08 Octobre 2025

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L'article 58 suscite la bronca du secteur de l’audition

L’audioprothèse oscille entre stupeur et tremblements face à la menace d’application de l’article 58 du LFSS 2023. Celui-ci prévoit la dissociation des tarifs des produits et des prestations, ainsi que l’encadrement des remises commerciales. Les organisations professionnelles affûtent leurs arguments pour retoquer ces mesures.

Par Bruno Scala et Ludivine Aubin-Karpinski
Dossier Bronca

C’est presque une déflagration qu'a causée Guillaume Carval, alors adjoint au chef de bureau des produits de santé de la Direction de la Sécurité sociale. Il aura suffi de deux interventions pour susciter l’émoi et l’inquiétude dans le secteur de l’audioprothèse. En cause, un mot – un gros mot presque pour la profession : dissociation. Lors d’une table ronde organisée en juin par le Snitem, il lâchait : « La dissociation doit être discutée. Parlons-en et voyons comment cela peut être fait. » Quelques semaines plus tard dans nos colonnes, il enfonçait le clou : « L’article 58 de la LFSS pour 2023 rend obligatoire, d’ici fin 2025, la dissociation entre le produit et les prestations pour l’ensemble de la LPP, audioprothèses inclues. Ce qui reste à construire, ce sont les modalités précises. »

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L’article prévoit en effet – sans toutefois que ce mot n’apparaisse – la dissociation de la tarification des DM et des prestations associées éventuelles. Mais ce principe, poussé à l’extrême, peut aussi signifier une séparation opérationnelle et donc, potentiellement, une vente du produit et du service par deux professionnels de santé différents. C’est le premier sujet d’inquiétude.

Initialement, le gouvernement a pour objectif, avec cette mesure, d’obtenir une meilleure visibilité sur les tarifs de vente des dispositifs médicaux et sur ceux des prestations associées, afin notamment de limiter les marges et contrôler les dépenses. « Le processus de tarification actuel engendre une certaine opacité et des incertitudes sur la répartition de la valeur entre le produit lui-même, la marge du distributeur, et les prestations dont peuvent dépendre la mise en œuvre du produit », est-il par exemple écrit dans un rapport de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. « L’article 31 [devenu article 58 à l’issu du processus législatif, NDLR] procède ainsi à la dissociation du produit et de la prestation dans le processus de tarification. Il prévoit également que les marges de distribution seront désormais fixées par la voie réglementaire, à l’instar de ce qui se fait pour le médicament », est-il encore indiqué dans le même document. Cette surveillance des remises commerciales constitue le second sujet d’inquiétude.

Nous sommes fortement opposés à la vente du dispositif par un acteur et l’adaptation et/ou le suivi par un autre. Cette vision du métier est une ligne rouge infranchissable.

Brice Jantzem, président du SDA

Aides auditives pas concernées

La double déclaration de Guillaume Carval n’a pas manqué de faire réagir les syndicats du secteur qui, dans l’ensemble et une fois n’est pas coutume, avancent sensiblement les mêmes arguments. Le premier, c’est que ce texte de loi ne concerne pas l’audioprothèse. « Le ministre de la Santé, François Braun, avait assuré lors des débats parlementaires que l’article 58 n’aurait aucun impact sur les dispositifs relevant du 100 % Santé », rappelle en effet Fabrice Vigneron, président de la branche Audiologie du Snitem. Dans les esprits des parlementaires, cela est d’ailleurs plutôt clair, comme en témoignent les discussions lors de la construction de ce texte de loi (lire l'article sur la dissociation).

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Fabrice Vigneron ajoute d’ailleurs que l’étude d’impact réalisée par les parlementaires en amont de la rédaction de cet article ne mentionne à aucun moment les aides auditives. Plusieurs amendements visant à introduire une exception pour l'audioprothèse et l’optique ont ainsi été proposés au cours du parcours législatif de ce texte... sans succès toutefois.

Dissociation tarifaire et dissociation opérationnelle

Et puis, il y a une différence entre la façon dont le mot dissociation est compris dans le secteur de l'audioprothèse – actes de vente séparés – et la façon dont les politiques l’entendent vraisemblablement – tarifications séparées. « Nous sommes fortement opposés à la vente du dispositif par un acteur et l’adaptation et/ou le suivi par un autre, réagit Brice Jantzem, président du SDA. Cette vision du métier est une ligne rouge infranchissable. »

Selon l’audioprothésiste, cela nécessiterait en outre d’importants changements légaux : « Selon l’article fondateur de la profession [art. L.4361-1 du CSP, NDLR], l’audioprothésiste est responsable du choix, de l’adaptation, de la délivrance et du contrôle d’efficacité. Or il est impossible d’assurer la responsabilité de l’efficacité sans avoir choisi le dispositif (en concertation avec l’utilisateur). De même, la nomenclature LPP prévoit que “la prise en charge est conditionnée au respect”, entre autres, de la “prestation initiale” et “prestation de suivi”. En l’absence de ces prestations, il ne peut donc y avoir de prise en charge, ce qui implique à nouveau que l’aide auditive ne peut être délivrée seule, tandis que quelqu’un se chargerait – ou non – de la prestation par la suite. »

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Cette dissociation opérationnelle est aussi une ligne rouge pour le Synea : « C’est un risque pour le secteur, qui remettrait en cause le parcours de soin, alors que l’étude EuroTrak montre une haute satisfaction des patients. Ce serait incongru de tout vouloir changer », s’étonne Patrick Vacquier, délégué général du Synea. Une dissociation pourrait conduire, aux yeux de certains, à instaurer un système à deux vitesses, avec une partie des patients optant pour des offres « low-cost » au détriment du suivi ou de l’accompagnement, voire à une « sous-consommation » de suivi pour des patients modestes. Pire : il serait contreproductif, en donnant une forme de blanc-seing aux audioprothésistes hors-la-loi aujourd’hui qui ne respectent pas l’obligation de suivi de leurs patients.

Dissocier produit et prestation reviendrait à ouvrir la porte à des modèles centrés uniquement sur une tarification, au risque d’avoir une prestation et un suivi dégradés.

Fabrice Vigneron, président de la branche audiologie du Snitem

Même constat du côté du Synam. Pour Laurent Éveillard, son président, « le système français se distingue, particulièrement depuis la réforme du 100 % Santé, par la qualité des équipements délivrés, un taux d’appareillage pertinent et une forte satisfaction des soignants et des malentendants. En outre, la protocolisation de l’appareillage et de son suivi, pensée consensuellement par les acteurs et les pouvoirs publics il y a 7 ans, a contribué à homogénéiser les pratiques, sécurisant l’offre de soins. » Le Snitem avance également les résultats d’EuroTrak comme arguments en faveur du statu quo. Fabrice Vigneron ajoute : « Dissocier produit et prestation reviendrait à ouvrir la porte à des modèles centrés uniquement sur une tarification, au risque d’avoir une prestation et un suivi dégradés avec, in fine, une perte de qualité de soins au détriment des patients. »

Les syndicats estiment même que ce dispositif aurait des conséquences négatives en termes de santé publique. « Cela serait particulièrement dangereux par ailleurs quand on connait les effets d’un mal-appareillage ou d’un non-appareillage sur l’éducation des enfants sourds, la prévention du déclin cognitif des personnes âgées ou le maintien dans l’emploi des actifs concernés, estime Brice Jantzem. Un paiement à l’acte serait délétère pour la majorité des patients si les actes ne sont pas remboursés et aurait au contraire un effet inflationniste s’ils le sont. »

Risque de déséquilibre économique

Autre risque perçu par les syndicats, le déséquilibre économique du secteur que le contrôle des remises commerciales – deuxième effet Kiss Cool de la dissociation – engendrerait. En cause, une structuration spécifique de ce secteur : seulement cinq fabricants, tous à l’étranger, sans « la multiplicité d’intermédiaires que l’article 58 visait initialement à réguler », constate Fabrice Vigneron. « Les modalités de tarification et de distribution rendent donc toute application de [la dissociation] inopérante », poursuit-il.

Pour le Synea, le contrôle des marges créerait en outre un déséquilibre entre les audioprothésistes indépendants et ceux adossés à une enseigne qui négocie ses prix à l’international, échappant ainsi au dispositif de contrôle. « Une enseigne qui commande et négocie ses aides auditives à l’international via une centrale appliquera ses remises au niveau européen, voir extra-européen, et non français, illustre le syndicat. Un indépendant, ne bénéficiant pas de la même organisation et du même pouvoir de négociation en revanche, serait directement impacté, alors que la loi a été pensée pour le protéger. » Cela instaurerait une « distorsion de concurrence », prévoit Patrick Vacquier. Ce que confirme Brice Jantzem : « À trop vouloir contraindre les accords commerciaux entre fabricants et distributeurs on ne favorise que la financiarisation et la concentration au détriment du maillage territorial. » Le président du SDA peine à imaginer la mise en oeuvre d’un tel dispositif : « Dire que cela risque d’entrainer quelques complications pratiques est un euphémisme », ironise-t-il. Selon sa lecture du texte de loi, « il est demandé par le législateur que la remise sur la partie distribution soit comprise entre 0 et 50 %, ce qui implique surtout que le prix catalogue devienne le prix public auquel s’ajoute le prix de la prestation associée. »

Retour à l’ancien devis

Les syndicats sont donc résolument et solidairement opposés à la dissociation opérationnelle, et au contrôle des remises commerciales qu’elle permettrait. Mais quid de la dissociation tarifaire, autrement dit l’affichage séparé des prix de l’aide auditive et de la prestation associée ? Cela signifierait ni plus ni moins revenir à l’ancien devis, celui d’avant le 100 % Santé. Pour le patient, cela serait plus transparent et participerait à une meilleure acceptation de l’appareillage et de son cout. Et c’est d’ailleurs dans un objectif de transparence que le gouvernement a initialement proposé cette « dissociation ».

Du côté du Synea, on s'interroge sur les intentions des pouvoirs publics. « Si les tarifs sont affichés séparément, le risque de comparaison entre professionnels de santé pour la partie prestation est important, créant de facto des adaptions et des suivis a minima », prévient Patrick Vacquier. Si le SDA n’est pas opposé à la transparence des prix comme le devis normalisé l’imposait dans sa précédente mouture, il considère en revanche que « la mutualisation des tarifs par le forfait permet d’accorder le juste temps avec chaque personne sans risque de sélection de patientèle. Ce modèle est celui pratiqué dans tous les pays développés et les Français y sont en outre particulièrement attachés. »

Créer une exception

Bref, pour Brice Jantzem, il faut exclure l’audioprothèse de ce dispositif : « Ce serait la juste reconnaissance de la participation à la réussite de la réforme 100 % santé par la profession : les conditions et les objectifs ont été non seulement respectés mais dépassés. L’incident de la fraude d’acteurs extérieurs a aussi été jugulé avec l’aide de la profession. » Et de suggérer : « Les textes d’application de cette loi (...) peuvent probablement prévoir des exceptions pour notre secteur ». Le Synam espère quant à lui « l’ouverture de discussions constructives avec la DSS, afin d’aboutir, ensemble, dans un cadre légal précisé, à des solutions qui protègeront [les] acquis et, autant que possible, éviteront une rupture brutale et dommageable du modèle économique de la distribution en audition. » Le Synea travaille activement pour que des parlementaires œuvrent en ce sens. « On garde espoir que la sortie explicite de l’audioprothèse de ce dispositif puisse être confirmée dans le PLFSS », rapporte Patrick Vacquier. En ces temps de 49-3, une tentative d’exclusion par amendement serait plus risquée.

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