Le parcours d’obstacles de la réingénierie

Cela fait plus de 10 ans que le secteur de l’audioprothèse parle de la réingénierie de la formation initiale. Désormais, tout le monde s’accorde pour dire qu’elle est urgente. Reste à convaincre le ministère de se pencher sur la question et, pour cela, il faut avancer unis.

Par Bruno Scala

Il y a encore quelques mois, la maquette de formation au diplôme d’audioprothésiste et la convention avec la Cnam se tiraient la bourre en termes d’ancienneté. La seconde ayant été dépoussiérée récemment (lire notre article La nouvelle Convention avec l’Assurance maladie enfin publiée !), le référentiel du diplôme est sans doute le plus vieux vestige du secteur. Il date de 2001, l’année du lancement de l’aide auditive Oticon Adapto. Pourtant, l’ensemble des acteurs de la filière – syndicats, association d’étudiants, fabricants, directeurs d’enseignements – s’accordent pour dire qu’il est grand temps qu’une réingénierie de la formation ait lieu. Même les politiques sont de cet avis.

Deux tentatives avortées

Le sujet ne date pas d'hier donc et fut plus d'une fois remis sur le métier. Las... sans succès. Une première tentative avait failli atteindre son but en 2011. Éric Bizaguet, alors président du CNA, jugeait déjà à l’époque que le programme de formation n’était plus entièrement adapté, et prévoyait une réingénierie ainsi qu’une intégration de la formation au schéma LMD (licence-master-doctorat) à la rentrée 2011. De nombreuses réunions ont eu lieu avec le ministère de l’Enseignement supérieur, sans que cela ne débouche sur rien. La survenue des élections présidentielles peut expliquer ce premier échec.

reingenierie

En 2016, la Grande conférence de la Santé organisée par Manuel Valls et dont le pilotage avait été confié à Anne-Marie Brocas et Lionel Collet, devait sonner le glas de la maquette de la formation actuelle. Son objectif était notamment d’intégrer pleinement les formations médicales et paramédicales au sein de l’université. Cette conférence avait émis plusieurs recommandations pour mener à bien sa mission, dont le renforcement de la place de l’université dans les formations paramédicales et leur intégration dans le schéma LMD. Comme rien n’est jamais simple avec les institutions françaises, le ministère de l’Enseignement supérieur avait alors chargé deux inspections générales (Igas et IGAÉNR) d’examiner les modalités de mise en œuvre de certaines de ces recommandations, dont celle concernant l’intégration dans le schéma LMD*.

Unanimité

Dans leur rapport, les inspections générales [1] estimaient que : « Les titulaires des autres diplômes de niveau bac+3 (orthoptiste et pédicure-podologue et, après réingénierie, audioprothésiste [la mise en italique est de nous, NDLR]), qui deviendraient des diplômes nationaux de l’enseignement supérieur, se voient également conférer le grade de licence. » Dans leurs conclusions, les auteurs précisaient : « S’agissant de l’État, les ministères chargés de l’enseignement supérieur, et de la santé doivent : (…) d’ici la rentrée 2019 [achever la réingénierie des] formations en trois ans (audioprothésistes, techniciens de laboratoire médical) ». L’Unsaf (ex SDA) et le CNA saluaient ces préconisations, se disant « disposés à participer et à faciliter l’application de ces recommandations devant conduire à une formation rénovée. Il est d’autant plus urgent de les mettre en œuvre que les liens entre déficit auditif et risques accrus de perte d’autonomie ne font aujourd’hui plus débat. » Quant à la Fnéa, elle se disait prête à contribuer aux travaux de réingénierie. Une mission fut confiée par les ministères concernés à Stéphane Le Bouler pour relancer la concertation avec l’ensemble des acteurs, afin de préciser les étapes de l’intégration à l’université des formations paramédicales. Pour l’audioprothèse, les choses s'arrêtèrent là.

Achever l’universitarisation

Pourtant, l’enjeu de cette réingénierie est double. D’abord, c’est la condition sine qua none pour intégrer le schéma LMD et que les étudiants obtiennent ainsi une licence – si la durée de la formation est maintenue à trois ans. Or, cette licence est importante à plus d'un titre, comme le rappelait le Pr Lionel Collet, dans nos colonnes [2] : « Cette universitarisation est nécessaire pour se mettre en conformité avec les accords de Bologne, qui avaient pour objet l’harmonisation des systèmes d’études supérieures européens par l’instauration d’un schéma licence-master-doctorat. Il s’agit de garantir la reconnaissance mutuelle des diplômes et de faciliter la mobilité des étudiants dans d’autres pays ou de permettre la poursuite des études, de manière naturelle, au-delà de la licence. C’est aussi répondre à un enjeu d’homogénéisation des formations paramédicales en France. » La réingénierie permettra également d'homogénéiser les programmes des différentes écoles françaises.

Un programme obsolète

Par ailleurs, la maquette de formation a plus de 20 ans ! Et il s’en est passé des choses, en deux décennies, dans le secteur de l’audioprothèse, qui ne sont donc pas intégrées dans le programme de formation, ou à la marge, selon le bon vouloir des équipes enseignantes. « Il y a des évolutions technologiques qui doivent être impérativement incluses, déclarait encore Lionel Collet, lors d’une table ronde organisée par Audiologie Demain sur ce sujet (Formation en audio : faut-il revoir la copie, en

debat formation
Capture d'écran de notre émission Le Débat. Formation en audio : faut-il revoir la copie ?, avec Lionel Collet, Jean-Luc Puel, François Le Her et Richard Darmon.
partenariat avec Audition TV). Il y a les énormes avancées en termes de propositions de prises en charge des acouphènes, qui ne figurent pas dans le programme tel qu’il était prévu en 2001. Il y a le développement des implants cochléaires... Ce sont quelques exemples qui justifieraient déjà complètement des ajouts à haut niveau dans le programme, mais on peut en citer plein d’autres. » On peut par exemple ajouter la téléaudiologie, le numérique, l’intelligence artificielle, le big data...

Raisons de l’échec

Tout le monde est donc d’accord : cette réingénierie doit (aurait déjà dû) avoir lieu. Toutefois, en 2022, force est de constater que rien n’est fait. Pourquoi ? « Parce que [cette réingénierie] repose essentiellement sur le ministère de l’Enseignement supérieur et, au sein de ce dernier, sur une section qui s’occupe des formations de santé, qui n’est pas très bien dotée en termes de ressources humaines », avance Lionel Collet, qui connaît bien les arcanes ministériels. En outre, il ne s’agit vraisemblablement pas d’une priorité. D’autres professions, auxquelles le ministère de la Santé a promis une réingénierie de la formation à l’occasion du Ségur, verront leur dossier traité avant. Par ailleurs, la formation au DE d’audioprothésiste ne représente que quelques étudiants et il y a fort à parier que cela ne soit pas non plus la priorité des doyens.

Un travail préparatoire

Alors comment faire pour que les choses bougent ? Pour Stéphane Le Bouler, désormais secrétaire général du HCÉRES, il faut aussi réfléchir au modus operandi : « Sur le fond, nous sommes un certain nombre à récuser l’idée des “réingénieries à l’ancienne” où l’on réunit les professions dans des grands cénacles pour aborder dans le plus infini détail les actes et le programme de formation. Il vaut mieux, selon moi, raisonner sur les missions, les compétences et la formation afférente, en ne définissant pas tout au niveau national et en laissant donc aux opérateurs de formation, ici dans les universités, le soin de mettre au point les maquettes. Il y a donc aussi une question de méthode à inventer. »

Quoi qu’il en soit, le CNA, se fiant à son expérience de 2001, a décidé de prendre les devants, sans attendre une demande du ministère. Conscient que ce dernier manque sans doute de moyens, le Collège s'est attelé à la rédaction d'un document de travail qu'il est sur le point de finaliser. « Il est destiné à permettre aux décideurs d’avancer », résume François Le Her, président d’honneur du collège.

Inspiration étrangère

De quoi s’agit-il concrètement ? « C'est un document de synthèse, de ce qui se fait dans les autres pays, en Allemagne, au Québec et, surtout, en Belgique, explique l’audioprothésiste normand. Nous avons examiné l’organisation de toutes les maquettes et nous avons construit un tableau, avec les différents blocs d’enseignements. Puis nous avons décrit chacun d’eux, en détaillant les unités d’enseignements et leur contenu, le nombre d’heures, le nombre de crédits, les acquis attendus en termes de compétences, le mode d’enseignement (TP ou cours), les moyens de contrôle... Et on a mis les correspondances pour la France. Il s’agit d’un document partagé, qui laisse la possibilité aux directeurs d’enseignements de faire des propositions. »

Le CNA conserverait une maquette de formation en trois ans, donnant un grade de licence, « avec la possibilité de suivre une formation complémentaire », précise François Le Her. Soit dans le cadre d’un master en deux ans, si l’étudiant souhaite s’orienter vers de la recherche, soit via un niveau intermédiaire, de master 1, ou avec des DU, afin d’obtenir une spécialisation. « Un peu à l’image de ce qui se fait en Suisse pour la pédiatrie, illustre-t-il. Dans ce cadre, nous sommes favorables à l’apprentissage. C’est une solution tout à fait adaptée puisque l’étudiant, déjà détenteur d’un DE, pourra donc acquérir l’expérience de terrain indispensable auprès d’un maître d’apprentissage, lui-même spécialisé en pédiatrie. »

Il est légitime que les professionnels et les universitaires élaborent ensemble le contenu du programme.

Pr Lionel Collet, conseiller d’État

A la recherche d’un consensus ?

Ce document sera-t-il soumis aux directeurs d’enseignements et aux syndicats professionnels ? « Rien n’est décidé. C’est le Collège qui prendra la décision finale », commente Matthieu Del Rio, président du CNA. Du côté des universitaires, cela ne fait aucun doute. « S’il y a une réflexion sur la réingénierie du diplôme, elle doit d’abord se faire avec les directeurs d’enseignement et pas entre audioprothésistes, estimait Jean-Luc Puel, qui dirige l’école montpelliéraine, lors de notre table ronde. L’enseignement, c’est quand même le travail des universitaires. » Même constat pour Lionel Collet : « Pour avoir participé à l’époque à la mise en place du programme de 2001, j’ai souvenir qu’il avait été préparé par le Collège. Mais le contexte est différent de celui de l’époque : on déléguait très souvent à un audioprothésiste l’organisation de la formation au sein de l’établissement. Or, il s’agit d’une formation universitaire ; il est légitime que les professionnels et les universitaires élaborent ensemble le contenu du programme. » De son côté, François Le Her, qui élabore le document avec Stéphane Laurent, responsable pédagogique de l’école de Fougères et ancien président du CNA, est favorable à sa diffusion. « Pour certaines matières, par exemple la physique, ça n’est pas à la commission Enseignement du CNA de se prononcer. Dans ce cas, il me semble intéressant que les universitaires donnent leur point du vue », illustre-t-il.
Par ailleurs, le ministère acceptera-t-il de fonder sa réflexion sur un document qui n’a pas été validé par les universitaires alors que, précisément, il s’agit d’achever l’universitarisation de cette formation ? Quoi qu’il en soit, le document sera présenté au bureau du Collège en septembre, annonce François Le Her, qui conclut : « Pour que cela fonctionne, il faut que tout le monde accepte de coopérer. »

Newsletter

Newsletter

La newsletter Audiologie Demain,

le plus sûr moyen de ne jamais rater les infos essentielles de votre secteur...

Je m'inscris