Le webinaire de Cercle Optique vous a fait sortir de vos gonds cet été. Vous avez vivement réagi sur LinkedIn (voir capture d’écran). Que leur reprochez-vous ?
Stéphane Gallégo : La vidéo présente aux adhérents opticiens de la centrale d’achats Cercle Optique les moyens de s’acheter, pour 11 000 €, le diplôme d’audio, en passant par deux ans de formation en distanciel avec l’école Mope de Madrid. On y apprend que pour y accéder, le bac général est le plus simple mais n'est pas obligatoire et que le bac pro est autorisé. Le niveau de départ est ainsi inférieur aux prérequis de Parcoursup. C’est en totale contradiction avec l’évolution de la formation en
France. Nos étudiants sont, eux, majoritairement issus de la filière scientifique et 40 % ont obtenu une mention B ou TB. Sachant cela, on pourrait s’attendre à ce que les cours soient conçus pour permettre aux élèves de se mettre à niveau. Ce n’est pas le cas. Au contraire. C’est ce qui m’a fait réagir car cette formation nie les efforts de ceux qui jouent le jeu, que ce soit nos étudiants ou ceux qui se rendent dans les écoles espagnoles et travaillent véritablement pour obtenir leur diplôme. Ces cursus contournent ouvertement le système et proposent une formation au rabais.Vous réagissez aussi sur le contenu de la formation et l’évaluation des compétences proposées par ces cursus alternatifs.
Stéphane Gallégo : Oui, ces formations sont uniquement des machines à cash qui dévoient le diplôme d’audioprothésiste. Les cours, fournis sur supports informatiques, ne nécessitent qu’une dizaine d’heures de travail personnel par semaine et la présence au travaux pratiques (TP) est facultative. Seuls trois jours au total doivent obligatoirement être passés en Espagne au cours des deux années. Quant au stage, il peut être réalisé n’importe où en France, pourvu qu’un audioprothésiste signe.
Enfin, l’examen se fait via des QCM, qu’il est possible de passer quatre fois, en présence et avec l'aide de traducteurs. Ce qui permet à Mope de garantir 90 % de réussite à l’examen final. La vidéo précise même que si on fait une fois les QCM d'exercices, il n'y aura pas de problème pour décrocher le diplôme… Autant de cynisme est révoltant.
Le principe des cours par correspondance est discutable mais, si les moyens sont mis en place par ailleurs pour assurer une formation de qualité et une réelle évaluation, pourquoi pas. Or, je ne vois pas comment il est possible d’évaluer efficacement l’acquisition des connaissances au niveau théorique ou pratique sans TP – qui sont obligatoires en France – et via des QCM ! Cette vidéo montre bien qu’il n’y a aucune recherche de qualité.
Cette formation n’est pas un cas isolé. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Stéphane Gallégo : Le 100 % Santé a clairement entraîné une explosion des besoins et la création de cette filière. Les opticiens, qui en sont les principaux destinataires, voient dans l’audioprothèse un bon relais de croissance, d’autant que leur modèle s’essouffle. La plupart s’achète ainsi le diplôme à bon compte pour gagner un complément d’activité de l’ordre de 90 000 € annuels. Cela représente une quarantaine de patients par an, ce qui est largement insuffisant pour développer l’expertise suffisante.
Par ailleurs, la plupart de ces professionnels n’y voient qu’un acte de vente, oubliant qu’en audioprothèse la prise en charge du patient est bien plus importante que l’appareil en soi. Le suivi des patients va en pâtir et il risque d’y avoir de la casse.
S’opposer à ces formations, ce n’est pas protéger un business mais un métier, tel qu’il doit être exercé pour une prise en charge de qualité.
Plus généralement, ne peut-on également expliquer ce recours à la filière espagnole par une forme de protectionnisme de la profession qui n’a pas suffisamment augmenté ses effectifs ?
Stéphane Gallégo : On peut estimer que le numerus clausus a été sous-évalué au regard du succès du 100 % Santé même si les quotas ont continuellement évolué pour l’anticiper. Je pense qu’ils correspondent néanmoins à peu près aux besoins réels et la situation devrait se stabiliser avec les 300 étudiants formés en France et les 300 à 500 diplômés des écoles étrangères (lire notre article Plus d'audios de l'étranger que de diplômés français en 2021). Ils doivent être évalués par une instance indépendante en tenant compte des besoins des patients et de ceux des entreprises. Mais pas en fonction de stratégies opportunistes de quelques-uns.
Laisser faire, c’est risquer de tomber dans les dérives de l’optique où la majorité est payée au Smic et ne pratique plus une profession de santé. S’opposer à ces formations, ce n’est pas protéger un business mais un métier, tel qu’il doit être exercé pour une prise en charge de qualité.
Ces formations permettent aussi de répondre à des professionnels en quête de reconversion et qui n’ont pas les moyens de reprendre des études de trois ans…
Stéphane Gallégo : Je n’ai rien contre les opticiens ou encore les techniciens qui souhaitent se lancer dans l’audioprothèse et font ce qu’il faut pour mériter le diplôme. Je considère que notre système actuel est un peu démodé et qu’il y a en effet une demande non satisfaite. Il n’existe aujourd’hui pas de passerelle pour des diplômés d’autres filières ni de solutions pour ceux qui envisagent de faire évoluer leur carrière sans interrompre pour autant leur activité. La validation des acquis de l’expérience partielle n’existe pas dans notre domaine, sauf à Lyon avec quelques unités par an. Il y a clairement un travail à faire pour proposer des solutions qui feront perdre de leur intérêt à ces formations au rabais.
Outre un travail sur d’autres voies d’accès au diplôme d’État, quelles solutions voyez-vous ?
Stéphane Gallégo : L’un des leviers d’action est celui des conditions posées en matière d’autorisation d’exercice. La formation en Espagne se faisant sur deux ans, les diplômés doivent se soumettre à des mesures compensatoires. Il leur est laissé le choix entre 43 semaines de stage – modalité privilégiée par les candidats – et une épreuve d’aptitude. Il me semble que nous devrions imposer l’examen pour nous assurer des connaissances et compétences acquises.
Une autre solution serait de mobiliser l’ensemble de nos écoles pour qu’elles portent plainte contre les universités espagnoles, qui ne jouent clairement pas leur rôle. On ne peut pas reprocher à un infirmier qui souhaite se reconvertir de passer par cette filière car, c’est vrai, c’est compliqué en France. Le problème, ce n’est pas non plus les entreprises qui font du business et profitent des failles du système. Ce sont les écoles espagnoles qui délivrent le diplôme sans contenu ni évaluation aux étudiants français. D’ailleurs, les étudiants espagnols ne sont pas logés à la même enseigne et leur parcours est bien plus contraignant. Je les incite à se retourner contre ce système à deux vitesses qui dévalorise leur diplôme.
Enfin, la mise en place de conditions d’implantation à l’image de ce qui est fait pour les pharmacies limiterait les velléités de certains de se lancer en audioprothèse. On ne pourrait s’installer ou ouvrir un centre qu’en fonction du nombre d’habitants, des besoins, etc.
Certains reprochent au système français d’être trop élitiste. Qu’en pensez-vous ?
Stéphane Gallégo : Nous avons un rôle important dans la préservation des facultés cognitives de nos patients, dans le maintien de leur qualité de vie, de leur autonomie. Cette prise de conscience a conduit à la mise en place du 100 % Santé ; il faut maintenant avoir les moyens de ses ambitions. Les propos tenus dans le webinaire portent une vision rétrograde du métier et mettent à mal tout le chemin parcouru pour imposer les audioprothésistes comme des professionnels de santé. Nous devons préparer les futurs diplômés à apporter les meilleurs soins possibles.
Avec la disparition du médecin de famille, nous sommes parmi les derniers professionnels de santé à accompagner les patients plusieurs fois par an et ce, jusqu’à la fin de leur vie. Nous ne sommes pas là uniquement pour mettre du gain dans les oreilles mais pour chercher les meilleurs réglages et assurer la guidance.
Avec l’évolution des technologies, nous devons repenser notre métier et acquérir des compétences nouvelles, nous préparer à travailler en pluridisciplinarité, à intégrer les aspects cognitifs et, enfin, à jouer le rôle de sentinelles, relayant à un réseau de santé les informations que nous fourniront les biosenseurs des futures aides auditives. Tout cela va arriver plus vite qu’on ne le croit et plaide pour un enrichissement de nos compétences et non l’inverse. La réingénierie de la formation participe de cette ambition.
Quid de ceux qui seront passés par ces formations et qui n’auraient éventuellement pas le niveau ?
Stéphane Gallégo : Il nous faut agir vite pour nous assurer que les diplômes délivrés à l’étranger sont tous de qualité. Puis, aider ces étudiants via un système de formation continue pour leur permettre de se mettre à niveau. Je les encourage, comme les audioprothésistes DE d’ailleurs, à se former en venant à l’EPU, au congrès, aux Assises, à s'inscrire aux DU. On doit les intégrer mais ils doivent faire l’effort de se former s’ils veulent exercer ce métier.