La vie est plus belle en stéréo. Aujourd’hui, on le sait. Les scientifiques ont montré qu’avoir un bon équilibre entre les deux oreilles est important à bien des égards. Mais cette prise de conscience est plutôt récente.
Pendant longtemps, les patients atteints d'une surdité voire d'une cophose unilatérale se voyaient rarement prescrire de solutions thérapeutiques. Dans un ouvrage de 1978 (Hearing in children), les spécialistes de l’audiologie pédiatrique Jerry Northern et Marion Downs écrivaient d’ailleurs : « Les audiologistes et les ORL ne se préoccupent généralement pas de cette surdité, si ce n'est pour identifier son étiologie et assurer aux parents qu'il n'y aura pas de handicap ». À la faveur de travaux scientifiques, la prise en charge de ces patients, que ce soit en pédiatrie ou chez l’adulte, a évolué.Indices interauraux
Concrètement, « la surdité unilatérale impacte de nombreuses fonctions associées à l'audition binaurale », résumait le Pr Joël Ducourneau, directeur de recherche en acoustique à l’université de Nancy, lors de sa présentation à l’e-colloque de la SFA consacré à cette pathologie. En effet, certains indices binauraux sont indispensables à ces fonctions, comme la localisation d’un son.
Globalement, une personne dotée d’une acuité auditive identique dans les deux oreilles bénéfice d’une meilleure audibilité, d’une meilleure compréhension de la parole dans le bruit et d’une capacité à localiser les sons accrue. Cela repose principalement sur différents indices et sur la façon dont notre système nerveux traite les informations. Essentiellement, ces indices sont les différences interaurales de temps (ITD), d’intensité (ILD) et de phase (IPD). Si une source sonore ne se situe pas exactement en face ou derrière un sujet (à égale distance des deux oreilles donc), alors le son mettra plus de temps à parvenir à une oreille qu’à l’autre, l’intensité à laquelle il arrivera à la première oreille sera sensiblement plus forte que celle à laquelle il parviendra à la seconde, et il y aura une différence de phase au niveau des deux oreilles, si la fréquence du son est inférieure à 1 500 Hz.
Il existe aussi des indices spectraux dus à la forme du pavillon de l’oreille, qui sont particulièrement utiles quand, dans certains cas, les différences interaurales n’apportent pas suffisamment d’informations : « Il s’agit de la réflexion des différents sons sur les reliefs de notre pavillon dont la combinaison subtile entraîne des trous spectraux très fins, décrivait le Pr Paul Avan, directeur du Ceriah de l’Institut de l’audition, lors de ce même colloque. Leur position modifie légèrement le timbre et fournit des indices sur l’emplacement de la source sonore. »
L’analyse du système nerveux
Le cerveau est capable d’interpréter ces différences très légères. « Il y a, dans le tronc cérébral et jusqu’au cortex, des décussations [entrecroisements de fibres nerveuses, NDLR] qui permettent aux différents noyaux – notamment le complexe olivaire supérieur – de procéder à des comparaisons entre les activités des deux côtés », détaillait Paul Avan.
Plusieurs phénomènes sont directement liés à cette analyse. Le premier est la redondance binaurale. Elle se traduit d’abord par une sommation de sonie : tout simplement, les sons perçus par chaque oreille s’additionnent. En résulte une sonie plus importante et donc une meilleure audibilité. Il est ainsi possible de gagner environ 5 à 6 dB sur des niveaux d’intensité confortables, et environ 3 dB au seuil d’audibilité. En outre, la façon dont le cerveau traite l’information est bénéfique. Il va par exemple supprimer les signaux qui sont redondants. Ainsi, l’auditeur bénéficie d’une meilleure compréhension de la parole.
Effet squelch et ombre de la tête
Lorsque deux sources sonores se font concurrence – typiquement un bruit et un signal de parole – les différences interaurales d’intensité et de temps sont particulièrement importantes pour un autre phénomène, appelé l’effet squelch (ou démasquage binaural). Il peut facilement être mis en évidence de la façon suivante : on place deux sons concurrents – bruit et parole – au même endroit, le bruit masquant la parole de façon à ce qu’elle ne soit pas intelligible. Puis, on décale l’un des deux signaux : la parole devient alors intelligible. Grâce à ce phénomène, la compréhension dans le bruit peut être améliorée de 20 à 25 %.
Un autre phénomène repose sur la binauralité. Il s’agit de l’effet d’ombre de la tête. La présence de la tête sur la trajectoire d’un son crée une diffraction, ce qui modifie le rapport signal sur bruit. Si le bruit se situe d’un côté et la parole de l’autre, cela peut avoir une incidence forte : une différence d’environ 15 dB sur le RSB.
Indices biaisés
« Une surdité unilatérale, quel que soit le degré (lire l’encadré pour les définitions), dès lors qu'elle entraîne une forte asymétrie, va biaiser certains indices », expliquait le Pr Paul Avan. La surdité va donc induire « une diminution de discrimination des ITD, des ILD et de l’analyse des indices spectraux », détaillait le Pr Ducourneau, ce qui peut conduire à une mauvaise analyse de la scène sonore, notamment une localisation incorrecte et une baisse voire une impossibilité de la compréhension dans le bruit.
La définition de la surdité asymétrique
Comme l’a expliqué le Pr Hung Thai-Van, chef du service d'audiologie & d'explorations otoneurologiques du CHU de Lyon, lors du colloque de la SFA, on se dirige vers un consensus concernant la définition des surdités asymétriques, en accord avec les recommandations de l’Académie américaine d'ORL : « Doit être considéré comme asymétrique un profil audiométrique montrant une différence supérieure ou égale à 20 dB sur deux ou trois fréquences adjacentes et supérieure ou égale à 15 dB sur une fréquence entre 2 et 8 kHz. »
Si, par la façon dont les connexions nerveuses sont structurées, une certaine plasticité est possible, permettant un apprentissage, il est néanmoins recommandé de procéder à un rééquilibrage, grâce à différents outils de réhabilitation (lire notre article Quelles options de réhabilitation pour les surdités asymétriques et unilatérales ?). Car moins l’asymétrie est prononcée, plus l’auditeur peut tirer parti de la binauralité.