qualité constante des pratiques médicales et paramédicales et de garantir l’actualisation des connaissances et compétences. La formation continue est donc tout aussi nécessaire pour les ORL, que pour les audioprothésistes et les orthophonistes, et va leur permettre, non seulement d’entretenir leurs connaissances et compétences, mais également de les mettre à jour, au gré des avancées scientifiques dans les disciplines respectives, conduisant ainsi à une prise en charge qualitative des patients, selon des données scientifiques actualisées. C’est, par exemple, particulièrement patent en audioprothèse où les avancées technologiques sont nombreuses, rapides, incessantes... Ce dynamisme nécessite des professionnels qu’ils se forment tout au long de leur carrière au rythme de l’innovation.
Le deuxième enjeu est de satisfaire à une obligation règlementaire de développement professionnel continu (DPC), obligation individuelle et triennale, inscrite dans le Code de la santé publique à l'article L.4021-1. Initiée par la loi HPST de 2009 et mise en œuvre en 2013, puis modifiée par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, elle impose aux professionnels de santé de justifier, sur une période de trois ans, de leur engagement dans une démarche de DPC comportant des actions de formation continue, d’évaluation et d’amélioration de leurs pratiques et de gestion des risques.
Le DPC doit répondre à des orientations nationales définies par spécialité sur la base des propositions des Collèges nationaux professionnels (CNP). Chaque CNP détermine un parcours de DPC estimé nécessaire par la profession pour le maintien, l’actualisation des connaissances et des compétences et l’amélioration des pratiques.
AD : Que risque un professionnel qui ne remplit pas ses obligations ?
CPW : Le DPC est une obligation pour laquelle il n'y a pas encore de sanction directe. À l’heure actuelle, la notion d’organisme de contrôle du DPC et donc de sanction reste floue. Pourtant, le DPC est l’une des clés de voûte de la recertification, dispositif réglementaire qui sera mis en oeuvre probablement courant 2021, et qui s’accompagnera donc sans doute, à court terme, de moyens d’évaluation.
Pour autant, si, aujourd’hui, il n’existe pas encore de contrôle ou de sanction directe, ne pas remplir son obligation de formation continue comporte un risque important et parfois méconnu. En effet, en cas de sinistre, les compagnies d’assurance, dans le cadre de la responsabilité civile professionnelle, pourraient être amenées à s’assurer que le professionnel de santé mis en cause satisfait bien aux obligations prévues dans le Code de la Santé publique, dont celle de formation continue. Ainsi, qu’arriverait-il si ce professionnel de santé ne peut justifier, auprès de son assureur, de son DPC ? Pourrait-il ne pas être « couvert » par sa compagnie d’assurance sur ce motif ?
Cette obligation de DPC est par ailleurs très liée à la notion d’opposabilité. Ne sont opposables, c’est-à-dire justifiables par un professionnel de santé auprès d’un éventuel organisme qui viendrait contrôler qu’il a bien rempli son obligation de DPC, que les formations inscrites à l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC). Pour obtenir ce label, les organismes de formations ou les formateurs doivent répondre à un cahier des charges strict et leurs offres de formations sont évaluées par un comité scientifique sur des critères précis (orientations, méthodes, qualification des concepteurs et intervenants, modalités d'évaluation des actions de formations, financement…). Or, si un certain nombre de professionnels de santé ont connaissance de cette obligation de DPC, beaucoup ignorent que toutes les actions de formations ne sont pas opposables. Certains pensent donc être « en règle » alors qu’ils ne le sont pas en réalité…
La formation continue est tout aussi nécessaire pour les ORL, que pour les audioprothésistes et les orthophonistes.
AD : Il existe donc deux types de formations : les actions DPC et les autres ?
CPW : L’organisation actuelle restreint de fait l’offre de formations validantes dans le cadre du DPC. Les critères très précis du cahier des charges de l’ANDPC peuvent parfois constituer un frein pour les formateurs. L’une des conditions pour obtenir le label est l’indépendance financière à l’égard de l’industrie, destinée à garantir l’absence de tout lien d’intérêt. Cela veut donc dire que les formations financées par les fabricants d’aides auditives ou d’implants cochléaires, et elles sont nombreuses, ne satisfont pas au cahier des charges et ne sont donc pas opposables. Et ceci, bien sûr, quelle que soit la qualité pédagogique de ces formations, et quelles que soient les compétences des formateurs intervenants (même des enseignants universitaires comme les PU-PH…). Pour autant, le fait qu’elles ne soient pas ANDPC ne signifie pas obligatoirement qu’elles ne sont pas qualitatives.
À titre d’exemple, les enseignements dispensés à l’occasion de l’EPU en audioprothèse ne participent pas du parcours DPC du fait de la présence d'exposants industriels. Or, cet événement professionnel, organisé par le Collège national d’audioprothèse (CNA), dans un but de formation continue des audioprothésistes, n’y aurait-il pas toute sa place ? Mais selon le cahier des charges, il faudrait pour cela garantir que les participants sur le trajet vers les salles de conférence ne croisent ni publicité ni stand des fabricants !... Le CNA réfléchit actuellement à des solutions.
AD : Quelle est l’offre aujourd’hui pour les professionnels de l’audiologie ?
CPW : Si les enjeux de la formation continue sont communs aux trois disciplines ORL, orthophonie, audioprothèse, la situation de l’offre de formation respective pour ces disciplines est assez différente. Par exemple, les orthophonistes bénéficient d’une offre de formations foisonnante, et sur des thématiques très diverses. Qu’il s’agisse de démarches individuelles (orthophonistes formatrices) ou émanant d’organismes agréés ou encore de fédérations professionnelles…, la discipline fait montre d’un grand dynamisme en matière de formation, non seulement continue, mais aussi opposable, et donc pouvant être valorisée par les orthophonistes dans leur DPC.
En ORL, l’offre est riche et relativement bien fléchée. Notre discipline bénéficie d’un organisme, ORL-DPC, créé en 2010 à l’initiative du SNORL, avec la SFORL et le Collège des enseignants en ORL, et dédié à la formation continue des ORL. ORLDPC n’est toutefois pas seul à dispenser une formation continue. La SFORL contribue également à l’entretien et à l’actualisation des connaissances et des compétences, tout comme le Collège national d’ORL et CCF, dont la mission d’enseignement ne se limite pas du tout à la formation initiale. C’est au niveau du Conseil national professionnel (CNP) d’ORL, qui fédère nos trois instances, qu’est organisé le parcours pluriannuel de DPC en ORL, qui permet à chaque professionnel de satisfaire à son obligation de formation. Il définit ainsi les orientations prioritaires du DPC de la spécialité.
En audioprothèse, la situation est plus complexe, du fait de la structuration de ce secteur. Outre les quelques diplômes universitaires qui sont ouverts aux audioprothésistes et les formations dispensées par les enseignes à leurs audioprothésistes, on compte également les actions proposées par les industriels de la prothèse auditive. Mais, par essence, ces dernières ne sont pas enregistrées à l’ANDPC et ne sont donc pas opposables. Les professionnels ont donc un choix conséquent mais finalement peu de ces formations sont « validantes », ce que la majorité des professionnels de la discipline ignore. Cela pose problème pour satisfaire à leur obligation triennale de formation. Une problématique dont s’est emparé le Collège national des enseignants en audioprothèse, dont c’est une des missions.
Il y a néanmoins un point commun à ces trois professions, c’est leur volonté de s’inscrire dans cette dynamique d’entretien et d’actualisation des pratiques professionnelles pour garantir une qualité de prise en charge toujours optimale. Une volonté au bénéfice des patients mais également des praticiens eux-mêmes. Il reste encore des questions en suspens mais la machine est lancée.