« Ce qui me tient à cœur aujourd'hui, c'est l'information du grand public sur les conséquences de la surdité »

À 57 ans, Isabelle Mosnier succède à François Dejean à la présidence de la Société française d’audiologie. La responsable de l’unité fonctionnelle implants auditifs de la Pitié-Salpêtrière et directrice du centre de recherche en audiologie adulte doit relever un double challenge : maintenir le dynamisme de la société savante en parallèle des préparatifs du Congrès mondial d’audiologie de 2024. Avec, en prime, l’ambition d’améliorer l’information du grand public.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
IMOSNIER
Isabelle Mosnier, présidente de la SFA

Vous succédez à François Dejean. Quel bilan tirez-vous de son mandat ?

François a pris la présidence de la SFA en décembre 2020, en pleine pandémie de covid. Pendant cette période, il a malgré tout réussi à organiser un magnifique congrès à La Grande-Motte, ce qui n’était pas gagné d’avance compte tenu du contexte. Il a aussi grandement participé à dynamiser les groupes de travail : l’un d’entre eux a été consacré à la comparaison audioprothétique entre les appareils de classe I et de classe II et, un autre, plus récemment, aux questionnaires de satisfaction à destination des patients, souhaités par les pouvoirs publics.

François nous a également poussés à nous adapter aux conditions sanitaires en mettant sur pied, avec l’aide du bureau, des e-colloques et webinaires. Et, force est de constater que ces formats rencontrent un vrai succès. J’en veux pour preuve le nombre d’inscrits – plus de 600 – à notre dernier événement de décembre sur la binauralité et la surdité unilatérale chez l’adulte. Autre évolution marquante de ce mandat : les réunions de notre conseil d’administration, qui se tenaient en présentiel deux-trois fois par an et peinaient à afficher complet, sont passées, covid oblige, à des visios mensuelles, auxquelles nous nous montrons tous particulièrement assidus. Cela a insufflé beaucoup de cohésion à notre groupe.

On a le sentiment que la SFA gagne en visibilité et attire de plus en plus d’adhérents.

C’est vrai qu’il y a eu un tournant. Cela s’est fait au prix de pas mal de travail avec nos réunions mensuelles qui ont dynamisé la société. L’organisation de nos webinaires et e-colloques a grandement contribué aussi à moderniser son image. Nous comptons plus de participants à chacun de nos événements. Nos formations attirent car elles sont accessibles au plus grand nombre et permettent à chacun d’en tirer profit pour leurs pratiques au quotidien.

Nous souhaitons continuer à faire parler de nous pour rassembler davantage encore d’ici 2024, afin que le Congrès mondial de l’audiologie, présidé par Hung Thai-Van, soit un succès non seulement international mais également français...

Quelle est votre feuille de route ?

La barre est haute pour les deux ans à venir. Je suis confrontée à un double challenge : celui de maintenir le dynamisme de la SFA en parallèle des préparatifs du congrès mondial. Je souhaite bien sûr maintenir l’esprit et l’ambiance uniques de cette société brillante et poursuivre sa mission de formation qui contribue à l’intérêt croissant de la communauté ORL pour l’audiologie et à l’amélioration de la qualité de la prise en charge que l’on constate par tous les professionnels.

Mais, ce qui me tient à cœur aujourd’hui et ce pourquoi je souhaite prendre mon bâton de pèlerin, c’est l’information du grand public sur les conséquences de la surdité. Pour le moment, seuls les audioprothésistes s’en chargent, certes de manière intéressante, mais avec un conflit d’intérêt. Je pense que c’est le rôle de la SFA, en tant que société savante, de communiquer sur les troubles de l'audition et leur retentissement sur la dépression, la cognition. Trop peu de gens réalisent que la perte auditive est très fréquente et peut toucher n'importe qui, quel que soit son âge.

J’aimerais pour cela m’appuyer sur les informations du Rapport mondial sur l'audition et d'autres ressources de l’Organisation mondiale de la santé, dont je me sers régulièrement pour mes conférences ou mes cours. Il faudrait les adapter pour alerter le grand public et les médecins généralistes sur l’impact des troubles de l'audition et la nécessité de les prendre en charge avec des messages simples sur la surdité, les risques d’isolement, de dépression, de troubles cognitifs et les moyens de la repérer. Cette documentation pourrait être associée à des questionnaires, comme le HHIE-S traduit par Damien Bonnard ou un questionnaire canadien adapté et bientôt validé par ma consœur Évelyne Ferrary, ou encore à des tests comme Höra.

Ce n'est pas le rôle d’une société savante de s’emparer des questions politiques. Notre volonté est de camper sur le terrain de la formation, de l’information et des bonnes pratiques.

Y a-t-il d’autres travaux en cours ?

Outre les travaux sur les questionnaires de satisfaction coordonnés par François Dejean et Damien Bonnard, un groupe, mené par Natalie Loundon, vient d’achever un état des lieux des listes utilisées lors des audiométries vocales chez l’enfant (lire l’article La SFA veut dépoussiérer l’audiométrie vocale pédiatrique). Il aboutira sans doute à une publication prochaine. Un autre groupe coordonné par Frédéric Venail porte sur la téléaudiologie.

Par ailleurs, comme toute société savante, nous souhaitons soutenir la recherche en audiologie. Dans cet esprit, nous renouvelons en 2023 nos prix posters, initiés en 2021 et portés par Stéphanie Borel. Ils récompensent les meilleurs posters d’étudiants ayant soutenu leur mémoire d’orthophonie, d’audioprothèse, de DES, de master 2 (sciences du langage, psychologie, audiologie, neurosciences…) ou leur thèse d’exercice dans l’année. La SFA souhaite ainsi mettre en avant les travaux des futurs professionnels de santé ou chercheurs qui feront l’audiologie de demain. De même, nous avons lancé en 2022 une nouvelle bourse, sponsorisée par Audika, d’un montant de 24 000 €. C’est un audioprothésiste Ugo Benrubi, inscrit en seconde année du master Neuroprothèses sensorielles et motrices de Montpellier, qui l’a remportée l’année dernière. Les candidatures sont d’ores et déjà ouvertes pour 2023.

La SFA a-t-elle une position sur les problématiques actuelles d’accès aux soins en audiologie ?

Ce n'est pas le rôle d’une société savante de s’emparer des questions politiques. Notre volonté est de camper sur le terrain de la formation, de l’information et des bonnes pratiques. Nous n’avons pas d’avis à donner sur la pertinence d’un ordre des audioprothésistes ou l’accès à la prescription. Ces sujets sont plutôt la prérogative des syndicats et des collèges.

En revanche, nous travaillons à la rédaction de recommandations sur lesquelles peuvent s’appuyer ensuite les autres instances représentatives de la filière et les professionnels de la santé auditive. Notre démarche est avant tout tournée vers la mise à disposition d’outils comme le protocole go/no go, le compte rendu d’appareillage audioprothétique ou encore les questionnaires de satisfaction, dans un but d'amélioration des pratiques.

Je préfère qu’un patient attende six mois pour voir un ORL et que les choses soient bien faites, plutôt qu'il soit appareillé avec un appareil sans gain prothétique et que l’on passe à côté d'un schwannome vestibulaire.

Comment garantir partout en France le même accès à des soins auditifs de qualité, dans des délais raisonnables ?

Là encore, en accompagnant les professionnels au travers d’outils et de formations. Je connais mal les problématiques d’accès aux soins audioprothétiques dans les territoires mais les patients d'autres régions qui consultent à Paris viennent généralement chercher un deuxième avis et non par manque d’accès aux soins. Je n’ai jamais rencontré de cas qui n’aurait pas été pris en charge alors qu’il nécessitait un traitement en urgence. Je préfère en outre qu’un patient attende six mois pour voir un ORL et que les choses soient bien faites, plutôt qu'il soit appareillé avec un appareil sans gain prothétique et que l’on passe à côté d'un schwannome vestibulaire. Le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Vous êtes responsable de l’unité fonctionnelle implants auditifs de la Pitié-Salpêtrière. Constatez-vous les mêmes problématiques d’accès aux soins en ce qui concerne les implants ?

Non. Quand il y a urgence, on voit les patients très rapidement et pour le reste, nos délais de consultation à la Pitié-Salpêtrière sont d’environ un mois et demi à deux mois, parfois moins. En trois-quatre mois, une personne peut être implantée. Ce qui est très raisonnable. Mais je sais que certains centres ont des délais d’implantation plus longs principalement dus au manque de personnel dans les blocs.

Le problème se situe ailleurs. Moins de 5 % des patients qui ont une indication d'implant en bénéficient parce qu’ils ne nous sont pas adressés, ni par les ORL ni par les audioprothésistes. Nous avons beau multiplier les formations des professionnels de l’audition, les chiffres d’implantation cochléaire ont peu augmenté ces dernières années bien que la chirurgie et le suivi se soient beaucoup simplifiés et que les frais soient pris en charge par la Sécurité sociale. J’ai bon espoir que l’arrivée des nouvelles générations d’ORL, d’audioprothésistes et d’orthophonistes, qui sont formés à l’implant cochléaire et voient au cours de leurs études le bénéfice majeur de cette technologie, permettent une augmentation du nombre de personnes implantées. L’information du grand public peut également permettre de mieux faire connaître l’implant et ce doit être une des missions de la SFA.

Malgré cela, nos cohortes de patients implantés grandissent chaque année avec les nouveaux implantés, les extensions d’indications. Il y a un goulet d’étranglement qui se forme peu à peu. Nos centres sont sous-dimensionnés pour absorber la charge à venir. C’est un enjeu majeur, qui n’est pas propre à la France d’ailleurs.

Moins de 5 % des patients qui ont une indication d'implant en bénéficient parce qu’ils ne nous sont pas adressés, ni par les ORL ni par les audioprothésistes.

Faudrait-il s’appuyer sur des centres d’implantation privés, comme certains le souhaitent ?

Le nombre de centres privés capables de prendre en charge les patients et d’assurer le suivi des cohortes d’implants cochléaires est très limité. Diluer la responsabilité au-delà des centres de référence, si l’on n’a pas la structure et la formation adaptée, c’est risquer des patients mal suivis, perdus de vue... Ou de voir des catastrophes chirurgicales.

Surtout, la chirurgie ne représente que le sommet de l’iceberg. Il faut avoir les épaules très solides, la structure avec ORL, régleurs audioprothésistes, orthophonistes, psychologues..., l’habitude de prendre en charge des enfants sourds pour les centres pédiatriques, le protocole et l’organisation pour assumer les réglages, le suivi médical et la lourdeur de la prise en charge. Il faut être capables de gérer les patients qui reviennent parce qu’ils ont de mauvaises performances voire des pannes, réaliser les tests auditifs et d’intégrité pour chacun... Parmi ceux-là, il y a un noyau non négligeable de patients âgés, de perdus de vue, de familles socialement défavorisées, etc. dont le suivi est très lourd. Le moindre grain de sable embolise nos services. Si on ne fait pas ça à plein temps, ça ne peut pas fonctionner.

De plus, les centres d’implants ont des missions d’enseignements et de recherche clinique. Je pense donc qu’il est préférable de mieux doter les centres de référence actuels qui ont l’expertise que de multiplier le nombre de centres, et ce d’autant que la télémédecine va permettre dans un avenir proche le suivi et vraisemblablement les réglages des patients implantés pour diminuer leurs déplacements.

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