Les services de recrutement du secteur de l’audioprothèse sont sur le pied de guerre. Avec l’entrée en vigueur du 100 % Santé, la demande en matière d’appareillage auditif s’est intensifiée… et, avec elle, la pénurie d’audioprothésistes. Hausse de la demande de soins, arrivée de nouveaux acteurs, renforcement du maillage du territoire et numerus clausus… autant de raisons qui expliquent la tension actuelle sur le terrain. Les postes à pourvoir sont nombreux et, les diplômés, une denrée rare que les enseignes s’arrachent et que les indépendants peinent à capter. L’écart entre l’offre et la demande ne s’est jamais autant fait sentir. Dans cette bataille rangée, plus de gentleman agreement qui tienne ; tous les coups sont permis et l’on n’hésite pas à se « piquer » les professionnels. Les entreprises affûtent leurs arguments pour se démarquer. Les équipes dédiées au recrutement sont étoffées et les stratégies RH revues et corrigées pour gagner encore en attractivité.
Le contexte exige que nous soyons 100 % proactifs. Il faut aller chercher les audioprothésistes.
Un recruteur du secteur
De multiples approches
Dans cette chasse aux talents, les enseignes multiplient les stratégies pour recruter les oiseaux rares, heureux détenteurs du diplôme d’État ou d’une autorisation d’exercice. La moindre bonne idée devient avantage concurrentiel dans cette situation sous tension et les entreprises redoublent d’efforts pour être partout à la fois. Le « sourcing » repose ainsi sur de nombreuses approches. Cela passe par la publication de petites annonces, la prise de contact directe, l’activation de réseaux professionnels, la mise en place de campagnes de recrutement, la participation aux manifestations du secteur, moments privilégiés pour du « job-dating » avec des audioprothésistes indépendants ou non et des étudiants, ou encore le recours aux chasseurs de têtes ou aux cabinets de recrutement qui ont investi le créneau comme Jobergroup ou Dimmo-Conseil. « Il est crucial de diversifier nos stratégies, explique un chargé de recrutement d’une enseigne du secteur. Le contexte exige que nous soyons 100 % proactifs. Passer une annonce et espérer recevoir cent CV est illusoire aujourd’hui. Il faut aller chercher les audioprothésistes. » Certaines enseignes mobilisent ainsi leurs forces vives pour endosser le rôle d’ambassadeurs auprès des candidats potentiels, comme le réseau Audilab qui a lancé en mars un programme de cooptation récompensant les collaborateurs participant à cette démarche.
Autre vivier exploité par les enseignes : l’entretien du réseau de stagiaires et de futurs diplômés. Tous les groupements sont représentés au sein des écoles d’audioprothèse et y exposent régulièrement leurs atouts. Ce « campus management » leur offre la possibilité d’approcher les futurs candidats « dès le berceau » et de faire découvrir à ces derniers leurs spécificités en même temps que les arcanes du métier, notamment au travers des stages. « La relation de proximité avec les écoles et les étudiants est hautement stratégique, explique Claude Piqué, consultant spécialisé dans le recrutement en audiologie. La demande est telle qu’il arrive de faire signer des promesses d’embauche près d’un an avant l’obtention du diplôme ! »
Certains peuvent enfin compter sur un vivier surprenant : la progéniture de leurs propres adhérents. « Depuis la création de Krys Audition en 2014, nous parlons d’audio à nos opticiens, commente Vincent Donneger, responsable des opérations Krys Audition. Si bien qu’aujourd’hui leurs enfants sont sur les bancs des écoles d’audioprothèse françaises et que nous commençons à en accueillir au sein de notre réseau. »
Des arguments bien rodés
Une fois les candidats approchés, il faut transformer l’essai. Là encore, les recruteurs font montre d’imagination pour convaincre les candidats de choisir leur enseigne plutôt qu’une autre. Les services, la notoriété et la stratégie de communication sont les fers de lance de la politique de recrutement des groupements, tout comme les valeurs-maison ainsi que l’histoire de l’entreprise ou encore l’environnement de travail. Audika a ainsi récemment renouvelé sa marque employeur « Notre métier, un engagement qui change la vie », destinée à renforcer son attractivité ainsi que le sentiment d’appartenance de ses collaborateurs. Chez Dyapason, on attache la même importance à la marque employeur : « L’implication des audioprothésistes du réseau – pour le soin, par l’indépendance – constitue ainsi un réel atout, commente Vincent Génot, directeur général du réseau Dyapason. Engageant chaque jour leur nom, sur leur enseigne comme auprès de la patientèle, ils défendent au quotidien une certaine vision de leur métier et sont forcément sensibles à la motivation et aux valeurs des candidats, privilégiant dans leur recrutement celles et ceux qui partagent ces valeurs. »
La plupart des groupements mettent également l’accent sur leurs programmes d’accompagnement et de formation en interne et leur capacité à proposer des plans de carrière attractifs. « Chez AuditionSanté, nous donnons l’opportunité aux audioprothésistes de choisir le type de challenge qui leur convient : la création ou le développement de centres existants, illustre Diego Giacomini, directeur senior du développement de l’enseigne. Notre appartenance au groupe Sonova leur garantit de pouvoir évoluer, en France ou ailleurs, dans l’un de nos 3 500 centres, voire de faire autre chose. Pour exemple, notre département médical au siège est aujourd’hui dirigé par un audioprothésiste. » Mêmes perspectives d’évolution chez Amplifon, qui mise également sur la qualité et la richesse ses formations : « Par son ampleur, notre réseau est en mesure de proposer des postes partout en France et d’offrir des perspectives d’évolution, confirme Amaury Dutreil, président d’Amplifon France. Nous proposons un large éventail de parcours. Tout au long de leur carrière, les audioprothésistes peuvent ainsi choisir de se spécialiser via l’un de nos réseaux experts, de manager d’autres professionnels, d’intégrer notre CoTech… »
Certaines enseignes jouent une autre carte, comme VivaSon, qui propose depuis 2019, un modèle de franchises en plus de ses succursales. Un atout aux yeux de professionnels, traditionnellement enclins à l'installation. « C'est en effet un avantage dans ce contexte, explique Michel Touati, président de VivaSon. On peut venir chez nous se former un à trois ans puis ensuite se mettre à son compte, tout en étant adossé à une enseigne forte. C’est un peu le meilleur des deux mondes. »
Le vivier est restreint et les candidats très courtisés. Il faut leur dérouler le tapis rouge.
Un recruteur du secteur
Une inflation des rémunérations
Mais, il arrive que tous ces arguments « ne suffisent plus », comme l’explique un autre recruteur du secteur. « Avec le 100 % Santé et l’arrivée de nouveaux acteurs, les règles du jeu évoluent, poursuit-il. Le vivier est restreint et les candidats très courtisés. Il faut leur dérouler le tapis rouge. La différenciation se fait sur le package rémunération. » Une tendance exacerbée par la pénurie et qui conduit certaines entreprises à verser dans la surenchère. Ce climat inflationniste des conditions d’embauche des audioprothésistes a d’ailleurs été relevé dans le rapport sur la filière auditive de l’Igas et l’IGÉSR, paru en janvier 2022 : « La forte tension sur le marché de l’emploi des audioprothésistes (…) se traduit par un niveau élevé des rémunérations à l’embauche, en particulier en dehors de Paris. Des exemples de rémunérations à hauteur de 55 à 60 K€ bruts par an à la sortie d’école (bac + 3) ont été rapportés à la mission, parfois pour quatre jours de travail par semaine, avec une voiture de fonction et un intéressement au chiffre d’affaires. » Au jeu du « mieux disant », certains acteurs sont prêts à proposer des ponts d’or, selon les régions et le profil recherché : semaine de quatre jours, prime de logement, prise en charge du déménagement, mais également prime de rétention, « c’est-à-dire un bonus de 5 à 10 K€, par exemple, si l’audioprothésiste s’engage à rester deux à trois ans », nous éclaire un chargé de recrutement. « Les salaires proposés frôlent parfois l’indécence, ajoute-t-il. On espère ne pas en arriver à devoir inscrire les enfants dans les établissements scolaires et à chercher la nounou, ce que certaines mairies font déjà pour attirer des professionnels de santé dans leurs communes ! »
Audiologie Demain a trouvé une annonce proposant un salaire entre 8 900 € à 11 500 € brut par mois pour 4 jours par semaine, pour un poste à Toulouse (cf. capture d’écran ci-contre)… Des sirènes auxquelles il est bien difficile de résister. « Même si cela reste exceptionnel, il faut se demander ce qu’il y a derrière ces propositions exorbitantes, prévient Claude Piqué. Ces salaires riment souvent avec des exigences de 60 aides auditives par mois minimum et des attendus contractuels en termes de résultats ! »
Néanmoins, la plupart des acteurs restent dans les clous et évitent de s’aligner sur ces pratiques. « En tant qu’enseignes, nous devons être garants d’une certaine cohérence en interne et, en même temps, on ne peut pas ignorer ce que font nos concurrents… Heureusement, nous parvenons encore à faire de beaux recrutements, gagnés grâce aux arguments métier ! », se réjouit un autre recruteur. Ce que confirme Vincent Génot : « Au-delà du diplôme, nos audioprothésistes indépendants privilégient les candidats qui leur ressemblent, pour un processus de recrutement sélectif qui peut, dans certaines régions, prendre du temps. »