Les « affections appartenant au spectre des neuropathies auditives » (traduction de « auditory neuropathy spectrum disorder ») que nous désignerons ici sous le terme neuropathies auditives (NA) peuvent être divisées en deux grands groupes selon l’origine de l’atteinte1 (figure 1). Les NA présynaptiques et synaptiques correspondant à l’atteinte des cellules ciliées internes (CCI) ou de la synapse ; les NA postsynaptiques relèvent d’une atteinte du nerf cochléaire au-delà de la synapse jusqu’au tronc cérébral2.
Une prévalence importante
Les NA concerneraient 2,4 à 15 % des surdités de l’enfant et 8 % des surdités profondes3,4. Cette prévalence doit inciter à tester par potentiels évoqués auditifs automatisés (PEAA) les nouveau-nés, présentant des facteurs de risques. En effet, les NA sont caractérisées par une préservation de la fonction des cellules ciliées externes (et donc des otoémissions acoustiques présentes), associée à une absence ou une altération des PEAA . Ainsi, un dépistage par otoémissions acoustiques provoquées (OEAP) passera à côté du diagnostic de NA car les OEAP sont présentes et donc faussement rassurantes (« faux négatifs »). À l’inverse, il faut systématiquement réaliser des OEAP à tous les enfants qui présentent une surdité de perception et qui n’ont eu que des PEA, afin de repérer ceux qui ont une NA. Enfin, un retard de langage prédominant sur la compréhension doit aussi faire penser à une NA et conduire à réaliser un enregistrement des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral (PEATC) en cas de doute sur les capacités perceptives de l’enfant.
Chez la majorité des enfants, l’audiométrie vocale est très dégradée dans le silence, plus qu’attendue par rapport aux seuils tonaux.
Particularités cliniques, circonstances de découvertes
Il existe deux grandes périodes de survenue des NA chez l’enfant. À la naissance : elles peuvent être d’origine génétiques, comme la mutation du gène OTOF ; ou acquises, suite à une souffrance très sévère au moment de la naissance (anoxie ou hypoxie prolongée, ictère sévère avec taux de bilirubine > 300-350 μmol/l…), qui peut également entraîner, dans 25 à 50 % des cas, des séquelles neurologiques.
La deuxième période correspond à la fin de l’enfance ou au début de l’adolescence. Il s’agit alors plutôt de NA évolutives d’origines génétiques. Selon Arnold Starr, qui a été le premier en 1996 à introduire la notion de NA, 25 % des enfants étaient âgés de plus de 10 ans à l’apparition des premiers symptômes2,3.
Les NA se distinguent par la diversité des causes et des sites d’atteinte dans le système auditif. Parmi les origines génétiques, certaines peuvent être responsables d'une NA isolée (mutation des gènes OTOF, DIAPH3) ou syndromique (gènes OPA1, FDXR, ATP1A3). Selon une étude réalisée par l’équipe de Nottingham, 67 % des parents décrivaient des difficultés associées chez leurs enfants suivis pour NA. Parmi eux, 38 % relevaient des difficultés motrices et ou d’équilibre, 30 % de retard cognitif, 13 % d’atteintes visuelles et, également, 13 % d’autisme.
Les NA sont le plus souvent bilatérales. En cas de NA unilatérale congénitale, il s’agit le plus souvent d’une hypoplasie (nerf de plus petit calibre) ou d’une agénésie (absence) du nerf cochléaire. Une NA unilatérale dans un contexte évolutif doit conduire à rechercher un schwannome, isolé chez le plus grand ou dans le cadre d’une neurofibromatose de type 2 chez les plus jeunes.
L’évolutivité des NA est elle aussi diverse, selon l’étiologie. Les NA liées aux facteurs de risque périnataux ont la particularité de s’améliorer dans 22 à 52 % des cas, surtout en cas de prématurité isolée ; il s’agit alors plutôt d’un phénomène de maturation. Quant aux NA d’apparition secondaire (pré-adolescence), elles ont plutôt tendance à s’aggraver avec le temps.
Des fluctuations ont par ailleurs été décrites chez 36 % des patients, notamment en cas d’épisode fébrile5 (lire le cas clinique ????). Une fatigabilité auditive est également rapportée par de très nombreux auteurs.
Les spécificités du bilan audiométrique
Le diagnostic de la NA repose sur l'utilisation combinée de l'audiométrie subjective, des otoémissions acoustiques provoquées (OEAP) et des tests électrophysiologiques1 (PEATC, ASSR).
L’audiométrie doit être adaptée à l’âge de l’enfant, à son développement psychomoteur et linguistique ainsi qu’aux éventuelles difficultés associées. L’exploration subjective débute par l’audiométrie tonale. En cas de NA, l’audiométrie tonale peut aller de normale à une perte auditive profonde. Il est rapporté de l’ordre de 4 à 10 % de seuils tonaux normaux, un tiers de pertes légères, un tiers de pertes moyennes et un tiers de pertes sévères à profondes. Les courbes audiométriques tonales sont classiquement plates ou ascendantes et symétriques. Dans 25 % des cas, elles sont descendantes, dans un contexte de souffrance néonatale ou d’ictère sévère.
L’étude de la vocale est primordiale
L’évaluation de la vocale est difficile chez l’enfant avant l’âge de 2 ans. Le test peut être réalisé en désignation ou en répétition. L’intelligibilité varie selon le matériel vocal utilisé et les conditions d’écoute.
La perception de la parole chez l’enfant va être fonction de l’âge à l’apparition de la NA (pré ou post-lingual), du degré de surdité et de désynchronisation. Les résultats des tests perceptifs sont classiquement moins bons que ceux attendus en cas de surdité de perception endocochléaire. Il existe une différence entre les NA pré-synaptiques qui vont avoir des résultats comparables aux surdités endocochléaires, contrairement aux NA post-synaptiques qui vont présenter des résultats moins bons que ce soit dans le silence ou dans le bruit2. Dans le silence, on utilise une liste ouverte de mots adaptés à l’âge et au lexique de l’enfant : Boorsma avant 8 ans et dissyllabiques de Fournier après 8 ans. Chez la majorité des enfants, l’audiométrie vocale est très dégradée dans le silence, plus qu’attendue par rapport aux seuils tonaux. Le maximum d’intelligibilité n’atteint pas 100 % malgré l’élévation du seuil. Le pourcentage de discrimination est plus faible que le maximum d’intelligibilité témoignant d’une courbe en « cloche », classiquement observée en cas de NA. Pour 50 % des enfants, l’audiométrie vocale est correcte dans le silence mais très dégradée en milieu bruyant.
Concernant l’audiométrie vocale dans le bruit, il existe peu de tests normés en fonction de l’âge chez l’enfant en français. L’évaluation peut être faite dès 5 ans notamment avec le FrMatrix simplifié (FRA-SIMAT), le test VRB (Vocale Rapide Bruit) à partir de 11 ans. L’intelligibilité dans le bruit est effondrée pour tous. Lors de la passation de ces tests, il est important de rester prudent car les éventuelles difficultés associées vont avoir des répercussions plus importantes du fait des conditions d’écoute difficiles.
Les signes objectifs
On recourt également à des outils d’évaluation objectifs : OEAP, produits de distorsion acoustiques (PDA) et potentiel microphonique (PMC).
Les OEAP et PDA permettent de recueillir la réponse vibratoire des CCE à une stimulation acoustique. Les OEAP peuvent être absentes dans 17 à 70 % des cas de NA du fait d’un épanchement rétrotympanique, d’une disparition secondaire ou d’une atteinte endocochléaire associée, ce qui rend le diagnostic plus difficile. Il faut alors rechercher le potentiel microphonique cochléaire (PMC) lors des PEATC pour mettre en évidence l’activité électrique des CCE3.
Quant aux réflexes stapédiens, ils sont classiquement abolis ou présentent des seuils plus élevés en présence d’une NA.
On complète le bilan par des tests électrophysiologiques : PEATC et ASSR (auditory steady state response). Les premiers permettent de recueillir la réponse à un stimulus acoustique de la cochlée et des voies auditives périphériques jusqu’au tronc cérébral. L’enregistrement se fait sous sieste (naturelle ou potentialisée). En cas de NA, les PEATC sont toujours altérés : tracés complètement désynchronisés (70 %), présence isolée de l’onde V (19 %), ondes III et V seulement (6 %), respect de toutes les ondes mais allongement important des latences, ondes de plus faibles amplitudes, variabilité des tracés d’un moment à l’autre ou d’un examen à l’autre 1,2. Quant aux ASSR, ils correspondent à l’enregistrement d’une réponse périodique dans l’EEG suite à la stimulation d’une zone précise de la cochlée à une fréquence particulière. En cas de NA, la réponse enregistrée aux ASSR résiste mieux à la désynchronisation que celle des PEATC6. Les seuils sont donc intermédiaires entre les seuils de l’audiométrie tonale et les PEATC qui sont le plus souvent complètement désynchronisés. Ce nouvel élément de discordance fournit un argument supplémentaire en faveur du diagnostic de NA.
Penser aux neuropathies
Les NA représentent 10 % des surdités de perception de l’enfant. Le premier défi consiste à penser à les repérer : via le dépistage par PEAA des nouveau-nés à risque, la recherche systématique des OEAP chez tous les enfants présentant une surdité, l’enregistrement des PEATC en cas de retard de langage prédominant sur la compréhension.
Le bilan étiologique doit associer une imagerie et un bilan génétique, même s’il existe des facteurs de risque néonataux.
La prise en charge des NA consiste en un appareillage auditif associé à une rééducation orthophonique spécifique. L’évaluation du retentissement des NA chez le nourrisson reste difficile. Il faut ne pas perdre trop de temps si l’atteinte ne permet pas d’accéder à une bonne discrimination de la parole avec l’appareillage auditif. Il faut aussi tenir compte du fait que 22 à 52 % d’entre eux vont présenter une amélioration auditive. L’implantation cochléaire peut être discutée en fonction du gain prothétique, de l’imagerie et des difficultés associées.
Pas de conflits d’intérêts