Il y a 10 ans, le dépistage de la surdité néonatale en France devenait un programme national. Rendu obligatoire par un arrêté de 2012, ses modalités n’ont été précisées qu’en 2014 par la publication d’un cahier des charges national. Son déploiement – progressif – a été confié aux Agences régionales de santé (ARS). Cette absence de coordination nationale s’est traduite par une mosaïque organisationnelle. Une enquête de la Fédération française des acteurs du dépistage auditif néonatal (Ffadan) a montré en 2022 que le programme était implémenté dans des centres régionaux de dépistage néonatal pour 29 % des régions, par le réseau périnatalité pour 7 % d’entre elles et via une organisation mixte pour la majorité des régions.
« Avant 2015, on estime que 50 % des maternités avaient de leur propre initiative mis en place un dépistage auditif néonatal, rappelle la Dr Catherine Durand, vice-présidente de la Ffadan. Avec sa formalisation dans une politique publique, on a enregistré une progression rapide et le bilan publié en 2021 par Santé publique France* pour 2015 et 2016 a montré que l’exhaustivité** s’élevait à 83,3 % puis à 93,8 % ». Selon la pédiatre il atteindrait aujourd’hui 99 %. Malgré un démarrage compliqué, le dépistage auditif néonatal est donc aujourd'hui performant. Autre information révélée par ce bilan, un faible taux de refus parentaux (1/1 000) montrant une bonne acceptation sociétale.
Cette évaluation nationale ne s’est pas prolongée au-delà des deux années de la mise en route et les données pour apprécier le programme au long cours sont par conséquent parcellaires. On ne dispose pas par exemple du nombre de perdus de vue consolidé à chaque étape, un indicateur important que la Ffadan estime très disparate dans les régions en raison des différences d’organisation. En 2021, l’enquête nationale périnatale a permis d’établir pour chaque maternité quels examens – otoémissions acoustiques (OEA) ou potentiels évoqués auditifs automatisés (PEAA) – étaient utilisés pour réaliser les deux tests prévus par le programme (T1 et T2). Pour 44 % des maternités, T1 et T2 étaient réalisés via les OEA, alors qu’une proportion identique de maternités (28 %) utilisaient soit les OEA pour T1 et les PEAA pour T2 soit les PEAA les deux tests (voir graphe ci-dessus).
Les PEAA sont recommandés par le législateur pour les enfants admis en néonatologie puisque ces derniers présentent plus fréquemment des surdités rétrocochléaires, indétectables avec les OEA. Ces dernières sont également plus faillibles lorsque le test est réalisé moins de 48 heures après la naissance, un point à considérer dans un contexte où la durée de séjour en maternité est de plus en plus courte. « Cette question demeure en débat y compris à la Ffadan car plusieurs régions militent pour un T1 par OEA et un T2 via PEAA, l’une des raisons étant que, même s’ils induisent moins de cas sans réponses, les PEAA requièrent plus de temps », commente le Dr Durand.
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Le T3, une initiative des maternités
La proportion de résultats non concluants (ne permettant pas d'affirmer la normalité du circuit auditif testé au seuil de 35 dB) après deux tests est ainsi variable et dépendante de la séquence d’examens choisie et des conditions de leur réalisation. Pour certaines maternités, ce pourcentage se situe aux alentours de 2 %, pour d’autres il peut atteindre 6 %, ce qui implique l’adressage d’un nombre élevé de nouveau-nés à des ORL. « Dans ce contexte, les maternités ont pris l’initiative, non concertée entre elles, de proposer un test différé qui n’était pas prévu par le législateur afin de ne pas surcharger la ressource rare que constituent les ORL spécialistes mais également pour éviter que les parents aient à parcourir les grandes distances qui les séparent quelquefois des CHU qui sont les principaux centres de diagnostic », relate la pédiatre. La quasi-généralisation de ce 3e test réalisé entre deux et quatre semaines de vie a été recensée dans l’enquête menée par la Ffadan en 2022. Il est organisé à l’échelle régionale pour 83 % des naissances. « Le résultat le plus intéressant est que ce T3 permet de normaliser 9 enfants sur 10, ce qui optimise les adressages vers les ORL », insiste Catherine Durand.
Central pour ne pas engorger les ORL et les centres de diagnostic, le test différé T3 n’est pas aujourd’hui formellement identifié par le législateur. Sa facturation ne dispose pas de cotation spécifique et n’est pas comprise dans le forfait de 18,70 € par enfant dépisté. Dans la pratique, il peut être considéré comme une consultation médicale ou de sage-femme, ce qui permet sa prise en charge à 100 %. Pour la Ffadan, il est souhaitable que ce test soit doté d’un code Assurance maladie spécifique et d’une valorisation financière permettant la rémunération de l’opérateur – établissement de santé, libéral ou autre –, et qu’il se fasse sans dépassement d’honoraire et en incluant le tiers payant. « Sa réalisation devrait être ouverte tant aux médecins qu’aux infirmiers puériculteurs et infirmières puéricultrices et aux sage-femmes puisqu’il s’agit d’un test automatisé sans interprétation, l’obstacle demeurant le cout de l’équipement puisque l’on recommande l’examen des PEAA afin de limiter le nombre de faux-positifs », complète la Dr Durand. La seule réalisation du T3 dans les conditions actuelles n’est toutefois pas suffisante pour un dépistage conclusif. En cause : l’absence de moyens pour le suivi et un parcours de soin mal défini. Résultat, par défaut d’un véritable pistage, beaucoup d’enfants demeurent dans une incertitude diagnostique.
En participant à l’efficience du programme, le test différé peut notamment contribuer à une plus large prise en charge des pertes unilatérales. Le législateur ne les a pas ciblées puisque les textes mentionnent la détection de la surdité permanente bilatérale... tout en recommandant de tester les deux oreilles. Selon l’enquête de la Ffadan en 2022, la recherche et le suivi des seuls troubles bilatéraux concerne 48 % des naissances. Pour Catherine Durand, il y a là une lacune. « Il est nécessaire de mieux prendre en compte les enfants avec des pertes unilatérales et que leur diagnostic aille à son terme en premier lieu parce que certaines surdités sont évolutives – telles celles provoquées par le cytomégalovirus –, puis par nécessité préventive car lorsqu’on ne dispose que d’une seule oreille fonctionnelle il est important d’être sensibilisé à sa protection », plaide la pédiatre.
Une phase de diagnostic à mieux structurer
Après 10 ans de programme, qu’en est-il de l’étape cruciale de l’entrée en phase de diagnostic des enfants non concluants au T2 ou au T3 ? La situation diffère selon les régions. Selon les résultats partagés lors du colloque d’Acfos en novembre 2024, l’aire géographique correspondant anciennement à la Haute-Normandie, pionnière dans le dépistage, affiche un taux de 100 % (2022), l’Auvergne-Rhône-Alpes s’en rapproche avec 94,8 % (2023) alors que l’Occitanie enregistre un taux de 59 % en forte progression. « L’adressage manque encore de structuration car le législateur n’a pas détaillé l’organisation de cette phase, qui peut ainsi être très différente selon la région, avec par exemple une implication plus ou moins grande des ORL de ville ou de proximité », justifie Catherine Durand. Les résultats ne sont pas systématiquement restitués à l’opérateur régional par les médecins par manque de formalisation claire de cette étape du parcours de soins.
Afin de mieux cadrer la phase de diagnostic, des indicateurs et des délais doivent être instaurés. La Ffadan estime que c’est la réalisation d’un premier PEAA seuils avec des résultats chiffrés qui doit être retenue comme le début de cette étape. Pour la fédération, le diagnostic final (selon les critères du Biap) devrait être conclu au plus tard en septembre de l’année N+2. « C’est un laps de temps qui peut sembler très long et qui sera moindre dans la majorité des cas, mais qui prend en compte les délais de rendez- vous et d’examens y compris pour les grands prématurés qui ne pourront être testés que plusieurs mois après la naissance », explique Catherine Durand. Toutefois, la Ffadan considère que le diagnostic doit être effectué au plus tard à trois mois avec une prise en soins avant six mois notamment en cas de surdité sévère à profonde bilatérale.
Ce temps long souligne la différence de nature entre le dépistage biologique, pour lequel les résultats sont quasi instantanés, et celui de la surdité qui est souvent complexe et progressif. « Si nous militons pour une coordination nationale du programme qui n’existe pas aujourd’hui, celle-ci ne peut se faire en fusionnant le dépistage auditif néonatal dans le dépistage biologique en raison de cette différence de temporalité et de nature », conclut la pédiatre.