Comment crée-t-on un ordre ?

La profession se pose la question de la pertinence d’un ordre des audioprothésistes. Si elle décidait d’opter pour cette voie, quelles seraient les démarches à entreprendre ? Voici les étapes essentielles menant à la création d’une telle instance.

Par Bruno Scala

Fiction ou anticipation : imaginons que l’ensemble des audioprothésistes se mettent d’accord pour créer un ordre. Quelles seraient les étapes pour y arriver ? Dans notre émission Le Débat ! consacrée à cette question en février 2023, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), prévenait : « Vous êtes partis pour une longue aventure. Nous avons demandé la création d’un ordre dès la fondation de la fédération en 1878 et il a fallu presque 70 ans pour que le Conseil national de la résistance accepte, en 1945. » De même, Lionel Collet, alors conseiller d'État, rappelait que la première demande pour l’ordre des médecins avait été effectuée durant l’entre-deux-guerres et qu’il avait finalement été créé en 1945. Plus récemment, les masseurs-kinésithérapeutes étaient parvenus à faire inscrire la création de leur ordre dans la loi dès 1998. Mais en raison de tergiversations politiques, cette instance n’a, dans les faits, été créée qu’en 2006.

Patience, consensus et maturité

Bref, créer un ordre ne se fait pas du jour au lendemain. Convaincre les pouvoir publics constitue la première étape. « Il faut du temps pour que les pouvoirs publics acceptent un ordre, c'est indiscutable, constatait Lionel Collet, lors de notre Débat. Parce que derrière l'ordre, on délègue une juridiction disciplinaire à une profession, ce qui n'est pas du tout anodin. » Et de tempérer : « Si une profession veut un ordre, donc si elle a atteint un stade de maturité tel qu'elle considère qu’elle a besoin d'un ordre, je ne vois pas comment les pouvoirs publics pourraient clairement s'y opposer. D'autant plus que sept professions de santé ont un ordre [Les médecins, pharmaciens, dentistes et sage-femmes depuis 1945, et les masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues et infirmiers depuis 2006, NDLR]. Mais j’insiste : cela ne pourra se concevoir que si la profession le demande de manière très forte et très majoritaire. »

Stéphane Michel, conseiller national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et président de sa commission exercice, confirme : « Il faut une volonté partagée de l’ensemble de la profession. Quand on atteint ce consensus au niveau des syndicats, alors le ministère se penche sur la question. » Bien sûr, il y avait des divergences de points de vue avant la création de l’ordre des kinés en 2006 : « L’un des syndicats était favorable à 100 %. Dans l’autre, certains y étaient opposés et y voyaient une concurrence inutile du syndicat. Mais nous avons trouvé un accord. »

Outre une volonté générale, il faut aussi montrer que la profession est mature, notamment parce qu’on va lui déléguer une juridiction disciplinaire. « Nous avons créé un collège pour toute la partie scientifique et nous nous sommes engagés dans la réingénierie de notre formation initiale, montrant ainsi que nous avions atteint une certaine autonomie pour gérer tous les pans de la profession », rapporte Stéphane Michel. Des étapes qui sont familières au secteur de l’audioprothèse.

La création d’un ordre ne pourra se concevoir que si la profession le demande de manière très forte et très majoritaire.

Lionel Collet

Créer une loi

Certaines conditions préalables doivent aussi être remplies. Concrètement, par où faudrait-il commencer ? « Tout d’abord, il faut qu’une loi crée l’ordre », détaillait encore Lionel Collet. Il peut s’agir soit d’un projet de loi, qui émane du gouvernement, ou d’une proposition de loi, issue du parlement. « Cette loi renvoie vers des textes réglementaires, des décrets, pour l'organisation de l'ordre, comme sa structuration, l'accession à certaines fonctions... »

Ainsi, dans le cas des masseurs-kinésithérapeutes, l’article 108 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a officialisé la création d’un ordre et précise l’organisation de ce dernier. Les deux derniers alinéas stipulent que des décrets pris en Conseil d’État doivent déterminer la représentation des professionnels dans les instances ordinales et l'organisation de la procédure disciplinaire et fixer les règles du code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes.

Code de déontologie

Dans les faits, l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes a vu le jour en 2006. Mais c’est deux ans plus tard seulement que le code de déontologie a été validé. « Avant le code de déontologie, nous avions des règles professionnelles mais qui n’étaient pas vraiment gravées dans le marbre, se souvient Stéphane Michel. Ce sont les premiers élus de l’ordre – directement issus des deux syndicats qui ont poussé leurs candidats – qui ont travaillé sur le projet de code de déontologie. Mais nous ne partions pas d’une page blanche, il y avait déjà un consensus des syndicats, et notre code a été conçu sur le même modèle que ceux des autres professions de santé. Il a ensuite été validé par le ministère. »

La publicité fait débat

Du côté des audioprothésistes, les travaux concernant la réingénierie ou l’existence du collège sont des points positifs pour entamer des démarches. Mais il n’y a pas de consensus sur la question de l’ordre. Le SDA y semble plutôt favorable, mais les autres syndicats ont l’air moins convaincus. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité impérieuse de mettre fin à certaines pratiques frauduleuses, la question de la publicité notamment constitue une pierre d’achoppement. La position du SDA est jugée par le Synea difficilement compatible avec le principe de libre concurrence. Le Syndicat des entreprises de l’audition ne se retrouve pas complètement dans la proposition de règles professionnelles que le SDA a rédigée, et qui aurait pu servir de base à un code de déontologie. Néanmoins, ordre ou pas ordre, l’édiction de règles professionnelles semblent indispensable pour mieux encadrer la profession. Et tant que cette dernière ne se sera pas mise d’accord sur cette étape, la suite n’est de toute façon pas envisageable...

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