Les parents d’Alexandre, 7 ans, consultent car ils sont inquiets concernant l’audition de leur enfant. Il existe un bilinguisme à la maison. La scolarité d’Alexandre est difficile et l'enfant présente un retard de langage. Il n’y a pas d’antécédent familial de surdité mais son frère et sa soeur montrent les mêmes difficultés. La mère rapporte aussi des fluctuations auditives chez ses enfants, notamment lorsqu’ils sont fébriles, sans épisodes otitiques concomitants.
1- Quel premier bilan proposez-vous ?
Il faut tout d’abord réaliser une audiométrie tonale et vocale en oreilles séparées au casque ou aux inserts. L’audiométrie vocale doit être adaptée à l’âge de l’enfant ainsi qu’à son niveau linguistique. L’examen clinique doit être complété par un examen des tympans sous microscope, un examen de la face et du cou à la recherche d’une éventuelle malformation pouvant s’inscrire dans un cadre syndromique. L’audiométrie tonale révèle une perte auditive légère de perception sur l’ensemble des fréquences testées, bilatérale et symétrique. L’audiométrie vocale dans le silence, avec utilisation des listes de Boorsma, objective une perte de l’intelligibilité sévère, plus importante qu’attendue compte tenu des seuils en audiométrie tonale.
2- L’audiométrie vocale est très décalée alors que l’audiométrie tonale est en faveur d’une perte légère sur l’ensemble des fréquences testées. Quels examens complémentaires proposez-vous ?
Les résultats de la vocale révèlent un pourcentage de discrimination qui est très chuté par rapport au maximum d’intelligibilité correspondant à une courbe en cloche évocatrice d’une neuropathie auditive (NA) (figure 1). En cas de discordance entre la tonale et la vocale, il faut compléter le bilan par l’étude de la fonction des cellules ciliées externes ainsi que du nerf auditif. Pour cela plusieurs enregistrements doivent être réalisés :
- Les PEATC (potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral) vont permettre d’analyser la qualité de l’information auditive qui est transmise via les fibres du nerf cochléaire au tronc cérébral (jusqu’aux colliculi inférieurs). En cas de NA, les PEATC sont toujours pathologiques.
- Les OEAP (otoémissions acoustiques provoquées), PDA (produits de distorsion acoustique) ou PMC (potentiel microphonique cochléaire). Ces trois examens permettent d’évaluer la bonne fonctionnalité des cellules ciliées externes (figure 3).
L’étude du PMC est réalisée au cours de l’enregistrement des PEATC, sous sieste. Pour le mettre en évidence, il est indispensable d’utiliser des inserts et de stimuler à des intensités de 60 à 90 dB. Le PMC est gommé par la technique « alternée » et doit donc être recherché en « raréfaction » et en « condensation ». Il apparaît en opposition de phase selon la polarité de ces deux modes de stimulation juste avant l’onde I. Sa latence est constante quelle que soit l’intensité de stimulation, il est de morphologie oscillatoire et de latence brève (< 0,5 ms), de durée variable. La présence d’OEAP, de PDA ou d’un PMC ample, associés à un tracé de PEATC désynchronisé signent le diagnostic d’affection appartenant au spectre des neuropathies auditives (ASNA) ou NA.
- ASSR (auditory steady state response) : les résultats aux ASSR sont le plus souvent intermédiaires entre les seuils de l’audiométrie tonale (meilleurs) et les réponses aux PEATC (plus pessimistes). Cet élément supplémentaire de discordance est en faveur d’un diagnostic de NA (figure 4).
3- Quel bilan complémentaire envisagez-vous compte tenu du diagnostic de NA ?
Devant une suspicion de NA, le bilan doit comporter :
- une IRM cérébrale, des conduits auditifs internes et des rochers ;
- un bilan ophtalmologique à la recherche d’une neuropathie optique associée ;
- une vestibulométrie ;
- une consultation génétique clinique spécialisée1 ;
- le dépistage auditif de la fratrie comme pour toute perte auditive.
Chez Alexandre, l’IRM est normale. Le bilan génétique a révélé des variations pathogènes bialléliques dans le gène OTOF, qui code l’otoferline. Les anomalies de ce gène (DFNB9) sont responsables de tableaux de NA, dont le degré de sévérité est en relation avec le génotype présenté par le patient ou d’un tableau de surdité congénitale profonde. L’otoferline est une protéine qui est exprimée au niveau du pôle basal des cellules ciliées internes de la cochlée. Elle est responsable de la fusion calcium dépendante des vésicules présynaptiques et de la libération du neurotransmetteur (glutamate) au niveau de la fente synaptique entre les cellules ciliées internes et les fibres afférentes du nerf cochléaire. En cas de variations pathogènes bialléliques du gène OTOF, l’excrétion du glutamate dans la fente synaptique est perturbée. Chez Alexandre, la délétion homozygote [p.Glu1804del (E1804del)] aboutit à la perte d’un acide aminé localisé dans domaine fonctionnel C2F de la protéine. Cette délétion a la particularité d’être responsable de dégradations auditives lors d’épisodes fébriles (même en cas d’élévation modérée de la température de 1 °C)2. En cas de fièvre, l’activité de l’otoferline mutée est encore plus impactée, par diminution de sa liaison au calcium responsable d’une majoration de la perte auditive. Ces dégradations auditives se résolvent spontanément 3-4 jours après la fin de l’épisode fébrile.
4- L’enfant est extrêmement gêné en classe du fait de sa faible intelligibilité. Que proposez- vous ?
Compte tenu de la faible intelligibilité observée sur l’audiométrie vocale, il faut mettre en place une amplification auditive et accompagner cet appareillage d’une prise en charge orthophonique. Un micro HF peut aussi être proposé en classe. Les résultats dépendent de l’importance de la perte auditive ainsi que des conditions d’écoute en classe.
5- Vous revoyez Alexandre régulièrement. Il a été très nettement amélioré initialement par l’appareillage auditif, mais son intelligibilité continue de se dégrader avec actuellement un gain limité avec ses prothèses auditives. Que pouvez-vous proposer aux parents ?
En cas de limitation du gain prothétique avec dégradation de l’intelligibilité, on peut proposer une implantation cochléaire. Dans le cadre d’une NA liée à des anomalies du gène OTOF, les résultats de l’implantation cochléaire sont excellents, identiques aux autres types de surdité endocochléaires.