21 Mai 2025

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« Aujourd’hui, on peut diagnostiquer 70 % des cas de surdités génétiques précoces »

Il y a encore 5 ans, la Dr Sandrine Marlin, généticienne et coordinatrice du centre de référence des surdités génétiques, était plutôt défavorable au dépistage auditif néonatal génétique. Mais beaucoup de choses ont changé ces dernières années, et elle plaide aujourd’hui en sa faveur.

Propos recueillis par Bruno Scala
(c)Julee Ashmead_AdobeStock

En 2020, dans une tribune écrite avec la Dr Laurence Jonard et publiée dans nos colonnes, vous concluiez : « Il ne nous semble pas souhaitable aujourd’hui de proposer un dépistage génétique universel néonatal des surdités congénitales ». Aujourd’hui, vous y êtes favorable. Pourquoi ?

Beaucoup de choses ont changé. Tout d’abord sur les plans techniques et financiers. Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile de réaliser un dépistage génétique de la surdité. Tout d’abord d’un point de vue économique, les possibilités sont plus grandes car le séquençage coute beaucoup moins cher. Ensuite, en termes techniques, les méthodes sont aujourd’hui plus adaptées et plus rapides. Enfin, les résultats sont plus fiables. Il y a eu aussi d’importants progrès en termes de connaissances. Plus de 200 gènes de surdités non syndromiques ont été identifiés. Si bien qu’aujourd’hui, on peut diagnostiquer par dépistage génétique près de 70 % des cas de surdités génétiques précoces.

Des choses ont changé aussi sur le plan juridique ?

Les lois de bioéthique, notamment celle de 2021, ouvrent la possibilité d’un dépistage génétique néonatal pour les maladies rares de l’enfant, pour lesquelles la prise en charge va changer l’évolution de ce dernier ou pour lesquelles il existe un traitement. Avant cette loi de 2021, il était possible d’utiliser la génétique à des fins diagnostiques, mais pas dans le cadre du dépistage.

Quels sont aujourd’hui les avantages du dépistage génétique de la surdité ?

Lorsqu’on détecte une anomalie via un dépistage génétique, on sait que l’enfant va développer une surdité. Ce n’est pas une probabilité, c’est une certitude. Ainsi, le dépistage génétique permet d’améliorer le dépistage physique, notamment en diminuant les faux positifs (les tests qui montrent une surdité alors qu’il n’y en a pas, NDLR), car ils sont très nombreux avec les otoémissions acoustiques.

Le dépistage génétique permet aussi de diminuer les faux négatifs (quand on passe à côté d’une surdité). C’est le cas par exemple des neuropathies auditives, qu'on ne peut pas détecter avec les otoémissions acoustiques, dont une – la DFNB9 – est désormais éligible à un essai clinique basé sur la thérapie génique. La génétique détecte aussi les surdités évolutives, qui ne sont pas encore présentes à la naissance, mais qui vont apparaitre dans les premiers mois ou premières années de vie. Ou encore les surdités légères.

Dans ces cas, les résultats des tests physiques sont faussement rassurants, ce qui accentue l’errance diagnostique. Les patients et leurs parents ne peuvent pas croire à une surdité puisqu’il est écrit dans le carnet de santé que l’audition est normale, et il en va de même pour certains professionnels de santé non spécialistes de l’audition. Le dépistage génétique réduirait ces obstacles à une prise en charge précoce.

Un autre exemple de l’intérêt de détecter certaines formes de surdités génétiques est la prévention de cas familiaux. Il existe une forme de mutation de l'ADN mitochondrial qui provoque une hypersensibilité cochléaire au traitement antibiotique par les aminosides. Une personne porteuse de cette mutation peut être sourde dès la naissance ou le devenir plus tard, sans même avoir eu recours à cette famille d’antibiotiques. Mais si elle est traitée par ce type d'antibiotiques, elle deviendra sourde profond. Or l’ADN mitochondrial se transmet par la mère, donc tous les enfants d’une mère porteuse de la mutation en hériteront. Lorsqu’on dépiste cette mutation chez une personne, on sait que toute sa famille maternelle est porteuse. Et on peut ainsi faire de la prévention à grande échelle, sur plusieurs générations. Toutes ces personnes sont informées qu’elles ne doivent pas avoir recours à cette famille d’antibiotiques (sauf urgence vitale).

Lorsqu’on détecte une anomalie via un dépistage génétique, on sait que l’enfant va développer une surdité. Ce n’est pas une probabilité, c’est une certitude.

Est-ce que le dépistage génétique présente des inconvénients ?

Oui, il y en a. Le premier, c’est que, s’agissant d’un dépistage néonatal, il intervient très tôt. Et donc les médecins peuvent être amenés à annoncer des pathologies, dans un moment qui n’est pas évident pour les familles. D’autant que, en fonction de ce qui est détecté, on peut devoir annoncer des pathologies qui ne se développeront que des années plus tard, comme pour le syndrome d’Usher.

Néanmoins cet inconvénient est également un avantage : c’est celui de détecter tôt des pathologies associées, dans le cas de surdités syndromiques, et pour lesquelles il existe des traitements, dont l’efficacité peut augmenter quand la prise en charge est précoce.

Dans ce genre de cas, lorsqu’on détecte une maladie héréditaire, est-ce que la famille est prévenue ?

C’est ce qu’on appelle l’information à la parentèle, qui est régie par la loi bioéthique. C’est la famille qui doit informer les membres apparentés qui pourraient être affectés, afin qu’ils prennent contact avec un centre génétique. Cette responsabilité ne revient pas aux médecins, pour des raisons de secret médical. Le corps médical peut néanmoins les aider dans cette démarche, notamment en leur remettant des documents, par exemple des courriers, dans lesquels on invite les personnes à se rendre dans un centre génétique.

Le dépistage génétique peut-il remplacer le dépistage audiométrique ?

Il faut le faire en complément. D’abord toutes les surdités ne sont pas génétiques, comme celle induite par le CMV. Et puis, pour environ 30 % des cas de surdités génétiques précoces, le gène responsable n’est pas identifié. Aujourd’hui, le dépistage génétique ne peut pas suffire. Je plaide donc pour qu'il soit réalisé en complément du dépistage audiométrique.

Aujourd’hui le dépistage néonatal génétique de la surdité est en test dans le cadre d’un essai appelé Perigenomed. En quoi consiste-t-il ?

Il s’agit d’un programme de recherche, lancé par le CHU Dijon Bourgogne, visant à étendre le dépistage néonatal par la médecine génomique*. La première phase de ce programme a commencé en janvier 2025, dans cinq CHU (Dijon, Besançon, Rennes, Nantes et Angers). Le but est ici de tester les circuits du dépistage. 2 500 nouveau-nés vont y participer. Et l’objectif est de tester environ 400 maladies, parmi lesquelles la surdité. Tous les gènes de surdité précoce connus sont inclus dans ce dépistage, soit environ 120 gènes.

La deuxième phase visera à évaluer le dépistage néonatal génétique à grande échelle. Toutes les maternités de cinq départements de la région Bourgogne-Franche-Comté y participeront, ce qui correspond à environ 20 000 enfants qui seront suivis pendant 5 ans. Cela permettra aussi d’évaluer les enjeux économiques et organisationnels.

Parallèlement, des travaux en sciences humaines et sociales seront menés afin d’évaluer les impacts dans ces domaines.

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