06 Mars 2023

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La filière auditive entame son virage vert

S’il est difficile de faire état de la progression du secteur dans sa globalité, les acteurs – fabricants d’aides auditives comme distributeurs – semblent bien s’être engagés dans une démarche d’amélioration continue visant à réduire leur impact écologique. Entre « petits » gestes et grandes manœuvres, l’objectif est de « décarboner » la santé auditive.

Par Pauline Machard

Selon un rapport du laboratoire d'idées (think tank) The Shift Project, le secteur de la santé produirait 8 % des gaz à effets de serre (GES) de la France. Pour ses auteurs, l'industrie du dispositif médical doit réduire ses émissions, au même titre que le secteur de la santé au global, de 5 % par an jusqu'en 2050 pour rester sous les + 2 °C de hausse de la température moyenne. Difficile néanmoins de connaître la contribution de l’industrie de l’audition à ces émissions : l’équipe de The Shift Project n’a pas pu « effectuer un détail par secteur » ne disposant pas « pour le moment de données suffisamment désagrégées ». Et le Snitem n’a pas communiqué sur le sujet. Si les acteurs pointent que leur impact est moindre comparé à d’autres industries, aucun, parmi ceux interrogés, ne se dédouane de ses responsabilités. Tous disent accroître leurs efforts. Non pas par obligation – « La France est loin de ce qui devrait être fait aujourd’hui en termes de protection de l’environnement », estime Benoît Caudreliez, p.-d.g. de Widex France –, mais « dans une démarche volontaire ». « Le premier moteur est de savoir que la planète ne devrait pas s’arrêter après nous. Et que si elle devait s’arrêter, que ce ne soit pas de notre faute », pose Benoît Roy, le fondateur du réseau Audilab, engagé dès 2008 dans un management environnemental et qui s’oriente aujourd’hui dans une démarche RSE (lire l’encadré ci-dessous).

De l'environnement à la RSE

Les acteurs du secteur disent tous s’inscrire dans une démarche de « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE), soit prendre en compte les enjeux environnementaux, mais aussi sociaux, économiques, dans leurs activités. Audilab, par exemple, a sorti fin 2022 un premier rapport RSE, adhéré au UN Global Compact (une initiative d’engagement volontaire) pour affirmer « [son] engagement » et vise désormais un label RSE, pour être évalué et reconnu par un organisme extérieur. Qu’en est-il des entreprises du DM en général ?

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« Nous ne sommes pas forcément très en avance, reconnaît Florent Surugue, directeur de la communication et du développement économique du Snitem, mais ça devient stratégique. Tout le monde commence à s’y mettre, avec des niveaux de maturité hétérogènes ». Pour accompagner les entreprises, le Snitem a créé début 2021 un groupe de travail RS E. L’objectif : partager les bonnes pratiques en la matière, créer des outils, et défendre les positions de l’industrie sur ces sujets. Le syndicat a édité un guide en deux tomes, « Innover par la RSE », et organise, le 7 juin, un colloque sur ce thème. Avis au secteur !

Une plus grande maîtrise de leur environnement

Preuve de leur engagement, tous les fabricants basés en Europe (WSA , GN, Demant et Sonova) adhèrent à l’initiative Science Based Targets. Dans ce cadre, ils se fixent des objectifs de réduction des émissions de GES en accord avec ce que la science juge nécessaire pour respecter l'Accord de Paris. Pour cela, les efforts des acteurs portent surtout sur la conception et la rénovation énergétique de leurs sites. Côté fabricants, la direction de Widex a investi en 2007 pour construire, à Lynge au Danemark, un siège (aussi une usine) respectueux de l’environnement, dans la ligne de la vision écoresponsable des fondateurs. Le site de production Widex fonctionne avec 100 % d'énergie renouvelable, grâce à un système géothermique et à une éolienne, qui lui a valu de recevoir le label WindMade. Un parc de 5 300 panneaux solaires devrait être opérationnel au cours du premier trimestre 2023. La maison-mère de Widex veut alimenter, d’ici 2025, tous ses lieux de fabrication et bureaux à l’électricité 100 % verte.

De son côté, dans le cadre du programme Stargreen lancé en 2019, Starkey a revu tout le système de chauffage, de climatisation, de sa maison-mère à Minneapolis (États-Unis).

Quant à GN Hearing, le siège danois va fonctionner dès cette année à 100 % avec de l’énergie renouvelable, et la direction travaille à ce qu’il en soit de même pour tous les sites de production. Au niveau local, la flotte de véhicules va passer en 2023 en électrique, explique Xavier Temmos, directeur général France.

Sonova et Demant ne sont pas en reste. Les engagements Environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG) du premier sont clarifiés dans sa stratégie IntACT ; le second mise sur la neutralité carbone d’ici 2050. Et, les nouveaux locaux de Prodition, en France, qui seront livrés courant 2023, devraient « répondre aux exigences du groupe Demant en termes d’éco-responsabilité », comme nous l'indiquait Christophe Aubert, directeur d'Oticon France, dans une récente interview.

Côté distributeurs, le groupement Optic 2000 a entrepris en 2022 de réduire de 71 % les émissions de GES de son siège grâce à la géothermie, et Audilab aimerait aller vers des projets de production solaire.

Si tous les appareils consommaient 20 % de moins, l'impact sur l'environnement serait significatif car nous en fabriquons des millions.

Benoît Caudreliez, p.-d.g. de Widex France

Incitation aux bonnes pratiques

Au sein des entreprises, les équipes s’évertuent à cultiver les bonnes pratiques, comme la diminution de la consommation de papier. Audilab a par exemple, en 2021, mené « une action de sensibilisation qui a permis de réduire de 40 % le volume de feuilles imprimé par les collaborateurs », illustre Ludovic Perrin, auditeur Qualité sécurité environnement du réseau. Chez Starkey, dans l’Hexagone, cette limitation s’est traduite notamment par « la suppression des bons de commandes », fait savoir Fabrice Vigneron, directeur général France. Audilab n’hésite pas à faire remonter les initiatives des centres, le terrain étant « une force de propositions à ne pas négliger, parfois beaucoup plus pratico-pratique que nous », valorise Ludovic Perrin, qui a monté des groupes de travail. Ces bonnes pratiques ayant parfois été mises en place d’abord pour maîtriser les coûts, il faut veiller au discours, tempère toutefois Xavier Temmos, « à ne pas faire passer pour de l’écologie des actions de marketing ou d’économies d’échelle ».

Comme nombre d’entreprises ayant une stratégie bas carbone, celles de l’audition ont souvent commencé par les scopes 1 et 2 (émissions directes provenant des installations fixes ou mobiles à l’intérieur du périmètre organisationnel et émissions à énergie indirecte). Mais c’est le scope 3 – les indirectes liées à la chaîne de valeur – qui, selon The Shift Project, pèse pour plus de 86 % des émissions de la santé. Dans le secteur de l’aide auditive, le scope 3 représente 95 % des émissions des fabricants d’aides auditives (hors Starkey). Dans ce périmètre, distributeurs et fabricants disent agir notamment sur les déplacements, et pas que pour l’écologie : développement du télétravail, de la visio (accéléré avec le progrès technique dont une partie est développée par ces firmes, avec le Covid), encouragement à prendre les transports en commun, diminution des voyages professionnels... Les industriels disent aussi engager leurs sous-traitants dans la chaîne de l’amélioration en faisant passer des audits, signer des chartes notamment sur les critères environnementaux. « N’utilisent-ils, comme nous, que des énergies vertes ? Je ne pense pas, concède Benoît Caudreliez. Leur mettons- nous la pression pour qu’eux-mêmes se modernisent, soient plus engagés ? Oui. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain ».

Améliorer constamment les process

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Les fabricants, aussi poussés par leurs clients, sont en quête perpétuelle de solutions pour réduire l’impact de leurs produits sur l’environnement. La conception des aides auditives « doit être plus efficiente », admet Fabrice Vigneron. Alors ils testent, tâtonnent. Signia a investi dans les années 2000 dans la R&D pour développer des solutions rechargeables comme alternative aux aides auditives à piles. L’entreprise s’est ainsi soumise, il y a un an, à une analyse du cycle de vie (ACV) de ses aides auditives Signia Augmented Xperience (AX) et AX rechargeables afin d’en comparer l’impact environnemental (lire notre article Piles ou batteries : la panacée n'existe pas). « Nous sommes une entreprise responsable, et améliorons en permanence notre outil industriel pour tendre vers une production 100 % neutre en CO2, commente Benoît Caudreliez. Au-delà, l'autre challenge environnemental est de réduire encore plus la consommation des aides auditives pour les patients. Si tous les appareils consommaient 20 % de moins, l'impact sur l'environnement serait significatif car nous en fabriquons des millions. »

Réduire l’impact passe aussi par les emballages. Par le choix des matériaux : Widex opte pour du papier FSC ; Starkey lance des produits comportant bien moins de plastique voire pas du tout ; GN Hearing utilise des plastiques plus durables, l’objectif étant pour Xavier Temmos « qu’en 2025, la moitié de nos plastiques et de nos packagings soient faits de produits recyclables ». Par la limitation de la quantité de contenants : Audilab a ainsi « émis le souhait de ne plus avoir deux boîtes pour la vente d’une stéréo », indique Hélène de Baudreuil, directrice Pôle client ; Starkey ne prévoit qu’une boîte et non deux pour ses rechargeables, et va revoir ses unités de conditionnement, pour « ne plus livrer à la pièce, mais en quantités raisonnables ». Les mêmes arbitrages ont lieu pour la PLV : composants, durabilité, virage numérique.

Autant de changements attendus par les distributeurs. L’idée, présentée par Audio 2000, a tout d’un pacte : l’enseigne « adopte une politique d’achats responsables avec ses fournisseurs pour renforcer la maîtrise des risques environnementaux », et demande aux fournisseurs de s’engager « à prendre en considération les problématiques environnementales (...) et à favoriser les technologies les plus respectueuses de l’environnement ». Quant aux livraisons, tous disent s’évertuer à les regrouper. La réduction des distances de production – pas forcément envisagée dans une optique écologique – pèse aussi. « Les produits fabriqués en France sont quand même moins chargés en carbone », glisse Fabrice Vigneron.

Quant à la gestion de la fin de vie des appareils, elle est également prise en considération et pour cause, c’est une obligation. Dans le cadre de la REP qui suit le principe pollueur payeur, chaque producteur de déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E) doit participer au financement de la filière de leur recyclage (0,08 € HT par aide auditive). Ils en délèguent ainsi la responsabilité à des éco-organismes (Ecosystem et Ecologic). « Les fabricants ont en outre une obligation d‘information sur les produits, comme la poubelle barrée et, depuis 2023, l’info-tri », décrit Jean-Paul Auberger, directeur des relations avec les fabricants chez Ecosystem, qui annonce récupérer moins de 100 000 aides auditives chaque année.

Chez les distributeurs, Audilab par exemple a recyclé plus de 9 000 kilos de piles depuis 2005. Chez les fabricants, outre le recyclage, l’enjeu est celui du reconditionnement : depuis sa création, Starkey récupère les appareils usagés, les reconditionne et les redistribue via sa fondation ; Widex facture ses écouteurs aux audioprothésistes afin d’émettre une garantie et de les reprendre en cas de panne. Des écouteurs bouchés ont ainsi une autre vie… À condition de convaincre les clients de la démarche. Tous veulent aller plus loin et ont intégré, comme l’écrit WSA , que « la protection de l’environnement est une question d’amélioration continue ». Le challenge est individuel, et collectif : patients, distributeurs, fournisseurs et fabricants. Pour Xavier Temmos, il ne doit pas être question de « guerre de compétiteurs », « c’est l’ensemble de la profession, des fournisseurs, qui peut régler le problème ». Il poursuit : « Il y a une vraie discussion à avoir : est-ce que l'on se contente de faire du marketing écologique, ou essaie-t-on de changer les choses ? »

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