15 Mai 2023

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Accès à la prescription : l’amorce d’une concertation

Après quelques crispations et frictions, les acteurs de la filière semblent vouloir se mettre autour de la table pour trouver des solutions à la problématique d’accès à la prescription. Une approche territoriale se dessine.

Par Ludivine Aubin-Karpinski

ORL et audioprothésistes ont entendu l’appel du ministre de la Santé, François Braun, lors du comité de suivi du 100 % Santé en avril dernier. Interpellé par les représentants de la filière sur la problématique de l’accès à la prescription d’aides auditives, celui-ci les avait encouragés à travailler ensemble pour lui soumettre des propositions concrètes. « On a relevé le gant », se félicite le Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d’ORL, après avoir initié un cycle de réunions avec les représentants des audioprothésistes, SDA, Synea et Synam.

Car, si les positions des uns et des autres n’ont pas toujours été alignées ces derniers mois et ont provoqué quelques tensions, l’heure semble être à la recherche de solutions pour éviter une situation de blocage voire de détérioration du parcours d’appareillage en France. Le constat est unanime : le statu quo n’est pas tenable et les symptômes de la maladie patents. En effet, l’objectif du 100 % Santé d’un meilleur accès aux soins auditifs est aujourd’hui contredit par la diminution du vivier de prescripteurs avec, d’un côté, la pénurie d’ORL et, de l’autre, la fin de la primo-prescription par les médecins généralistes (MG), depuis octobre 2022. Et, l’unique solution à ce jour, qui consiste à espérer que suffisamment de médecins généralistes se forment à l’otologie médicale pour « absorber » la demande, semble bien illusoire. Seule une poignée dispose du précieux sésame… et cela n’est pas près d’évoluer favorablement malgré les efforts d’ORL DPC pour monter des sessions de formations. Les MG ne sont pas informés de l’existence de cette obligation et, surtout, ils souffrent des mêmes maux que les autres spécialités.

L’accès aux soins en audiologie est un enjeu de santé publique.

Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d'ORL

Consensus sur la nécessité d’agir

Tous les acteurs de la filière s’accordent ainsi sur l’importance de trouver des solutions rapidement. Si la situation n’est pas aussi critique que d’autres secteurs de la santé, le président du SDA, Brice Jantzem, considère en revanche que ce n’est pas le cas dans certains territoires et « que le problème ne fera que s’accentuer dans les mois et années à venir ». Richard Darmon, président du Synea, dresse le même constat : « Il apparaît clairement que, dans certains territoires, l’accès à l’ORL est très difficile. Ce sont les futurs déserts médicaux de la santé auditive. » Le président du SDA conteste par ailleurs l’argument des ORL de la non-urgence de l’appareillage : « Si la surdité est un symptôme à ne surtout pas négliger et qui doit être vu par un spécialiste, alors l’argument de dire qu’un délai de six mois est acceptable tombe. De plus, dans le cas d’acouphènes invalidants, de surdités brusques, le délai de prise en charge peut être dommageable ». Brice Jantzem estime surtout « qu’en l’absence de réponse rapide, la situation va donner lieu à de très nombreuses dérives et fraudes dont on aperçoit déjà les prémices comme des falsifications d’ordonnances ou l’apparition de sites comme otorhino.io ou autres ».

Côté ORL, on ouvre la porte à la discussion. Le CNP reste, de son propre aveu, « figé sur l’idée que la pertinence de la primo-prescription passe aujourd’hui comme autrefois par l’ordonnance d’un ORL », mais, comme l’indique son président, le Pr Vincent Darrouzet, il « bouge quand même ». « L’accès aux soins en audiologie est un enjeu de santé publique et il est absolument nécessaire que les patients sourds et presbyacousiques s’équipent, admet-il. On connaît les risques de dégradation cognitive liée à la perte d’audition. C’est un effet de levier formidable que les audioprothésistes savent bien utiliser. La situation est dramatique dans certains territoires comme dans l’Est, le Limousin ou la région Centre-Val de Loire. C’est un problème majeur, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la spécialité ORL et concerne aussi les médecins généralistes. Nous devons nous concentrer sur ces zones pour que l’accès à un ORL se fasse dans des délais raisonnables, à la mesure de “l'urgence” pour un appareillage auditif. Et c’est pour cette raison que nous avons souhaité rencontrer les syndicats d’audios. » Au mois d’avril, ORL et audioprothésistes ont ainsi aplani les tensions et dressé un état des lieux (lire l'article L’audiologie aux portes du désert). Surtout, ils ont esquissé quelques solutions. À une exception : le CNP d’ORL persiste dans son refus catégorique d’une nouvelle dérogation permettant aux médecins généralistes non formés de primo-prescrire... « Le prescripteur doit être le testeur !! (…) Notre position n’a pas varié et ne variera pas. La pertinence est notre seul guide », martelait son président, dans une tribune diffusée dans la newsletter de la SFORL du 15 mars 2023.

Pas de dérogation pour les MG...

Pourtant, cette solution était l’une des recommandations de l’Igas, qui suggérait, dans son rapport sur la filière auditive, de la prolonger « jusqu’à ce qu’un nombre suffisant [de MG] soient formés ». Elle est également soutenue par le Snitem et le SDA, qui estiment qu’il s’agit de la solution « la plus simple à court terme ». C’était aussi une demande de la Mutualité Française, dans un courrier adressé à la Direction de la Sécurité sociale (DSS), en mars dernier : « En l’absence d’études indiquant un risque quelconque pour les patients et afin de ne pas fragiliser davantage l’accès aux soins auditifs, il nous paraît nécessaire de lever l’obligation prévue par le protocole de 2018 pour permettre aux médecins généralistes de primo-prescrire un appareillage auditif sans obligation supplémentaire, comme ils en avaient jusque-là la possibilité. » Mais le CNP n’entend pas ces arguments. Néanmoins, son président reconnaît que « le DPC d’otologie médicale ne résoudra pas le problème, même s’il commence à se mettre en place. Il ne doit pas être abandonné pour autant et peut contribuer à améliorer la situation, dans une petite mesure ».

Le flou artistique autour de la primo-prescription des MG

La question n’est plus de savoir si les MG peuvent ou ne peuvent plus primo-prescrire, s’ils ne sont pas formés en otologie médicale. En l’absence de nouvelle dérogation, la loi s’impose. Néanmoins, compte tenu du faible nombre d’impétrants, un flou artistique plane.

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Ce que relève la FNMF, dans un courrier adressé en mars à la Direction de la Sécurité sociale : « Cette réforme crée un risque pour les médecins généralistes peu informés de cette nouvelle contrainte. Certains pourraient, en toute bonne foi, continuer de prescrire des aides auditives sans que ces dispositifs ne soient éligibles à une prise en charge. (…) Enfin, il n’existe pas d’outil qui permette le contrôle a priori du remboursement de l’aide auditive. »

Ce doute concernant la validité des primo-prescriptions de MG non formés devient également un élément concurrentiel. « Lors de nos échanges, le SDA nous a assuré qu’il préconisait à ses adhérents de refuser les prescriptions de praticiens en l’absence de connaissance de leur qualification en otologie, mais il nous a aussi alertés sur la remise en question de la pérennité de l’activité des professionnels qui respectent cette règle, explique le Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d'ORL. En effet, le syndicat craint que ces derniers ne se fassent débordés par des grandes enseignes, notamment optiques, qui, elles, diffusent la consigne de les accepter, profitant d’une certaine tolérance de la Cnam. Nous attendons un retour de l’Assurance maladie à ce sujet, car ce n’est pas tolérable ! Il n’y a pas de difficulté à identifier un MG non formé : c’est simple, sa prescription ne s’accompagne pas d’un audiogramme ! »

... mais des incitations à se former

François Braun, lors de la réunion du comité de suivi du 100 % Santé, ne s’est d’ailleurs pas prononcé en faveur d’une nouvelle dérogation mais a préconisé de « retravailler l’accès à la formation en otologie médicale ». C’est l’une des voies envisagées par les syndicats, même si elle ne peut constituer une réponse à elle seule. Le Synea avance ainsi la piste d’incitations ciblées de la Cnam à la formation des MG, dans les territoires repérés comme à risques, et « l’intégration de la formation à l’otologie médicale dans le parcours de formation des MG, au cours de la dernière année, pour augmenter le nombre, dès l’année suivante ». Le Synam suggère quant à lui de « tester des dispositifs ciblés, comme la mise en place de dérogation sur certains territoires en manque de professionnels ». Quant au SDA, il préconise de « réviser le contenu du DPC en formant les MG sur l’interprétation et non plus la réalisation d’audiométries, qui seraient confiées aux audioprothésistes pour leur permettre de gagner du temps de formation et de consultation ». Une proposition que la FNMF émet également dans son courrier à la DSS : « À moyen terme, la primo- prescription pourrait être précisée par un audioprothésiste qui dispose de la formation et des équipements nécessaires pour effectuer les tests auditifs selon des modalités que nous pourrions travailler avec vos services ».

L’idée n’est pas de réviser totalement le logiciel mais de proposer des parcours patients spécifiques pour s’adapter aux situations territoriales diverses.

Richard Darmon, président du Synea

La voie territoriale s’impose

Mais, la piste que semble privilégier le CNP d’ORL est celle d’une approche territoriale, qui privilégierait la mise en place d'expérimentations voire de dispositifs exceptionnels dans les zones qui le nécessitent uniquement. C’est ce qui découle d’une étude confiée par le Synea et le Synam au cabinet Veltys et dont les résultats ont été présentés lors du 43e congrès des audioprothésistes ainsi qu’au CNP d’ORL (lire l'article Des MG difficiles à remplacer). « Elle montre clairement l’existence de zones sous-denses, où les patients doivent attendre parfois un an pour obtenir un rendez-vous avec un ORL », commente le Pr Darrouzet. « L’idée n’est pas de réviser totalement le logiciel mais de proposer des parcours patients spécifiques pour s’adapter aux situations territoriales diverses », explique Richard Darmon.

Ces parcours pourraient ainsi inclure, dans les territoires concernés, le développement des téléconsultations ou de la télé-expertise, sur la base d’un bilan auditif établi par un audioprothésiste, « avec une clause de revoyure en présentiel par l’ORL dans les six mois qui suivent l’appareillage », insiste le président du CNP. Comme le soulignait Guillaume Joucla, directeur général de Sonova France, au cours de la table ronde du Snitem qui s’est tenue lors du même congrès : « Cela fonctionne pour la filière optique. Cela permet de garder le spécialiste dans le parcours de soins et contribue à fluidifier le parcours. »

L’approche territoriale pourrait également s’appuyer sur l’application du protocole Go/no Go pour les MG (l’aiguillage des patients vers un ORL en cas de red flags) ou encore l’utilisation de l’intelligence artificielle pour l’audiométrie (lire notre article Automatisation par IA : l’avenir de l’audiométrie ?).

Délégations et télémédecine

D’autres solutions sont sur la table pour tenter de concilier accessibilité et pertinence du parcours de soins telle que la création, dans les CHU, de consultations spécifiques pour l’appareillage auditif. Cela est déjà proposé par le service du Pr Christophe Vincent à Lille. Mais, comme l’indique le Pr Darrouzet, « ce n’est pas si simple et requiert un alignement de planètes, des financements, des audiométristes… »

Le président du CNP d’ORL évoque également le travail aidé « pour décharger les ORL de l’audiométrie et augmenter l’activité d’un praticien qui n’a pas d’appétit naturel pour l’audiologie voire pas de compétences en la matière ». Le SDA craint que cette voie ne conduise à un « modèle financiarisé similaire à celui des centres dentaires et ophtalmologiques avec des investisseurs salariant des ORL étrangers et une armée d’assistants ».

Le syndicat propose de son côté de libérer du temps médical par un partage de compétences avec les audioprothésistes, en leur permettant de réaliser les audiométries pour tous les ORL, y compris ceux qui font peu voire pas d’audiologie (lire l’encadré ci-dessous). Cette question du décloisonnement du système de santé et de l'évolution du rôle des professionnels piétine. Or, comme l'explique le président du Laboratoire d'idées Santé Autonomie (Lisa), Stéphane Le Bouler, dans un Focus sur l'Accès aux soins, paru en avril 2023, « le partage des tâches entre ophtalmologues, orthoptistes et opticiens trace des solutions possibles ».

Les ORL favorables au travail aidé... mais pas par les audios

Cette question du travail aidé divise. Les ORL ne l’envisagent pas via une délégation de tâches vers les audioprothésistes, craignant des dérives. Selon Brice Jantzem, président du SDA, il s’agit d’un « procès d’intention ».
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« Il n’y a pas de raison qu’un audioprothésiste soit moins honnête qu’un médecin, argumente-t-il. Il faut leur faire confiance, ce sont des professionnels de santé reconnus. Bien sûr, des appareillages non pertinents existent, et le SDA œuvre très activement pour l’amélioration des pratiques et davantage d’encadrement. »

Et d’insister : « Il n’y a pas de raison que l’audiométrie réalisée par les audioprothésistes soit moins qualitative. Avec les ORL, ce sont les seuls professionnels formés à cela. D’ailleurs les ORL font souvent appel pour cela à des infirmières ou secrétaires pas toujours bien formées. Ils sont peu équipés de solutions d’audiométrie vocale dans le bruit et de nombreuses prescriptions ORL ne comportent pas de vocale et encore moins d’éléments d’anamnèse ou d’interprétation. »

Une autre voie envisagée par le syndicat serait d’orienter les renouvellements vers les MG pour libérer du temps de consultation ORL. « Entre les renouvellements, les audioprothésistes qui suivent leurs patients au long cours sont en première ligne pour déceler une aggravation inhabituelle du patient ou une anomalie, et orientent déjà naturellement vers l’ORL », commente Brice Jantzem.

Et, il y a le nerf de la guerre : le SDA suggère ainsi la défense, pour les ORL, d’un forfait de « prise en charge de la surdité » en lieu et place de l’acte d’audiométrie. « C’est l’interprétation de l’audiogramme qui est la valeur ajoutée de l’ORL et non l’acte de relevé des seuils », précise Brice Jantzem. « Comment voulez-vous intéresser les ORL sans revalorisation ?!, abonde le Pr Darrouzet. Ils vont plutôt se tourner vers l’injection de toxine botulique ou d’acide hyaluronique. »

Constitution d’un groupe de travail

Comme l’expliquait Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé dans un entretien à Audiologie Demain en octobre 2022, « il faut actionner tous les leviers à la fois ». ORL et audioprothésistes l’ont bien compris et envisagent de créer un groupe de travail comprenant des représentants des différentes instances afin de formaliser plus concrètement des solutions et les présenter au ministère. « Nous avons échangé avec des personnes à l’écoute et désireuses de travailler ensemble, commente le Pr Vincent Darrouzet. C’est notre volonté à tous d’avancer. »

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