23 Juin 2023

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Geneviève Bizaguet. Mère de l’appareillage pédiatrique

Il y a près de 70 ans, elle embrassait la carrière d’audioprothésiste, après avoir lutté pour que sa fille sourde profonde puisse accéder au langage et à une scolarité normale. Geneviève Bizaguet fut l’une des pionnières de l’appareillage pédiatrique et la première, avec Paul Veit, à tenter d’introduire le dépistage auditif en France, en 1964.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski et Éric Bizaguet

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l’audition et sa prise en charge ?

C’est en vivant la situation de l’intérieur que je suis devenue audioprothésiste. Ce n’était pas ma voie, mais la surdité a touché ma fille, à l’âge de 2 ans, suite à une méningite tuberculeuse traitée par streptomycine. Les enfants étaient appareillés tardivement à l’époque. J’ai eu la chance qu’elle soit prise en charge à l’âge de 6 ans par une orthophoniste extraordinaire. Elle a réussi, alors qu’Annick était muette, à monter son langage sans appareils auditifs, en partie grâce à la méthode phonétique de Suzanne Borel- Maisonny. Vers 11 ans, elle avait rattrapé son retard, suivait en classe de 6e et portait enfin son premier appareil. Elle parlait déjà, à cette époque, mais la qualité de sa voix s’est nettement améliorée car la prothèse boîtier lui permettait une maîtrise de la boucle audiophonatoire et une aide à la lecture labiale. Cette prothèse a été le déclencheur de ma carrière car c’est par elle que je suis entrée en contact, en 1958, avec l’audioprothésiste d’Annick, Paul Veit, l’un des pères de la profession. C’est notre rencontre qui a poussé ce dernier vers l’appareillage de l’enfant, m’a conduite à pratiquer l’audioprothèse et nous a menés ensemble à mettre au point le test néonatal Veit-Bizaguet.

Vous avez en effet œuvré, dès les années 1960, pour la mise en place du dépistage néonatal en France…

Il faut rappeler qu’à mes débuts, la prise en charge audioprothétique des enfants de moins de 6 ans était considérée par beaucoup comme impossible, voire dangereuse. Les tests objectifs n’avaient pas encore fait leur apparition. Les années passant, l’âge d’appareillage diminuait. Cependant, toujours trop lentement à mon sens. C’est lors de discussions avec Paul Veit que l’idée d’un appareillage précoce m’est venue. « Pourquoi ne pas essayer de les dépister dès la naissance en organisant une mobilisation générale en maternité ? », l’ai-je interrogé. C’est ainsi qu’est né, en 1964, le test de dépistage Veit-Bizaguet avec la création de l’audiomètre portable, en même temps qu’était lancée une étude à Beaujon. Il nous paraissait évident que le dépistage devait être systématique, réalisé dans les premiers jours de vie, avant la sortie de la maternité, pour éviter les « perdus de vue » et suivi par une prise en charge précoce. Malheureusement, les résultats de notre étude n’ont pas permis sa généralisation car les structures de l’époque étaient insuffisantes.

Puis, vinrent les années 1970-80 et la création du Centre expérimental d’audiologie infantile avec le Dr Lucien Moatti. Ce fut également une période de travail et d’échanges avec le Dr Jean- Claude Lafon et la création d’un courant de promotion de l’appareillage et de la prise en charge précoces qui voit son couronnement avec la création du dépistage auditif néonatal actuel.

Être une femme a-t-il été un obstacle dans votre carrière ?

Au contraire, cela a plutôt été un atout pour la prise en charge des enfants. Être femme et mère d’une enfant sourde m’a permis de mieux comprendre les parents, de mieux les aider et les guider. C’était rare à l’époque. Cela m’a aussi permis d’entrer plus facilement dans les maternités pour mettre en place le protocole de dépistage.

Aujourd’hui, tout audio peut prendre en charge des enfants. Pensez-vous qu’il faille une formation spécifique ?

En quelques décennies, les connaissances, les protocoles d’appareillage et la technique ont fait d’énormes progrès. Néanmoins, la prise en charge du nourrisson ne doit pas être banalisée. Le tout petit n’est en effet pas un enfant en miniature et son appareillage ne répond pas aux protocoles d’adulte. Le diplôme d’audioprothèse permet à tout audioprothésiste d’exercer son art indépendamment de l’âge et de la surdité du patient. Cette capacité me paraît à amender et la spécificité de l’appareillage de l’enfant et de la prise en charge des parents semble justifier un complément de formation et de stage. Ce sera sans doute un point que le CNA, dont j’ai fait partie, soulignera dans le cadre des travaux de réingénierie. Mais, la formation seule ne suffit pas ; il faut avoir l’âme. J’ai passé des heures et des heures en cabine avec des enfants, à aider des familles dans leur travail d’acceptation, à participer à des équipes pluridisciplinaires. J’ai été la première audioprothésiste à entrer dans des écoles pour sensibiliser à l'importance de l’appareillage. J’ai fait partie de la famille de milliers d’enfants.

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