17 Avril 2025

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La fin du plein emploi en audio

Plusieurs indicateurs statistiques indiquent que, dans le secteur de l’audioprothèse, la tendance du marché du travail est en train de s'inverser : tassement de l’activité, augmentation du nombre de demandeurs d’emploi...

Par Bruno Scala
linkedin opentowork

La transition est brutale. Il y a encore 3-4 ans, le marché du travail dans le secteur de l’audioprothèse battait son plein. Les réseaux sociaux regorgeaient d’offres d’emploi, et les recruteurs devaient lutter pour attirer les audioprothésistes. Certaines enseignes n’hésitaient pas à dérouler le tapis rouge et à proposer des conditions de travail exceptionnelles afin de les convaincre : des avantages très alléchants et des salaires mirobolants étaient parfois proposés, pour des semaines de 4 jours. Nous avions d’ailleurs consacré un dossier sur ce sujet. 

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Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse. De plus en plus d’audioprothésistes ont apposé le petit macaron #opentowork sur leur photo de profil LinkedIn, montrant qu’ils sont à la recherche d’un travail. Et tous les indicateurs suggèrent que le recrutement en audioprothèse s’engage sur une pente sensiblement identique à celle prise, tout schuss, par les opticiens, il y a quelques années.

Ralentissement de l'activité

Tout d’abord, on observe un ralentissement sensible de l’activité, qui a commencé deux ans après le boom du 100 % Santé, en 2023. Il se traduit par une diminution du nombre d’aides auditives vendues – 1,49 M en 2022 contre 1,42 M en 2024* – et une diminution du nombre de patients qui se sont appareillés – 792 101 en 2022 contre 747 653 en 2024*. Mais, dans le même temps, le nombre d’audioprothésistes a continué d’augmenter, à un rythme inédit. On en dénombrait 4 952 début 2024, selon la Drees, soit 474 de plus que l’année précédente. Un record. Résultat, alors que l’activité des audioprothésistes actifs s’était considérablement densifiée avec le 100 % Santé, passant de quelque 131 patients appareillés et 235 aides auditives vendues par audioprothésiste lors des années précédant la réforme, à 224 patients et 422 aides auditives juste après, elle se met aujourd’hui à ralentir. En 2024, selon les données de la Cnam et de la Drees, un audioprothésiste a appareillé 173 patients et vendu 329 aides auditives. Et si l’on se demandait, en 2021, comment le secteur allait gérer ce surplus d’activité, comment les audioprothésistes allaient optimiser l’activité des centres, en envisageant de confier davantage de responsabilités aux assistant·es, ce débat apparait aujourd’hui presque obsolète. En tout cas dans certaines régions.

Demandeurs d'emplois en hausse

Autre indicateur de poids, celui fourni par les données de France Travail, qui recense les demandeurs d’emploi. En audioprothèse, leur nombre a considérablement augmenté ces dernières années. En janvier 2020, on comptait 280 audioprothésistes inscrits à Pôle Emploi en France. Un chiffre certes en progression depuis plusieurs années, mais très lente. En janvier 2025, on en dénombre 640, soit une hausse de 129 %. Et c’est en particulier la région parisienne qui est touchée, et plus généralement les départements hébergeant des grandes métropoles. Ainsi, France Travail recense 240 demandeurs d’emploi pour janvier 2025 en Ile-de-France, soit plus d’un tiers des chômeurs de la profession. Et ce sont les plus jeunes qui sont touchés : les moins de 35 ans représentent deux tiers des demandeurs d’emploi du secteur.

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Nombre d’audioprothésistes demandeurs d’emploi en 2019 et 2025, par département. (Source : France Travail).

Sur le terrain, les recruteurs ressentent bien cette tendance. « Aujourd’hui, l’un des critères déterminants pour les audioprothésistes en début de carrière est l’emplacement géographique » indique Géraldine Noquet, responsable recrutement chez Audika. Et ce sont surtout les villes, en particulier Paris, Montpellier ou Bordeaux qui sont les plus plébiscitées. « Dans ces grandes agglomérations, les recrutements sont plus rapides, tandis que dans des petites villes, le processus peut prendre plusieurs mois. Et ce, malgré des opportunités souvent plus nombreuses avec une présence ORL et moins de concurrence », continue Géraldine Noquet. La France est donc coupée en deux : les grandes villes où les audioprothésistes veulent bien exercer mais où il n’y a pas de postes, et les petites villes où il y a des postes vacants, mais qui ne trouvent pas preneurs. Dans les grandes métropoles, l’offre de soin est encore plus dense qu’auparavant, tandis que les déserts audioprothétiques, comme celui de la Creuse où un seul audio exerce, demeurent (à ce sujet, lire notre prochain Baromètre de la distribution). Ce qui soulève la question de la régulation à l'installation, comme le propose le SDA.

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Nombre de nouveaux audios incontrôlé

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Évolution du numerus clausus ou, pour 2024, du nombre d’étudiants entrant en 1re année d’étude d’audioprothèse. (Source : Arrêtés et Parcoursup)
Comment en est-on arrivé là, alors qu’il y a encore trois ans, les enseignes déroulaient le tapis rouge aux audioprothésistes pour tenter de les faire venir à elles ? La formation des audioprothésistes ne semble pas en cause. D’une part, parce qu’elle a, jusqu’à cette année, été contrainte par un numerus clausus, lui-même contraint par la capacité des écoles et des terrains de stages. À l'été 2024, en effet, le ministère de l’Enseignement supérieur et celui de la Santé n’ont pas signé ni publié d’arrêté fixant le nombre d’étudiants autorisés à commencer des études en audioprothèse en septembre 2024. C’est donc, de fait, la fin du numerus clausus, qui avait été instauré en 2015, et fixé à l’époque à 199 étudiants. Il avait ensuite augmenté chaque année. À la rentrée 2023, 321 étudiants ont été autorisés à être admis en première année. En 2024, selon les données de Parcoursup, ils étaient 336 étudiants, ce qui montre que le numerus clausus était devenu inutile, substitué par la capacité des écoles.

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Mais il existe une autre source d’audios qui, elle, n’est pas contrainte, et qui abreuve le marché français : les bien connues et très controversées autorisations d’exercices, à savoir les étudiants qui obtiennent leur diplôme d’audioprothèse à l’étranger et demandent à pratiquer en France. Un problème identifié depuis des années par le CNA, le SDA, ou même l’Igas, toujours dans son rapport de 2021... mais dont les pouvoirs publics ne se sont toujours pas emparés. Pourtant, les chiffres sont assez édifiants.

Les diplômes étrangers en force

En 2021, les statistiques du ministère de la Santé montraient que, pour la première fois, le nombre de demandes d'autorisation d'exercer la profession d’audioprothésiste en France avec un diplôme obtenu à l’étranger excédait le nombre d’audioprothésistes venant d’obtenir le diplôme d’État. Cette tendance s’est poursuivie en 2022 (les données pour 2023 et 2024 ne sont pas disponibles) : au moins 300 demandes d’exercice ont été déposées, tandis que moins de 300 étudiants obtenaient leur diplôme en France (282 étudiants étaient autorisés à entrer en première année en 2019). Bref, la voie secondaire apporte davantage d’impétrants sur le marché du travail que la voie principale. Et c’est en particulier en région parisienne que ce phénomène est palpable. Le nombre de demandes d’autorisation d’exercice déposées auprès de la Drieets d’Ile-de-France est passé de 31 en 2020 à 180 en 2024. Une augmentation de 500 % en 4 ans.

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Nombre de demandes d’autorisation d’exercice déposées par des audioprothésistes ayant obtenu leur diplôme dans l’Union européenne et la Suisse, auprès de la Drieets d’Ile-de-France.
Résultat : les diplômés à l’étranger représentent aujourd’hui environ un quart des audioprothésistes inscrits au répertoire ADELI et maintenant du RPPS (les audioprothésistes ont migré du premier vers le deuxième en 2024).

Du côté du CNA et du SDA, un travail de lobbying est réalisé depuis plusieurs années pour tenter de juguler cette dynamique. Une solution évidente permettrait de stopper le flux espagnol : passer les études d’audioprothésistes à 4 ans ou plus. Dans ce cas, le différentiel entre la durée des études pour obtenir le diplôme espagnol et celle pour obtenir le diplôme français s’allongerait d’un an, ce qui ferait basculer le système d’équivalence dans une autre catégorie : les étudiants ayant obtenu leur diplôme en Espagne seraient alors contraints de passer le diplôme français. Mais les travaux de réingénierie en cours ne semblent pas s’orienter dans cette direction. « Ajouter deux ans d'études uniquement pour rivaliser avec les formations étrangères n'est pas une raison pédagogique valable et n’est pas forcément efficace », estime pour sa part le Pr Jean-Luc Puel, président du Conseil des centres de formation des universités françaises en audioprothèse (CCFUA).

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Lors du congrès des audioprothésistes qui s’est déroulé en mars 2025, Romain Bégué, de la DGOS, a esquissé une autre piste : interdire aux demandeurs venant de l’étranger de réaliser leur stage de mesures compensatoires (qu’ils doivent effectuer pour obtenir l’autorisation d’exercice) dans un laboratoire qui les a déjà employés précédemment. L’idée est d’empêcher les enseignes de former leurs assistants ou opticiens en distanciel dans le cadre de formation accélérées et peu sérieuses. Mais la législation actuelle s’oppose à cette interdiction. En 2024, le Conseil d’État avait d’ailleurs sanctionné la Dreets de Nouvelle-Aquitaine qui avait refusé de délivrer une autorisation d’exercice à une candidate, sous prétexte qu’elle avait réalisé son stage compensatoire chez un ancien employeur.

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Nécessité d'un audit

En fait, la situation montre qu’un état des lieux de la démographie des audioprothésistes s’impose. En France, il existe précisément un organisme en charge de ce genre de problématique : l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS). Le CNA et le SDA, il y a déjà deux ans, avaient émis le souhait que cet organe s’empare de la question des audioprothésistes. Mais, nous l’avions sollicité à l’époque et l’audioprothèse n’était pas à son agenda. Dommage. Sur la page de l’ONPDS, le dernier rapport disponible date de 2015... Pourtant, en 2021, dans leur rapport sur la filière auditive, l’Igas et l’IGÉSR déploraient le manque de données précises concernant la démographie des audioprothésistes : « On ne dispose pas de projections du nombre d’audioprothésistes dans les dix prochaines années et la mise en place du 100 % Santé n’a pas donné lieu à une réflexion associant tous les acteurs concernés et s’appuyant sur des données objectives en matière démographique. » Le rapport suggérait d’ailleurs de confier cette mission à l’ONDPS... Aujourd’hui, celui-ci nous affirme qu'il n'a reçu aucune demande spécifique pour engager un travail sur la profession d'audioprothésiste.

Toutefois, cette analyse est cruciale, car elle permettrait de déterminer le nombre d’audioprothésistes nécessaires pour une bonne prise en charge des malentendants, tout en évitant une saturation du marché de l’emploi pour la profession.

Si la démographie des audioprothésistes continue de croitre, la situation que l’on observe aujourd’hui à Paris pourrait s’étendre, ou bien la dichotomie entre les métropoles et les provinces pourrait s’accentuer... Une autre façon de résoudre le problème serait que la demande en soins audioprothétiques augmente. Aujourd’hui, environ un malentendant sur deux n’est pas appareillé. La France dispose d’un des plus hauts taux d’appareillage du monde, mais la marge de progression est encore très large.

*Données Cnam

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Évolution du nombre d’aides auditives par audioprothésiste et du nombre de patients par audioprothésiste, en France, en Ile-de-France et en Centre Val-de-Loire. (Sources : Cnam, Drees, France Travail ; calculs Audiologie Demain)
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