11 Décembre 2023

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« Il est urgent de modifier l’arrêté de 2018 qui impose que le prescripteur réalise le bilan auditif »

Le Dr Jean-Michel Klein a participé aux négociations du 100 % Santé et à la rédaction de l’arrêté instaurant un nouveau parcours vers l’appareillage. Il est également président d’ORL DPC, l’un des organismes proposant la formation en otologie médicale aux médecins généralistes (MG). Il revient sur le problème de la primo-prescription. Des propos pragmatiques, prônant la délégation de compétences et qui tranchent avec les discours habituels.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
JM Klein web

L’accès aux soins auditifs est un sujet qui vous est familier. Que pensez-vous de la situation actuelle ?

On est dans une impasse. Que ce soit les ORL, les audioprothésistes ou les médecins, nous sommes tous plongés dans un enfer pavé de bonnes intentions. Nous nous retrouvons dans une situation ubuesque dans la mesure où, alors que notre ambition était d’améliorer l’accès à la prescription d’audioprothèses, nous avons finalement tout fait pour que ça ne puisse pas marcher.

L'heure est à la concertation et aux concessions. Or, chaque profession est enfermée dans sa tour d’ivoire, sollicitant les vieilles méthodes, pour tenter de parvenir à une solution parfaite, sachant qu’on part d’un modèle qui est loin de l’être.

L’un des problèmes est la restriction du vivier de prescripteurs avec l'obligation pour les MG de se former en otologie médicale pour primo- prescrire des aides auditives. Combien existe-t-il d’ODPC proposant cette formation et peut-on estimer aujourd’hui le nombre de professionnels formés ?

C’est le nœud du problème. Et on va peut-être se faire peur : seuls deux organismes sont agréés par l’ANDPC pour la formation à l’otologie médicale, ORL DPC et Adesa.

Avec ORL DPC, nous aurons organisé six sessions en 2023. À ce jour, nous avons formé 60 MG ; c’est nul. Nous ne comptons, pour le moment, que trois inscrits à la dernière session, prévue fin novembre à Lille. La session à Rothschild, dans le service du Dr Denis Ayache, en comptait douze ; celle de Lyon, dans le service du Pr Stéphane Tringali, neuf.

D’après la mission Igas-IGÉSR, il faudrait former 3 000 MG ; c’est exagéré. Il en faudrait 300 avec un équipement cohérent, travaillant avec un réseau d'ORL et dont les adresses seraient connues de leurs collègues et des ARS. En santé, on est resté à l’âge de pierre en termes de communication. Il y a un incendie dans la cave de Madame Michu, tout le monde est prévenu dans les 5 minutes. Mais obtenir les adresses des MG est impossible...

Pourquoi sont-ils si peu à être formés ?

Je crois que les MG en ont marre d’être la « poubelle » du système de santé. Et puis, ils sont débordés et n’ont pas forcément l’envie ou le temps de réaliser cette formation en otologie médicale qu’on leur met sur le dos. On leur impose en plus de s’équiper d’une cabine d’audiométrie à 10 000 €, du matériel de diagnostic à 4 000 €, et de quoi réaliser la vocale dans le silence, alors qu’ils ne vont finalement réaliser qu’un audiogramme par semaine au maximum. Et nous exigeons tout cela, nous ORL, sachant que notre pratique en ville est pour le moins disparate, le meilleur confinant avec le pire...

Je pense également que les MG n’y voient pas l’intérêt. On leur demande de mener l’interrogatoire, de réaliser l’audiométrie, de poser le diagnostic et de convaincre le patient de se faire appareiller sans l’effondrer psychologiquement tout en étant très pédagogues... pour 39,27 €, alors qu’une consultation d’un MG prend d’ordinaire 10 minutes. Le compte n'y est pas.

Il faudrait plutôt les former sur l’interprétation des audiogrammes et comment motiver un patient à l’appareillage.

Vous voulez dire que le contenu de la formation n’est pas adapté ?

Cette formation est nécessaire. On ne va pas non plus faire n’importe quoi ou laisser les a priori s’installer dans un diagnostic qui ne peut pas tolérer les approximations. Néanmoins, son contenu est sans doute trop « ORL forever », trop exigeant. On voit bien que la formule actuelle ne fonctionne pas. Dans la formation, les MG bénéficient de 6 mois de « conduite accompagnée », pendant lesquels ils transmettent 25 audiométries à des ORL. Or, on s’aperçoit que la plupart n’ont pas réalisé les audiogrammes qu’ils nous envoient pendant cette période de compagnonnage ; ce sont des courbes d’audioprothésistes. On leur répète qu’il faut faire des voies aériennes, des conductions osseuses, des vocales dans le silence et on se retrouve avec les premières uniquement. Ils sont également mal à l’aise avec l’otoscopie. Nous les formons pourtant mais le fait est que sur une session de neuf heures, sept se font en présentiel et deux seulement sont consacrées à des ateliers pratiques.

Cette formation n’est à la fois pas suffisante et pas adaptée. Les MG cherchent avant tout des schémas clairs, des arbres décisionnels, pour s'occuper de patients qu’ils prenaient déjà en charge, mais ils n’ont pas le temps de faire des audiométries. Il ne faut pas pour autant renoncer à les former car, encore une fois, c'est nécessaire. Mais il faut actionner des leviers supplémentaires et revoir le parcours et la place de chacun.

Vous avez participé aux négociations de 2018 et à la rédaction de l’arrêté. N’est-il apparu à personne que le nouveau parcours contredirait l’ambition d’un meilleur accès aux aides auditives ?

Il y a sans doute eu des erreurs de faites. Il est urgent de modifier l'arrêté en supprimant la mention imposant que le prescripteur réalise le bilan auditif. Il faut dissocier sa réalisation et son interprétation. Sans cela, nous n’aurons pas les moyens d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés d’un meilleur accès à l’appareillage auditif.

Retirer cette phrase du texte permettrait d’instaurer un parcours de soins avec plusieurs acteurs, ce qui correspond d’ailleurs à ce qui se fait sur le terrain aujourd’hui. On peut imaginer alors que l’audioprothésiste réalise l’audiogramme de diagnostic et pas uniquement de dépistage et que le MG, formé à l’otologie médicale, se charge de l’interprétation et de la primo-prescription s’il a l’anamnèse, la photo du tympan et un audiogramme sérieux. Et, au moindre doute, il adresserait à l'ORL référent. La sécurisation du parcours peut être garantie par la mise en place de balises obligatoires comme le respect du protocole go/no go, qui en est la colonne vertébrale.

Ce schéma qui s’appuie sur trois professionnels, chacun dans son domaine de compétence, permet une prise en charge de qualité et augmente les points d’entrée dans le parcours d’appareillage. Car un délai de 6 mois pour un rendez-vous avec un ORL, ce n’est plus de la médecine, c’est scandaleux !

Ce sont des audioprothésistes qui réalisent les audiogrammes dans la plupart des services ORL de France.

Finalement, il faudrait, selon vous, régulariser et sécuriser une situation qui existe déjà dans les faits ?

Ce sont des audioprothésistes qui réalisent les audiogrammes dans la plupart des services ORL de France. Dans ces conditions, pourquoi ne pas les leur déléguer en ville pour le compte des médecins – ORL ou MG formés – qui en feraient l’interprétation en fonction du contexte clinique ? Leurs connaissances sont complémentaires de celles des ORL.

Le problème, c’est cet arrêté et, depuis le 1er octobre 2022, le blocage de ma spécialité qui se cramponne à ce texte. Au sein de la Fédération des spécialités médicales (FSM), dont j’ai été le vice-président pendant plusieurs années, nous avons appris à discuter ensemble et à nous amplifier les uns les autres. Je crois beaucoup aux vertus de la transversalité et de la transparence. Une frontière entre deux métiers n’est pas une barrière mais une zone d’échanges, de porosité, où c’est le plus compétent qui prend la main. À nous de créer des réseaux régionaux vertueux de professionnels associant ORL, audio et MG et collaborant pour le bénéfice de leurs patients.

C'est l’interprétation de l’audiogramme, au regard du contexte clinique, qui fait la valeur ajoutée du médecin ; le reste, c’est de la technique. Laissons celleci à ceux qui la maîtrisent pour regagner du temps médical.

Donc vous êtes favorable à une délégation de tâches des ORL vers les audioprothésistes ?

Oui, mais avec la mise en place d’un système de réunions de concertation pluridisciplinaires, de façon à ce qu’il n’y ait pas de dérapage. Car, notre trouille à nous, ORL, c’est qu’un cholestéatome, par exemple, passe entre les mailles du filet. Le protocole go/no go a été fait pour cela.

Si on résume, il faut des MG formés, labellisés, conscients de l’importance de poser un bon diagnostic, sachant orienter si besoin et travaillant en réseau avec les ORL et des audioprothésistes à qui on donne un peu plus d’autonomie. C'est l’interprétation de l’audiogramme, au regard du contexte clinique, qui fait la valeur ajoutée du médecin ; le reste, c’est de la technique. Laissons celle-ci à ceux qui la maîtrisent pour regagner du temps médical.

D’aucuns pointent les risques de compérage ou de conflits d’intérêt... Comment les éviter ?

En définissant clairement les missions de chacun et en y réfléchissant à plusieurs. En tant que médecins, nous orientons toujours nos patients vers deux ou trois radiologues, deux ou trois kinés, deux ou trois MG, parce que l’on sait comment ils travaillent. Ce sont des liens vertueux et qui permettent d’adresser à des professionnels dont on connaît les compétences.

Par ailleurs, 90 % des audioprothésistes sont des gens bien. Comme dans tous métiers, il y en a 10 % qu’il faut cadrer et qui pourrissent la situation à l’heure actuelle. Mais, il faut avoir confiance.

C’est en laissant la situation dans cette impasse que les dérives prospèrent. Pendant ce temps, il y a des types qui s’achètent des Ferrari sur le dos de l’Assurance maladie... Il y a d’autres moyens de sécuriser le parcours de prise en charge.

Au-delà du fait de permettre aux audioprothésistes de réaliser l’audiométrie de diagnostic, quels sont les autres leviers à actionner ?

Il faudrait rédiger trois-quatre parcours vertueux de prise en charge, qui s’adapteraient à différents territoires. Il est certain que la pratique à Paris n’est pas la même que dans la Creuse. D’ailleurs, cette question soulève celle de la répartition territoriale des ORL car les deux tiers sont installés en Île-de-France, Rhône- Alpes et PACA. C’est complexe pour les patients et ça ne va pas s’arranger. On pourrait concilier l’exigence d’amélioration de l’offre de soins et la liberté d’installation des médecins par un système de compensation ou d’incitation, comme cela est fait au Québec. Le tarif de la consultation à Chicoutimi est trois fois plus élevé que celui d’un médecin à Montréal. Ce pourrait être le cas d’un ORL qui s’installerait à Guéret car il verra peut-être moins de patients qu’un confrère dans le 16e arrondissement de Paris et ses patients seront plus complexes socialement, médicalement et financièrement parlant. On doit tenir compte de tout cela.

Il faudrait des états généraux de l’audiologie. La filière doit mener une réflexion globale et mettre fin aux querelles de chapelles pour avancer. 

Y a-t-il d’autres pistes ?

Je suis convaincu que les outils numériques ont toute leur place et notamment la téléexpertise. J’ai également participé à la rédaction d’un protocole expérimental de téléconsultation assistée associant audioprothésiste et MG formés, aux côtés de Jean Tafazzoli, médecin généraliste et président de MaQuestionMedicale, et de Stéphane Gallego, audioprothésiste. Nous l’avons déposé en article 51 auprès de l’ARS de Rhônes-Alpes (lire l’article La très lente montée en puissance de la téléaudiologie).

L’utilisation des PROMs me semble un autre levier intéressant. Un registre en audiologie, tel qu’imaginé par la société PROMTime avec le CNP d’ORL, qui comparerait les bénéfices rapportés par les patients appareillés, permettrait d’évaluer la qualité du service médical rendu non plus seulement à travers les moyens, mais surtout à l’aune des résultats et de limiter certaines dérives. Nous avons besoin d’indicateurs auxquels nous puissions nous confronter pour améliorer nos pratiques.

On peut également réfléchir à instaurer un système de feux tricolores aux trois étapes du parcours de la primo-prescription : à la prescription initiale par un questionnaire de justification/motivation, à la fin de l’essai et à un an.

Ce sont toutes ces solutions que l’on peut engrener les unes après les autres mais, pour cela, il faudrait des états généraux de l’audiologie. La filière doit mener une réflexion globale et mettre fin aux querelles de chapelles pour avancer. 

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