Subcophose et système StéréoBiCROS (ou TriCROS)

Si l’idée de coupler une stimulation CROS et stéréophonique n’est pas nouvelle, elle offre une alternative à l’implant cochléaire dans les cas de subcophose avec acouphènes invalidants, diminuant ces derniers et améliorant l’intelligibilité dans le bruit ou la capacité de localisation spatiale des patients [1,2]. Le cas de Paul.

Par Morgan Potier
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Âgé de 67 ans, Paul est un jeune retraité du bâtiment. En dehors d’une exposition chronique au bruit durant sa vie professionnelle, il rapporte surtout un épisode de surdité brusque idiopathique oreille droite OD, apparu trois ans auparavant, accompagnée d’acouphènes sur cette même oreille qu'il décrit comme aigus, permanents, de sonie stable en journée et gênants à l’endormissement.

Paul m’a été adressé par une consœur ORL pour une prise en charge de ses acouphènes, de plus en plus invalidants. Le patient rapporte à l’interrogatoire une gêne fonctionnelle grandissante sur le plan perceptif (localisation…) et social, avec de grandes difficultés de la compréhension de la parole. Appareillé du côté droit en CIC par un confrère sans résultat probant, au décours de son épisode de surdité brusque, il avait fini par abandonner ses aides auditives, 6 mois après leur délivrance.

Bilan

L’audiométrie tonale liminaire révèle une perte neurosensorielle bilatérale asymétrique : sur l’oreille gauche (OG), une pente de ski moyenne à sévère avec des zones inertes cochléaires (ZIC) à partir du 4 kHz (TEN-test) et, sur l’oreille droite (OD), une subcophose classifiée en type E [3].

Figure 1
Figure 1 : Audiométrie tonale et gains prothétiques associés au programme StéréoBiCROS.
Les niveaux d’inconforts ne rapportent pas de recrutement en tonal alors que, lors de l’épreuve vocale, est mis en évidence un recrutement bilatéral avec un maximum d’intelligibilité n’excédant pas 60 % OG et 30 % OD (figure 1). Une AVB avec un test de Dodelé (dichotique) montre des scores très faibles pour les différents RSB mesurés (figure 2).
Figure 2
Figure 2 : Résultats obtenus à l’AVB (dichotique) via les listes verbo-fréquentielles + OVG de Léon Dodelé pour différents rapports signal à bruit.
Une acouphénométrie complète, réalisée en ipsilatéral, révèle un acouphène ayant une sonie de 8 dB SL, centré autour de 1 250 Hz. Le niveau minimum de masquage est de 91 dB HL. Le patient obtient un score de 58 au questionnaire THI et de 3,3 et 8,6 aux EVA -intensité et gêne. Le patient ne présente en revanche pas de trouble cognitif, selon le CoDEX [4].

Appareillage

Si le patient a été adressé à l’origine pour une prise en charge de ses acouphènes par thérapie d’habituation sonore, les seuils liminaires de perception OD écartent de facto cette technique. En effet, avec une limite du niveau de sortie maximale inférieure aux seuils d’inhibition des acouphènes de ce patient [5], un générateur de bruit a peu de chance de montrer une quelconque efficacité. Les scores d’intelligibilité minorent le pronostic de réussite de l'appareillage par une stimulation acoustique traditionnelle. Le choix prothétique « historique » d’un système BiCROS est également écarté. Cette option ne permettant pas la stimulation acoustique de la mauvaise oreille, elle n’assurerait pas un effet de masquage ipsilatéral sur l’acouphène. En revanche, la stimulation hybride d’un StéréoBiCROS, sub-BiCROS ou TriCROS (Potier, INPI - 2016) offre l’avantage d’éviter le compromis entre réhabilitation de la compréhension et masquage de l'acouphène.

Adaptation et suivi

Le StéréoBiCROS permet de bénéficier d’une stimulation stéréophonique en combinant les avantages du renvoi du signal CROS vers la bonne oreille (amélioration de l’intelligibilité) avec la stimulation acoustique des deux oreilles (amélioration de l’acouphène). Un tel appareillage doit, encore plus que lors d’une adaptation classique, respecter la notion de progressivité dans la délivrance du niveau d’amplification/de correction acoustique, avec souvent une période d’adaptation rallongée [6].

La littérature scientifique démontrant l’importance de l’éducation prothétique dans la réussite d’un appareillage CROS / BiCROS [7,8], il est important de laisser la possibilité au patient de choisir, en fonction des environnements sonores de son quotidien, entre trois programmes de stimulation : StéréoBiCROS, BiCROS et Stéréophonique. L’analyse du datalogging montre que Paul porte ses appareils 12 heures par jour. Il rapporte dès les premiers jours d’utilisation une diminution drastique de la perception de son acouphène. Au bout de 45 jours de suivi, les valeurs de gains prothétiques mesurées montrent un réel bénéfice avec le programme le plus utilisé (StéréoBiCROS) (figures 1,2). Bien qu’encore présent, l’acouphène semble avoir continué à diminuer OD et le score au THI post-appareillage diminue de 32 points pour atteindre 26. Ce que corroborent l’EVA -intensité et l’EVA -gêne avec des résultats respectivement à 1,1 et 2,9 soit une diminution respective de 2,2 et 5,7 points.

Résultats au long cours

Après plusieurs années d’utilisation, Paul est toujours satisfait de son appareillage. La sonie de son acouphène est toujours plus faible qu’auparavant et le suivi prothétique montre de bons résultats. Il utilise de plus en plus (36 %) le programme Stéréophonique, plus écologique, et ce, au détriment du programme StéréoBiCROS. Le patient semble s’appuyer à nouveau sur les indices acoustiques lui parvenant sur sa mauvaise oreille, et il n’est pas exclu de retrouver des seuils auditifs (oreilles nues) en post-appareillage améliorés par rapport à ceux mesurés en pré-appareillage (amélioration des seuils liminaires, du SRT et du maximum d’intelligibilité). L'intérêt d'une stimulation Stéréophonique classique n'est donc pas à oublier, d’autant plus que le mode « téléphone acoustique » utilisé pour obtenir la stimulation Stéréo- BiCROS, présente à ce jour quelques « faiblesses » acoustiques par rapport au mode Stéréophonique classique : indisponibilité de certains algorithmes de traitement du signal, bande passante limitée, non gestion du flux CROS, mode microphonique omnidirectionnel fixe et possible effet filtre en peigne. Auxquelles vient s’ajouter, dans certaines conditions de bruit (dichotique inversée), la dégradation du RSB dans la bonne oreille comparable aux résultats connus de la stimulation CROS/BiCROS [9].

Paul est l’un des premiers patients malentendants à avoir bénéficié de la stimulation StéréoBiCROS dans le cadre de la réhabilitation d’une subcophose associée à des acouphènes invalidants. Ses résultats prometteurs nous ont poussés, avec Arnaud Norena et Stéphane Gallego, à mener la première étude française sur une série de cas. Les publications scientifiques devraient voir prochainement le jour et nous incitent à recommander pour ce type de perte auditive de réaliser un essai minimum de 1 à 2 mois en StéréoBiCROS avant d’avoir recours à une solution chirurgicale.

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