Le métier n’est pas nouveau mais il connait des développements récents. Depuis la mise en place du 100 % Santé, l’assistante* en audioprothèse prend véritablement « corps ». Et si cette entité professionnelle ne prétend pas encore aux prérogatives d’une profession aux contours bien définies, dotée d’un corpus de connaissances établi (c’est-à-dire d’une formation ou d’un diplôme reconnu), encadrée par une réglementation spécifique, organisée au niveau de sa représentativité... – autant de marqueurs d’une activité à part entière –, elle s’en rapproche sérieusement. La professionnalisation de ce métier est portée à la fois par l’accroissement sensible de leurs effectifs et par l’évolution de leurs compétences.
Les assistantes en renfort
Le 100 % Santé et les nouvelles exigences de l’arrêté du 14 novembre 2018, l’innovation technologique, la pression des normes et la recherche d’efficience à la fois technique et économique... autant de facteurs ayant contribué à densifier l’activité des audioprothésistes et nécessité le report de certaines tâches à des assistantes pour regagner du temps en cabine. Enseignes comme indépendants ont recruté des collaboratrices, en renfort des audios, voire, parfois, pour pallier le manque de diplômés. Il n’existe pas de statistiques concernant le nombre actuel d’assistantes. Néanmoins, les offres d’emploi pour ces postes se sont multipliées depuis 2021. Les candidatures aussi. « Depuis un an, nous sommes très sollicités et recevons des dizaines de demandes de postes d’assistantes chaque mois, explique Neila Nominé, directrice du pôle recrutement de la plateforme Audioprothèse recrutement. Ce sont souvent des reconversions d’assistantes de direction ou d’assistantes médicales mais on voit également beaucoup de diplômés d’écoles espagnoles en attente d’une autorisation d’exercice. »
Si de nombreuses enseignes n’ont pas souhaité communiquer leurs chiffres ou n’ont pas pu le faire compte tenu des spécificités de leur modèle, certaines ont accepté de nous répondre. Parmi celles-ci, Amplifon comptait 639 assistantes (et 423 audioprothésistes) fin 2019 ; elles étaient 854 en août 2024 (et 539 audioprothésistes), soit une augmentation de près de 34 % (contre 27 % pour les audios). Audika annonce une assistante par centre voire « plusieurs pour certains », soit donc plus de 600 également. Entendre estime le nombre de collaborateurs aujourd’hui à 550 (pour 250 audioprothésistes adhérents et salariés) sur les plus de 320 centres que compte le réseau. Chez GrandAudition, leur nombre est passé de 35 en 2019 (franchises + succursales) à 80 en 2024, soit une augmentation de 128,6 % ; le nombre d’audioprothésistes de l’enseigne a progressé lui de 70 %, passant de 47 en 2019 à 80 en 2024. Quant à Sonance, l’enseigne recensait 88 collaboratrices en 2019 ; elles sont 213 aujourd’hui (contre 50 audios en 2019 et 130 en 2024). En extrapolant, il est possible d’imaginer que leur nombre total en France avoisine aujourd’hui celui des audioprothésistes voire le dépasse.
Le rôle de l’assistante en audio devient aussi important que celui de l’assistante dentaire.
Brice Jantzem, président du SDA
Un rôle élargi
Hier cantonnées à des tâches « classiques » de secrétariat, les assistantes sont aujourd’hui polyvalentes, assumant progressivement de nouvelles responsabilités, au-delà des aspects administratifs. Leur périmètre d’action s’étend désormais aux aspects commerciaux – vente d’accessoires et préparation du travail de l’audioprothésiste – et à la technique avec un premier niveau de maintenance des aides auditives (changer un tube, un écouteur en panne...). Pan plus récent mais qui a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années : l’accompagnement sur l’installation et la prise en main d’accessoires. « Le modèle de l’audioprothésiste seul dans son centre disparait peu à peu, reconnait Brice Jantzem, le président du SDA. Le rôle de l’assistante en audio devient aussi important que celui de l’assistante dentaire (lire l’article Assistante dentaire : une profession réglementée). Aujourd’hui, nos collaboratrices sont amenées à gérer beaucoup plus que nos plannings, avec le tiers payant, l’essai obligatoire, la gestion des stocks. On ne peut plus se permettre de passer une demi-heure sur l’explication du devis ou le fonctionnement du téléphone. Notre métier a évolué et, grâce à ce nouveau binôme, les audioprothésistes peuvent se recentrer sur leur plus-value : les réglages et l’accompagnement. »
Véritable cheville ouvrière du centre, l’assistante participe à son bon fonctionnement et constitue un atout au service de l’expérience patient. « Sa capacité à coordonner efficacement les différentes tâches permet à l’audioprothésiste de se concentrer pleinement sur les aspects techniques de sa prise en charge », explique Benjamin Chaix, cofondateur d’Alliance Audition. Cette répartition des rôles s’apparente, selon Benoît Roy, président du Synea, à un modèle répandu au sein des professions médicales. « On peut en effet se poser la question de la plus-value de l’audioprothésiste sur l’administratif, explique-t-il. C’est un professionnel de santé, le seul habilité à réaliser un certain nombre de tâches. Qu’il veuille se consacrer à ces actes-là et soit assisté sur le reste me parait assez naturel. »
« Le titre "technicien audioprothésiste" n'existe pas »
Le vocabulaire pour désigner les assistants des centres d’audition est varié et peut parfois prêter à confusion pour des non-initiés. L’un des termes employés fait grincer des dents Brice Jantzem, président du SDA : « Le titre "technicien audioprothésiste" n'existe pas », a-t-il déclaré dans un post sur LinkedIn. « Accoler le terme "audioprothésiste" au terme technicien ne donne aucune compétence et surtout aucun droit supplémentaire, souligne-t-il. (...) Si vous travaillez dans établissement d'appareillage auditif notez "technicien" tout court ou "aide-audioprothésiste" à la limite et surtout ne réalisez pas les actes réservés aux diplômés ».
Une revalorisation du métier
L’évolution de la terminologie utilisée pour les désigner illustre bien ce repositionnement professionnel et la volonté des enseignes de valoriser le rôle de l’assistante : on parle désormais de « coordinatrice de centre » (Audika), de « chargée de clientèle » (Amplifon), « d’aide audio »... Les réseaux sont nombreux à avoir repensé leur filière « Assistantes », recrutant ou repositionnant leurs collaboratrices en fonction de leurs nouvelles attributions. « La chargée de clientèle joue un rôle clé dans la coordination de l’activité des centres Amplifon, commente Maryse Mercier, responsable métier assistante du réseau. Elle est le premier point de contact de nos clients et les accompagne tout au long de leur parcours audioprothétique. Ce rôle multidimensionnel a énormément évolué au fil des années. Retravailler la filière métier “Assistante” [en 2023] a permis de faire évoluer l’intitulé du poste avec le souhait qu’il soit le plus représentatif de l’évolution des missions. »
En revanche, cette revalorisation ne se traduit pas toujours en augmentation de salaire. « La plupart des assistantes ne touchent que le Smic ou un peu plus, indique Neila Nominé. Il y a un décalage entre l’évolution de leurs compétences et leur salaire. Au point de pousser certaines à se lancer dans une formation pour devenir audioprothésiste. »
Pamela Ewing, 42 ans, assistante Auditionsanté à Toulouse
« Diplômée d’un BTS de communication des entreprises, j’ai d’abord travaillé au service client des Galeries Lafayette. Les contraintes horaires n’étant pas compatibles avec ma vie de famille, j’ai répondu à une offre pour un poste d’assistante audio, près de chez moi. Je ne connaissais alors pas du tout ce secteur. C’était il y a onze ans ; j’y suis toujours depuis. J’ai été formée par l’assistante que je devais remplacer ainsi que par les audioprothésistes avec lesquels j’ai travaillé. Depuis le RAC0, mon rôle dans le centre a beaucoup évolué ; il est plus complet. L’administratif a laissé un peu plus place au service client et aux aspects commerciaux. Au-delà de la vente d’accessoires, je prépare le terrain pour l’audioprothésiste, et je dois donc connaitre les produits pour répondre aux clients. Mon travail est vraiment complémentaire de celui de l’audioprothésiste ; nous travaillons en binôme. »
Une nouvelle hiérarchie se met également en place. Selon l’expérience de la collaboratrice ou les besoins du centre, l’assistante peut ainsi prendre du galon et endosser le rôle stratégique de bras droit du dirigeant. Sa mission est alors d’épauler l’audioprothésiste dans ses fonctions de chef d’entreprise. Dès 2021, Entendre a ainsi créé un nouveau poste de « coordinatrice gestion et organisation » ou « COG », sorte de super-assistante. « Il en existe une vingtaine au sein du réseau Entendre, explique Mathilde Faure, première COG d’un adhérent Entendre d’Orléans. Ce sont parfois d’anciennes collaboratrices souhaitant évoluer ou de nouvelles recrues. Elles sont chargées de soulager les audioprothésistes, notamment sur l’animation de l’équipe d’assistantes, le suivi administratif des ressources humaines, la gestion des contrats avec les prestataires, de la bonne application de la réglementation ou encore l’analyse des indicateurs de performances pour aider le gérant à la prise de décision ». Nicolas Tribut, le président d’Entendre, précise : « La COG ne s’impose qu’à partir d’une certaine taille de centre. Elle est utile pour des adhérents qui veulent se structurer et moins gérer l’administratif pour se concentrer sur leur coeur de métier. C’est un modèle amené à se généraliser. » Pour les enseignes, il s’agit aussi d’un enjeu de fidélisation de leurs collaborateurs ; un aspect non négligeable dans un secteur en tension. « Les audioprothésistes sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir travailler sans assistante, constate Neila Nominé. C’est devenu une exigence dans les recrutements. »
Mathilde Faure, 34 ans, coordinatrice en organisation et gestion (COG) Entendre Orléans
« Je suis titulaire d’un master de commerce. J’ai été embauchée en 2014 dans le cadre d’une cession d’entreprise. L’ancienne gérante était seule et a transmis sa société à son fils et à une autre collaboratrice. Tous deux, adhérents Entendre à Orléans, avaient à cœur de se concentrer pleinement à leurs patients et ils m’ont recrutée pour coordonner l’organisation et la gestion de leur entreprise. L’équipe comprend désormais 13 personnes dont les deux gérants. Je ne suis pas passée par la case « Assistante » et c’est un peu à partir de ma fiche de poste qu’est né le profil des coordinatrices en organisation et gestion au sein du groupe Entendre en 2021. »
Audika encourage ainsi l’évolution en interne de ses collaborateurs notamment via des « chemins de carrière », jalonnés de plusieurs échelons correspondant à des niveaux d’expertise spécifiques (« confirmé », « spécialisé », « expert », « volant »). Diverses opportunités d’évolution vers d'autres métiers sont également possibles. « Des coordinateurs de centre sont devenus responsables de secteur (managers de proximité), d’autres exercent aujourd’hui au sein de nos fonctions support : formatrice, chargée de partenariats, assistante des relations médicales…, explique-t-on chez Audika. Il arrive aussi que certains reprennent leurs études pour devenir audioprothésistes. »
Vers une délégation de tâches
Ce monde en pleine mutation évolue de façon empirique et recouvre une réalité multiple, avec des profils d’assistantes très hétérogènes. L’absence de filière diplômante est compensée en partie seulement par les programmes-maison mis en place par les enseignes et quelques organismes privés. Et, faute d’un cadre bien défini, certaines dérives s’installent (lire l’encadré). Le SDA s’est emparé de la question dès 2023 et a commencé par sonder les pratiques de ses adhérents (lire l’article Des profils variés et un rôle indispensable). « Il nous semblait important, compte tenu de l’évolution des besoins, d’appréhender la situation, explique Brice Jantzem. L’étape maintenant est d’identifier les compétences que nous attendons de nos assistantes, en tant qu’employeurs, et de veiller à ce que cette répartition des tâches se fasse dans un cadre vertueux. » Une première réponse pourrait être donnée par la mise sur pied d’une formation qualifiante. Plusieurs projets sont à l’étude dont un porté par le Collège national d’audioprothèse (lire l’article Assistante en audioprothèse : des formations disparates).
Où s’arrête le travail de l’audio et où peut commencer celui de l’assistante ? Cette question des délégations de tâches, d’actualité dans la majorité des secteurs de la santé, s’impose aujourd’hui en audioprothèse. Tout le monde s’accorde sur l’intérêt de confier l’explication du devis ou la formation des patients sur l’utilisation des appareils... mais plusieurs actes soulèvent une difficulté. Pour Benoît Roy, la ligne de démarcation est claire : « Modifier un réglage revient à refaire une adaptation. Revenir sur la loi de 1967, c’est ouvrir la boite de Pandore. Je veux qu’on respecte la réglementation et elle est quand même relativement claire sur ce qui est de la responsabilité de l'audioprothésiste. Et pour moi, sa responsabilité, c'est l'appareillage, autrement dit le choix prothétique, l'adaptation, le contrôle d'efficacité immédiate et permanente et l’éducation prothétique. Si un audio a considéré qu'une adaptation devait être faite d'une certaine façon, lui seul peut la modifier. »
Quid de déléguer l’audiométrie ? « Certains envisagent qu’un audiométriste réalise l'audiométrie prothétique dans le centre, et que l’audioprothésiste l’interprète pour l’appareillage, répond Brice Jantzem. Aujourd’hui c’est interdit et il est un peu prématuré de discuter de cette éventualité ». Idem pour la prise d’empreinte : « La position du SDA, c’est de maintenir que ces deux actes sont réservés à l’audioprothésiste ». Pour Matthieu Del Rio, président du CNA, la réponse est sans équivoque : « La ligne rouge, c’est l’audiométrie ».
Une réflexion a ainsi été engagée sur un décret de compétences qui « définirait avec plus de détails les actes réservés aux diplômés et ceux – non réservés – et dès lors réalisables par les assistantes », a indiqué le SDA, dans un communiqué publié début novembre. « Le texte qui régit cela aujourd’hui est assez large et ouvre la porte à des interprétations, explique Brice Jantzem. Le décret de compétences permettrait de clarifier tout cela et, donc, de lutter contre l’exercice illégal de la profession. »
* Cette profession étant très majoritairement constituée de femmes, le féminin est systématiquement employé.