Un pas vers l’appareillage des malentendants institutionnalisés

La situation des personnes âgées malentendantes en Ehpad peine aujourd’hui à avancer, prise entre deux impératifs contradictoires : l’enjeu de santé publique que constitue le sous-appareillage de cette population et l’interdiction pour les audioprothésistes d’exercer hors de leur centre. Depuis 25 ans, l’équipe du Samid œuvre à la mise en place de protocoles de prise en charge spécifique de ces patients. Ce travail aujourd'hui se concrétise au travers d’une expérimentation article 51 dans les Hauts-de-France, qui devrait débuter dans quelques semaines.

Par Christian Renard

Le sujet des audioprothésistes en Ehpad est prégnant. Aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent pour le faire avancer et que soit défini un parcours de soins différent pour les personnes malentendantes institutionnalisées.

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Le rapport de l’Igas, le Livre blanc de la Fondation pour l’audition, et les recommandations de la SFORL préconisent tous la mise en place d’expérimentations encadrées par les pouvoirs publics. Ces dernières sont aujourd’hui absolument indispensables afin que des protocoles précis de prises en soins spécifiques de ces patients en établissements puissent être proposés et imposés aux audioprothésistes volontaires.

Cette démarche est d’autant plus urgente et nécessaire que la mise en place du 100 % Santé a entraîné des dérives intolérables (lire l'article Dérives en Ehpad). Des escrocs abusent ainsi de la fragilité et de la vulnérabilité de nos aînés en Ehpad, en profitant lâchement de l’impossibilité pour des audioprothésistes honnêtes et respectant la loi de les prendre en charge correctement et efficacement !

Tous les professionnels concernés par cet enjeu majeur de santé publique doivent donc se mobiliser activement, sans perdre de temps. C’est pour cette raison qu’avec le Pr Christophe Vincent, chef du service d’otologie et d’otoneurologie du CHU de Lille, et le Pr François Puisieux, chef du pôle de gérontologie du CHU de Lille, nous avons lancé un projet de protocole expérimental article 51 (voir encadré ci-dessous), porté par l’ARS Hauts-de-France. Un comité de pilotage régional est en train d'être constitué, associant des coordinateurs de filière gériatrique, des professionnels hospitaliers et libéraux, des associations d’usagers et de familles, des audioprothésistes, des orthophonistes, et cinq ehpad. Fin octobre, le calendrier devrait être fixé et l’expérimentation lancée. L’article 51 nous permet d’officialiser un protocole mis en place et éprouvé depuis des années par le Service d’aide aux malentendants institutionalisés ou dépendants (Samid).

L'article 51 en bref

La loi de financement de la Sécurité sociale de 2018, via son article 51, a introduit la possibilité de mettre en place des expérimentations en santé. Celles-ci doivent concourir à l’amélioration et à la prise en charge du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins.

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N’importe qui – associations, syndicats, établissements de santé... – peut déposer un projet, auprès de son ARS. L’expérimentation doit durer cinq ans au plus. Ce sont la Drees et la Cnam qui sont chargées de l’évaluation de ces expérimentations et ce, pendant toute leur durée. Une grosse centaine d’expérimentations sont en cours aujourd’hui. c’est notamment le cas d’ICOPE, un programme initialement développé par l’OMS, visant à dépister le déclin fonctionnel lié à l’âge. ICOPE cible les personnes âgées de plus de 60 ans, autonomes (mais celles en situation de vulnérabilité ou de perte d’autonomie sont incluses en priorité) et vivant à domicile. Plusieurs fonctions sont ainsi testées au cours des différentes étapes de la démarche ICOPE, dont l’audition, d’abord par questionnaire, puis grâce à des audiométries.

La création du Samid

La création de cette structure remonte à 25 ans. Mon intérêt pour la prise en charge des patients en ehpad s’est trouvé particulièrement renforcé lors de la passation d’un diplôme universitaire en gérontologie réalisé à l’université de Lille en 1997, quelques années après l’obtention de mon diplôme d’État d’audioprothèse. Lors de ce DU, nous devions effectuer un stage dans un établissement gériatrique. J’ai pu mesurer à cette occasion à quel point la gestion des troubles auditifs et du port de l’appareillage pour les résidents appareillés était problématique ! En effet, très peu de malentendants, pourtant appareillés avant leur entrée en structure, portaient réellement leurs aides auditives dans de bonnes conditions…

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En lien avec le pôle de gérontologie du CHRU de Lille, j’ai alors décidé de créer, au sein des Laboratoires d’Audiologie Renard, une entité spécifique, le Samid. Tous les audioprothésistes, techniciens et assistantes des laboratoires ont été mobilisés pour participer aux actions de ce service.

Le premier objectif du Samid a été de sensibiliser les équipes soignantes des Ehpad sur l’importance de la fonction auditive et les conséquences extrêmement néfastes d’une non-prise en charge des troubles auditifs chez les personnes âgées. Puis, de les former pour qu’elles soient en mesure d’aider le patient appareillé pour la gestion quotidienne de son appareillage auditif. Nous avons donc développé un kit de formation comprenant un portfolio théorique et une valise contenant différents éléments destinés à la formation pratique des soignants (appareils factices, piles, produits d’entretien…) (voir photo ci-contre).

Dans les Ehpad formés, le pourcentage de port régulier et efficace des appareils passe de 18 % à 86 %.

L'interdisciplinarité

Dans l’objectif d’élaborer des recommandations, nous avons participé activement à différents groupes de travail, en particulier au sein du Bureau international d’audiophonologie (Biap) et de l’Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Ces différents travaux nous ont convaincus de la nécessité d’une démarche interdisciplinaire pour rendre ces actions efficaces. L’expérience nous a également prouvé que ces actions de sensibilisation et de formation sont plus efficientes si elles sont réalisées dès le cursus initial de formation des professionnels concernés (médecins, cadres de santé, orthophonistes, infirmiers, aides-soignants, responsable de structures d’hébergement…), puis reprises et réactualisées en permanence dans le cadre de la formation continue des professionnels sur le terrain.

Ce travail de sensibilisation et de formation a porté ses fruits et nous avons pu en mesurer l’impact dans le cadre de l’étude Autonomia, publiée en 2017. Menée de septembre 2009 à février 2015, elle a montré que, dans les Ehpad formés, le pourcentage de port régulier et efficace des appareils était passé de 18 % à 86 % !

Des outils spécifiques pour l'appareillage et le suivi

Encouragés par ces résultats, nous avons décidé d’étoffer les axes d’action du Samid, tant au niveau de la formation que des éléments concernant l’appareillage et le suivi de nos patients appareillés. L’objectif a toujours été le même : apporter à nos patients âgés résidant en Ehpad la même qualité de prise en soins audioprothétiques que celle dont bénéficient nos patients autonomes venant régulièrement sans problème au laboratoire.

La création du Groupe d’étude et de recherche en audiologie clinique (Gérac) et la participation de l’orthophoniste Jérôme André, nous ont permis de développer des outils adaptés à ces contraintes. Des tests de repérage des troubles auditifs, spécifiques à cette population fréquemment concernée par la dépendance et les troubles cognitifs, ont été ainsi été créés, validés, et mis à disposition des équipes des Ehpad (tests TRAG, Idétect et RePro).

Des batteries de mesure et d’évaluation du bénéfice audioprothétique ont également été développées afin de mieux suivre ces patients, dans une démarche systématiquement interdisciplinaire incluant une participation active des équipes soignantes (test MABA-15 et questionnaire EBAP/ EBAPS) et des familles.

De la même manière, et à la demande des professionnels de ces structures d’hébergement, des outils de stimulation auditivo-cognitive, adaptés aux contraintes d’animation collective, ont été mis au point (les ASAC).

L'appareillage, intégré au plan de soins des malentendants en Ehpad

Les actions du Samid ont continué de se structurer, avec le recrutement d’Arnaud Bourgeois, cadre de santé expérimenté en Ehpad. Celui-ci a notamment entrepris la création de procédures claires pour tous les actes de la prise en soins et du suivi des patients, grâce entre autres à l’intégration de l’appareillage dans le plan de soins pour tous les patients appareillés résidant dans ces établissements d’hébergement.

Une convention formelle établit ainsi clairement les engagements réciproques de l’équipe de l’établissement d’hébergement et de l’équipe du Samid pour le suivi des patients appareillés.

L’analyse des retours des équipes soignantes de ces établissements – au nombre de 146 à ce jour – permet de mesurer l’amélioration de la qualité de vie des patients appareillés qui bénéficient de ces actions, ainsi que l’effet positif sur le confort de travail pour les soignants intervenant auprès d'eux.

L’expérience acquise tout au long de ces 25 années d’existence du Samid nous a montré l’importance de bénéficier d’un référent désigné au sein de l’établissement. Il permet d'instaurer et de maintenir un lien fiable entre l’équipe du Samid et celle de l’établissement, ce qui garantit également la pérennité des actions menées pour le suivi des patients, malgré les contraintes importantes et spécifiques des équipes soignantes au sein des Ehpad.

Une nécessaire révision du cadre légal

Toutefois, l’expérience menée avec le Samid nous a confrontés à un dilemme. D’un côté, la loi – qui régit notre profession et protège nos patients – nous interdit le déplacement dans les structures d’hébergement, en théorie même pour des actes de suivi prothétique pourtant intégrés dans le coût de l’appareillage. De l’autre, l’importance d’apporter des soins audioprothétiques de qualité à des personnes âgées en Ehpad, dans l’impossibilité de se déplacer.

Il s’avère en effet indispensable que l’audioprothésiste intervienne régulièrement dans l’établissement pour mettre en place ces actions et assurer le suivi prothétique régulier de ses patients institutionnalisés, en lien permanent avec les équipes soignantes concernées. Cela est d’ailleurs particulièrement important pour les patients dépendants et porteurs de troubles cognitifs.

Cette condition d’implication et de déplacement de l’audioprothésiste dans la structure est essentielle pour éviter le sous-appareillage et l’abandon des appareils qui finissent sinon souvent dans les tiroirs. L’expérimentation article 51 que nous mettons en place permettra de concilier ce besoin et le respect des textes légaux. Nous espérons qu’elle sera concluante et qu’elle pourra ainsi être déployée sur l’ensemble du territoire.

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