Apprentissage : c’est encore ceux qui pratiquent qui en parlent le mieux

L’offre de formation en audioprothèse se redessine. La réingénierie du diplôme et son universitarisation sont en ligne de mire et l’apprentissage, aujourd’hui sécurisé, apparaît comme une voie d’excellence. Elle permet à des étudiants sans ressources de bénéficier d’une aide financière substantielle et aux audioprothésistes de former des jeunes en vue de les recruter. Retour d’expérience de l’école de Montpellier, qui en est le précurseur.

Par le Pr Jean-Luc Puel
(c)Rudzhan AdobeStock

En 2016, l’école d’audioprothèse de l’université de Montpellier déposait un dossier pour ouvrir sa formation à l’apprentissage auprès du CFA ENSUP-LR (Centre de formation d’apprentis de l’enseignement supérieur de la région Languedoc-Roussillon). Conformément à la politique proposée par les gouvernements successifs depuis une dizaine d’années, nous étions régulièrement sollicités par l’université et la région qui souhaitaient mettre en œuvre l’apprentissage dans des filières d’excellence.
Ce type de formation avait déjà été expérimenté avec succès par les écoles d’ingénieurs, les DUT et les masters en santé de la région. En 2017, il s’ouvrit à l’audioprothèse, pour la 3e année uniquement, soutenu par des audioprothésistes

Fig 1
Figure 1 : Nombre d’étudiants en formation par la voie de l’apprentissage (jaune) ou par la voie classique (bleu) en 3e et 2e années du DE d’audioprothésiste de l’université de Montpellier.
indépendants et plusieurs enseignes, validé par l’université et voté par le conseil régional d'Occitanie. Deux ans après, nous ouvrions cette possibilité aux étudiants en seconde année. En cinq ans, nous avons formé une centaine d’apprentis dont 55 déjà diplômés et 46 sont encore engagés dans cette voie (Figure 1).

Une voie d’excellence

L’apprentissage a permis à l’école de Montpellier d’étoffer son offre de formation en proposant à ceux qui le souhaitent des stages plus longs (8 mois au lieu de 4 en formation classique), tout en assurant un enseignement théorique de haut niveau et ce, dès la seconde année. En 3e année, la période de cours et de TP dure 3 mois et la période de stage 4 mois, ce qui est un peu court pour produire un mémoire scientifique de bonne facture. Le passage à l’apprentissage permet ainsi de bénéficier de plus de temps pour réaliser davantage de mesures, assurer un meilleur suivi des patients et produire un mémoire de qualité, tout en réalisant une meilleure formation professionnelle. Pour compléter cela, le CFA ENSUP-LR propose une application de suivi des apprentis, appelée STUDEA, extrêmement rigoureuse (PV d’installation, fiche de suivi et d’évaluation) que le maître d’apprentissage en entreprise et le tuteur pédagogique à l’université doivent renseigner tout le long de l’année. Autrement dit, les apprentis sont mieux suivis, mieux encadrés et mieux formés que les étudiants en formation classique. En contrepartie, ils travaillent plus et ont moins de vacances. On ne peut pas tout avoir…

Égalité des chances

Auparavant, l’accès à la formation reposait sur un examen d'admission très sélectif et la majorité des étudiants payait très cher des classes préparatoires pour intégrer une école d’audioprothèse. ParcourSup a radicalement changé la sociologie de nos étudiants. Aujourd’hui, ceux-ci sont en majorité des jeunes bacheliers, sélectionnés sur leurs notes de 1re et de terminale, leur parcours extra-scolaire et leurs motivations. Alors que nous comptions 10 % de boursiers à l’époque du concours, ce taux s’élève aujourd’hui à 30 %. Cette nouvelle sociologie est plus en phase avec la société et ce qu’on l’on attend d’une formation académique. Beaucoup d’étudiants nous ont confirmé qu’ils ne se seraient pas orientés vers l’audioprothèse si la formation ne s’était pas ouverte à l’apprentissage. Cette voie garantit donc l’égalité des chances.

Il est intéressant de noter que les étudiants qui choisissent cette voie ont de meilleures notes que les étudiants en formation classique (1 ou 2 points de plus en moyenne) et sont légèrement plus âgés (2 ou 3 ans de plus). Ce sont souvent des étudiants en réorientation ou reconversion, qui ont fait des licences ou des masters dans d’autres domaines voire qui ont déjà été salariés.

Autre point important, deux tiers des étudiants en apprentissage ne sont pas originaires de la région Occitanie, ce qui confirme le caractère attractif de cette voie.

Non seulement les apprentis ne perdent rien au niveau théorique, mais ils sont mieux formés à la pratique du métier, notamment au niveau de la relation avec le patient sur le long terme.

Plus de maîtres d'apprentissage indépendants

Fig 2
Figure 2 : Répartition des maîtres d’apprentissage de l’université de Montpellier sur la période 2017-2022 (à gauche). Et sur l’année 2021-2022 (à droite).
L’analyse des données acquises depuis 2017 montre que 45 % des étudiants de Montpellier réalisent leur formation par la voie de l’apprentissage chez des indépendants (sous enseigne ou non), 48 % dans les grands groupes franchisés et 7 % dans les centres mutualistes (Figure 2). Cette tendance s’inverse sur la dernière année avec une nette prédilection pour les indépendants (50 % versus 41 % chez les enseignes), et une augmentation du nombre d’apprentis dans les enseignes mutualistes.

Pour sécuriser la qualité de l’enseignement, nous avons respecté les mêmes contraintes que celles préconisées par le Bulletin officiel (BO) de 2001 pour les cours, les travaux pratiques (TP) et les stages. L’agrément des maîtres de stages est évalué en commission pédagogique. Comme pour la formation classique, les étudiants doivent être encadrés physiquement par leur maître d’apprentissage. De plus, ces derniers, comme les maîtres de stage, signent une charte qui les engage à respecter des objectifs et des missions pédagogiques. Non seulement les étudiants ne perdent rien au niveau théorique (cours et TP), mais ils sont mieux formés à la pratique du métier, notamment au niveau de la relation avec le patient sur le long terme.

L’accent mis sur la pratique

Fig 3
Figure 3 : Répartition des heures d’enseignements théoriques et pratiques en 2e et 3e années. Les chiffres correspondent à la différence en heure par rapport au Bulletin officiel.
Classiquement, les enseignements sont organisés sur deux semestres (Figures 3 et 4). Le premier est consacré aux cours théoriques et aux TP, le deuxième est consacré aux stages en centre d’audioprothèse. Les semaines de cours des apprentis sont plus denses (22h/semaine) que celles des étudiants en voie classique (13h/semaine) pour libérer des semaines supplémentaires en entreprise. Cette réorganisation laisse néanmoins aux apprentis suffisamment de temps pour réviser les examens écrits et préparer le mémoire (Figure 4).

Fig 4
Figure 4 : Répartition des enseignements en 2e et 3e années en formation classique et en apprentissage.
L’apprentissage offre en outre un cadre réglementaire pour pallier les risques de pratique illégale de la profession d’audioprothésiste hors période de formation et permet aux apprentis de continuer de se former durant l’été. En effet, les étudiants de seconde année de la voie classique bénéficient de 19 semaines de vacances. Comme beaucoup de jeunes de leur âge, les étudiants en audioprothèse cherchent des « jobs d’été ». Nombre d’entre eux travaillent dans des centres d'audition comme « assistants », sans aucun statut légal, sans que l’on sache vraiment ce qu’ils font, mais probablement pas uniquement du secrétariat et de la prise de rendez-vous.

Des maîtres d’apprentissage et des étudiants satisfaits

Pouvoir se former tout en bénéficiant d’un salaire constitue un réel soulagement pour les étudiants dont les parents ne bénéficient pas de revenus très élevés. L’apprentissage leur permet ainsi de se concentrer pleinement à leur formation. Nous avons réalisé une enquête auprès des apprentis de Montpellier et des professionnels qui les accueillent. 96 % d’entre eux sont satisfaits ou très satisfaits de l’apprentissage. 57 % des maîtres d’apprentissage se disent très satisfaits contre 72 % chez les étudiants. Cette différence est liée aux nombreux tracas administratifs que les maîtres d’apprentissage ont rencontrés suite à la publication de la fiche RNCP sans la mention « ouvert à l’apprentissage » en début d’année (lire notre article Apprentissage : les coulisses d’un « sauvetage », AD#25). Celle-ci étant désormais corrigée, le taux de très satisfaits devrait sans nul doute augmenter.

Une étude plus approfondie fournit des informations sur les bénéfices de l’apprentissage mis en avant par les étudiants. La mise en pratique régulière des connaissances théoriques, l’acquisition de nouvelles compétences et la rémunération figurent en premier. Arrive loin derrière l’insertion professionnelle, nos étudiants n’ayant aucun problème pour trouver un emploi, apprentissage ou pas (lire notre dossier Audios, le grand mercato, AD#24). De leur côté, les maîtres d’apprentissage y voient l’opportunité de « jauger » les étudiants en vue d’un recrutement futur. Autre atout rapporté par les maîtres d’apprentissage et les étudiants : la plus grande maturité professionnelle des apprentis au sortir de la formation, leur permettant d’être opérationnels immédiatement.

L’école de Montpellier a montré la voie ; celle d’Évreux a suivi, d’autres semblent vouloir aujourd’hui leur emboiter le pas.

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